Un commentaire récent sur ce blog et la réaction de ma mère m'ont donné envie d'écrire cet article pour expliquer pourquoi j'aurais des chimios à vie, dans le meilleur des cas.
Vendredi, en envoyant mon texto, en sortant du scanner, pour annoncer que tout était normal, ma mère m'a aussitôt téléphonée. Comme ça fera 5 ans que je vis avec ce cancer, en mai prochain, elle me demande si je vais enfin être déclarée guérie. Ce n'est pas la première fois que je suis obligée de répéter ma situation à mes proches. Je suppose qu'elle est inacceptable pour eux. Ils doivent penser que j'exagère, que je dramatise et que je dois être logée à la même enseigne que tous les cancéreux : au bout de 5 ans sans récidive = guérison. Je l'ai ramenée à ma triste réalité. Cette logique ne fonctionne que pour les cancers localisés et en aucun cas pour un cancer généralisé. Il y a 5 ans, j'avais des métastases, des tumeurs cancéreuses secondaires. J'en avais 4 assez grosses dans mon foie, il y avait urgence. Le foie est un organe vital, s'il est trop envahi, il ne fait plus son boulot et on finit par en mourir, on ne peut pas vivre sans foie. Un cancer métastasé ne pourra jamais être déclaré guéri, JAMAIS. Je ne serai jamais guérie. Le nec plus ultra pour moi est la rémission complète. Depuis 4 ans, je suis en rémission complète. Autrement dit, on pense que j'ai toujours des cellules cancéreuses dormantes quelque part dans mon organisme qui peuvent se réveiller d'un moment à l'autre. Avec le cancer, on ne sait jamais à quoi s'attendre. On peut juste constater qu'actuellement, il n'y a aucune activité cancéreuse décelable dans mon corps.
Comme il s'agissait d'un cancer du sein Her2+++, le plus agressif, de moins bon pronostic, on matraque le corps avec son arme Herceptine. Une femme avec un cancer du sein Her2+++ non métastatique, n'aura herceptine qu'un an ou 6 mois. Une femme qui a ce cancer mais avec des métastases, comme moi, sera sous herceptine à vie. Avant herceptine, avec des métastases, j'aurais eu 3 ans à vivre. Les taux de survie étaient mauvais, ce cancer répondait mal aux chimios classiques. On pouvait juste gagner un peu de temps, mais rien de plus. Depuis l'arrivée d'herceptine, les oncologues ont enfin un véritable traitement qui a le pouvoir de bloquer la progression de ce cancer et même de le faire reculer. Malheureusement, lorsqu'il est métastasé, on obtient en général une période de stabilisation, on arrive à le faire diminuer, à l'arrêter mais pour un certain temps. Il finit par reprendre de son ardeur et emporte avec lui la patiente. Nous ne sommes que quelques survivantes de ce cancer métastasé d'emblée. Mon oncologue ne sait pas pourquoi moi je suis en rémission. Elle n'a toujours pas réussi à avoir une seule autre patiente en rémission avec le même tableau clinique au départ. Elle est loin d'être la seule. Elle me dit que les oncologues ont dans le meilleur des cas une patiente comme moi. Les autres femmes, hélas, n'ont pas fait de vieux os. Aussi lorsqu'on arrive à obtenir une rémission complète, on préfère ne surtout pas courir le risque de perdre ce si bon résultat. On n'arrête pas herceptine, jamais. On surveille en attendant le jour où le cancer pourrait arriver à reprendre du poil de la bête malgré herceptine. On devient alors résistante et fort heureusement pour nous, on peut passer à Tyverb (lapatinib), une autre molécule pour les Her2+++.
La première chose que m'a annoncée mon oncologue était que j'aurai herceptine à vie, ou plutôt tant que je ne serai pas résistante à ce traitement. On peut me souhaiter d'en bénéficier toujours dans 20 ans. Ce qui signifierait que je serais toujours en rémission, ce que je peux espérer de mieux pour moi.
Ma mère le sait, mes proches le savent et malgré tout, à chaque contrôle, j'ai droit à cette question "Alors, elle t'a dit quand elle pensait pouvoir arrêter tes perfusions?" et à chaque fois, je fais la rabat joie. Je répète que c'est une chance que je sois en vie et que je le dois à herceptine. Sans herceptine, je serais morte. J'ai bien compris que le message a dû mal à être assimilé et que je vais devoir le répéter encore et toujours. Je préfère ressasser ces explications plutôt que de leur démontrer par une récidive combien mon cancer est très méchant et peut revenir me faire de grosses misères.
On peut être en rémission, ne plus avoir de traces décelables de cellules cancéreuses et être sous chimios à vie. L'objectif est justement de rester en rémission, de pouvoir continuer à vivre le plus normalement possible et de transformer ce cancer en maladie chronique.
Je devrais continuer toute ma vie à passer des échographies cardiaques puisque herceptine est cardio-toxique. Je devrais toute ma vie passer des scanner pour surveiller les métastases. Je devrais toute ma vie passer des IRM, mammographie et échographies des deux seins. Je devrais toute ma vie voir mon oncologue et ma gynécologue. Je devrais toute ma vie planifier mes vacances, mes formations professionnelles, mes rendez-vous en fonction de mes perfusions. Elles ont lieu toutes les trois semaines. Dès que j'ai un nouvel agenda, j'inscris un H pour herceptine, un jeudi sur trois. Ma vie tourne autour de ces perfusions, de cette potion magique indispensable pour continuer à vivre.
Ce qui est le plus difficile, c'est de vivre avec cette précarité, ce CDD "vie normale" renouvelable tous les 6 mois mais c'est mieux que de récidiver. Je suis en vie et j'en profite. Je donne un sens à ma vie et j'en mesure sa valeur. J'en paye le prix toutes les trois semaines mais j'espère continuer ainsi pendant des années...
LES COMMENTAIRES (2)
posté le 15 décembre à 17:48
salut Isabelle j ai decouvert mon cancer aout2009 à l age de40 j ai le meme cas que toi j ai fait mastectomie+12seance de chim+25radiot+herceptine mon foie etait atteint de 6nodules dans le plus grand mesurait25mm je suis choqueè de savoir que je dois prendre l herceptine à vie
posté le 06 décembre à 21:43
Bonjour Isabelle,
J'admire votre courage, votre article m'a beaucoup touché. Ma mère est malade aussi (cancer du sein et métastases au foie), j'ai également mis longtemps à comprendre qu'elle serait toujours malade à partir de maintenant, j'en suis absolument désespérée. Je vous souhaite beaucoup de force et de courage, bravo pour ce billet.