Avec la crise de la dette des États périphériques de la zone euro, certaines grandes entreprises se financent aujourd’hui à moindre coût que dans leur pays d’origine. Le classement des CDS, les Credit Default Swaps, réservent des surprises de taille.
Le risque n’est plus où il était. « Historiquement, explique Anne Velot chezAxa Investment Managers, les prêteurs considéraient que la signature des États était plus sûre que celle des entreprises. Or ce n’est plus toujours le cas. » Sur les marchés des Credit Default Swaps (CDS), ces assurances contre le risque de défaut des émetteurs, « certaines entreprises espagnoles ou portugaises ont des coûts d’assurance inférieurs à ceux de leur pays d’origine », relève Thibault Cuillière, stratège crédit chez Natixis. S’il précise que les faibles volumes traités sur ce marché comme l’intense spéculation qui y règne pourraient être à l’origine d’anomalies, il faut reconnaître que le niveau des taux dit la même chose. Que le gazier Bord Gais Eireann se finance à moindre coût que l’État irlandais, comme l’hellène OTE par rapport à l’État grec, le pétrolier ENI par rapport à l’État italien ou encore Portugal Telecom par rapport à l’État portugais, est en soi une nouvelle donne. Même si ce n’est pas vrai partout – et en particulier en France -, « cette nouvelle hiérarchie des risques qui émerge est l’événement le plus important de la décennie », juge Maurice de Boisséson chez Octo Finances.
Trois raisons
Ce bouleversement a trois origines. D’abord, un effet de ciseau : pendant que les États ont dépensé sans compter pour sauver leur économie, au point qu’un risque de défaut chez certains n’est plus une hypothèse farfelue, les entreprises, échaudées par l’assèchement du crédit bancaire fin 2008, ont assaini leur bilan et allongé la maturité de leur dette. Certaines sont même devenues d’excellentes signatures.
Ensuite, la mobilité du capital face à l’immuabilité territoriale des États. Quand les entreprises se développent sur des régions en croissance, quitte à délaisser leur pays d’origine, les États ne peuvent se délocaliser, et sont contraints d’en subir les performances. La recette fiscale, elle, reste territoriale.
Enfin, si les États conservent le monopole de l’impôt, l’intense concurrence fiscale limite aujourd’hui leur liberté d’action. Trois facteurs lourds qui ont fini par rogner le privilège et partant le statut de l’État qui, selon Maurice de Boisséson, « se voit progressivement relégué au rang d’un emprunteur comme les autres. »
Les CDS des groupes financiers européens malmenés
L’idée qu’un groupe d’intérim puisse être plus solvable qu’un assureur aurait pû prêter à sourire avant la chute de Lehman Brothers le 15 septembre dernier. Mais il s’agit bel et bien aujourd’hui d’une réalité. Du moins aux yeux des investisseurs. Le CDS d’Adecco de maturité à cinq ans, qui cote 123 points, vaut même légèrement moins que celui d’Axa. En clair, le coût de couverture contre un risque de défaut du premier est moindre que pour le second.
D’une manière générale, le piètre état de santé des finances publiques européennes affecte en premier lieu la qualité de signature des établissements bancaires. Principalement d’origine d’Europe du Sud. Ainsi, Banco Espirito Santo (699 points) et Banco Comercial Portuges (695 points) affichent les primes de risque les plus élevées de l’indice Markit iTraxx des CDS des sociétés européennes notées «investment grade». Sachant que la valeur moyenne de l’indice avoisine 105 points. À l’opposé, les meilleurs profils de risque se situent plutôt du côté des secteurs de l’agroalimentaire et des biens de consommations. À l’image de Cadbury (32,7 points) ou encore Altadis (41,7 points).
La France plus risquée que la Malaisie et la République tchèque
Selon la hiérarchie du prix des « Credit Default Swap » à 5 ans (CDS), le risque que court un investisseur en plaçant des liquidités sur la dette française est désormais plus élevé qu’un placement sur la dette tchèque ou malaisienne. À 83 points de base, l’assurance contre un défaut sur 10 millions d’euros de dette française coûte désormais 83.000 euros par an, contre 81.000 pour le même montant de dette de la République tchèque et 75.000 euros pour des obligations d’État malaisiennes.
« Cela a un sens d’observer le niveau des CDS au sein de la zone euro, mais il vaut mieux regarder le niveau des taux d’intérêts pour appréhender le niveau du risque souverain entre les États », souligne Nicolas Forest, responsable de la stratégie taux chez Dexia. De fait, les marchés obligataires contredisent les CDS, puisque le taux des obligations à 5 ans malaisiennes et tchèques s’établissent rspectivement à 3,26 % et 2,60 %, contre seulement 1,90% pour la France. À l’inverse, l’écart de prix entre les CDS irlandais et français s’établit à 400 points de base, contre un écart de taux entre leurs titres à 5 ans de 405 points de base.
Source : La Tribune