Comme chaque mois de novembre, la Ville de Levallois organise plusieurs manifestations de qualité autour de la photographie (jusqu’au 18 décembre). Tout d’abord, Manuela Marques a installé dans les salons d’honneur de l’Hôtel de Ville, lieu rococo difficile à occuper, un espace sombre, mystérieux, qu’on imaginerait aisément humide, moussu, ombragé, trouble, où trois murs déroulent une vidéo de feuillages et de campagne. Tout autour, à l’extérieur de ce cube, des photographies, la plupart de grand format, plus claires, plus définies : lustre, arbre solitaire (’Tronc 1′), corps flottant, pignon bleu céleste et ces deux séries de portes ne menant nulle part, inquiétantes, tensiogènes, déséquilibrantes, dévorantes (’Couloirs’; photo Alice Meyer). Manuela Marques a en même temps (jusqu’au 11 décembre) une exposition à la galerie Anne Barrault, que je n’ai pas vue.
Devant la mairie, en plein air, les affiches de Nicolas Dhervillers, ‘Tourists 2′, sont une nouvelle manifestation de l’humour et de l’étrangeté de ce photographe surprenant qui se plaît à créer des scènes irréelles, ici une forêt mystérieuse éclairée d’une lumière extra-terrestre, dans laquelle des personnages capturés ailleurs (sur flickr, par exemple) et transplantés ici via Photoshop, semblent de nouveaux Monsieur Hulot, explorateurs béats et égarés.
La Mairie abrite aussi les travaux du Photo-Club, parmi lesquels j’ai remarqué la série de Cédric Vigneault sur le camp d’internement des tsiganes de Montreuil-Bellay (1941-1945), suite aux mesures répressives dès avant Vichy : des photos grises et fantomatiques de lieux de détention, de grillages, de ruines et de mauvaises herbes, en l’honneur de ces oubliés d’une autre Shoah, aujourd’hui encore menacés…
À l’Escale sont les lauréats du prix Photo Levallois Epson*. J’ai parlé hier du travail de la lauréate Virginie Terrasse, dont les photos sont hélas amputées ici de leurs légendes du fait de la frilosité de la municipalité. Il y a aussi trois mentions spéciales. Lola Reboud sait bien traduire en photo l’esprit d’un pays et de son peuple, l’Islande, sa beauté de bout du monde et sa rudesse (’One family, after the RŽttir‘, 2007).
Sun Yanchu, lui, fait tout sauf un reportage. Ses photographies en noir et blanc, charbonneuses, presque floues, semblent plus traduire une errance intérieure qu’une découverte. On y voit des blessures, physiques et morales, des ornières, des détresses (’Obsessions’).
Le dernier lauréat, Aditya Mandayam, est très différent. Poussant la photographie à ses limites, il transforme sa maison en sténopé géant; les photos qu’il présente ici ont été obtenues en apposant un papier photosensible contre l’écran de son ordinateur, combinant la technologie numérique et l’art ancien du photogramme. Elles ont une qualité étrange, flottant entre deux eaux, ni vraiment représentations du monde, ni vraiment concepts de l’esprit (‘Laptopograms’).
Photo 2 Manuela Marques par Alice Meyer. Photo Sun Yanchu de l’auteur.
* L’auteur du blog faisait partie du jury.