Je suis en plein Zeugma. J'ai envie de dire deux choses en même temps.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
(Apollinaire)
Sensation étrange. Je viens de finir l'écriture d'un livre et j'ai l'impression d'avoir fui par tous les pores de ma peau. Je me sens comme un sac en papier débarrassé de son contenu, livré à tous les vents. 250 pages en trois mois, on me dit chapeau. Mais si elles s'envolaient au premier coup de vent ? Si mon bouquin finissait sa vie sur mon disque dur ? Je veux espérer. Je sais surtout que rien n'est gagné. Et surtout, je me sens vide.
Javel André-Citroën, sous un soleil froid de novembre. J'enquille le Pont Mirabeau pour un coup de chapeau à l'Apollinaire et pour rejoindre mon rendez-vous, quai Louis Blériot. C'est bon, je suis à fond dans le zeugma. Les tâches d'humidité ont gelé sur l'asphalte. Ça scintille comme dans les cartes de vœux enneigés de mon enfance. Il me faut des images pour crocheter mes émotions intimes, s'il en reste un fond dans le bas de mon enveloppe creuse. Un pont... C'est déjà un outil qui attrape une rive et l'attache à une autre. Mais je suis tellement léger que je vais finir par dessus bord, dans le néant et dans la baille glacée qui bouillonne tout en bas.
Sous le Pont Mirabeau, il y a du courant et quatre statues. Deux par deux, elles naviguent assises à l'avant et à l'arrière d'un bateau dont l'étrave fend le courant.
Sous le pont Mirabeau, coule la Seine et le flot assourdissant des voitures des voies sur berges.
Au bout du pont Mirabeau, on ne trouve pas son bonheur, mais une plaque avec le poème d'Apollinaire. Un peu emphatique, surtout quand on entend l'auteur le déclamer.
Sur le pont Mirabeau, il y a un sacré vent et les armes de Paris qui marquent l'emplacement des statues.
Sur le pont Mirabeau, il n'y a pas la place pour les sentiments et les cadenas. Alors les amoureux en restent aux phrases peintes ou gravées sur les balustrades.
Les dessous du Pont Mirabeau manquent d'Aubade et de sensualité...
Les escaliers du Pont Mirabeau ne sont ni romantiques, ni désherbés.
Magazine
Dans un coin du pont Mirabeau, un émule de Miss Tic distille ses aigreurs domestiques.