Œuvre majeure du cinéma nippon d’après-guerre, L’Île nue nous présente la vie quotidienne de ces japonais que n’a pas encore touché la modernité inhérente à la démocratie apportée par l’occupant américain. Lent et contemplatif, mais aussi presque muet dans sa quasi absence de dialogues, ce film touche par le portrait qu’il dresse de gens simples et proches de la terre, à l’inverse de toutes ces productions – souvent à grand spectacle – mettant en scène des armées entières et de nobles samouraïs dans une illustration d’un Japon féodal aux accents de cliché.
Si ici cette féodalité n’existe plus depuis une quinzaine d’années, ce bouleversement majeur de l’histoire de l’Asie n’a pas encore changé la vie des paysans pour qui cette modernité reste d’autant plus malvenue qu’elle leur demeure incompréhensible – pour ne pas dire inutile, voire peut-être même injuste dans sa manière de ne profiter qu’aux gens des grandes villes. D’autant plus que cette démocratie moderne qui interdit de faire travailler les enfants prive les parents d’une main-d’œuvre dont ils auraient pourtant bien besoin : si elle reste absente de ce récit, la problématique qui s’annonce pour la société japonaise à venir – à travers un fossé des générations particulièrement profond – demeure encore de nos jours une de ses préoccupations majeures.
Kaneto Shindô joue ici sur la corde sensible : la nostalgie pour un Japon « simple » et traditionnel, sans industrie ni machines, saute aux yeux, exsude de chaque plan, imprègne tout le film. Ce qui après tout étonne assez peu de la part d’un homme de cinéma né à Hiroshima, et dont les raisons de vouloir résister à la culture du vainqueur américain restent bien compréhensibles – même si elles sont peut-être involontaires. Mais le tableau ne se veut en aucun cas naïf, et encore moins idyllique, car la tragédie frappera, et avec une violence aveugle qui souligne d’autant plus l’inhumanité des conditions de vie de ces gens…
Œuvre majeure mais aussi fresque bouleversante qui témoigne d’une maestria sans faille en convoyant les émotions les plus fortes à travers les images les plus simples, L’Île nue fait partie de ces grands classiques d’un cinéma encore mal connu chez nous et qu’aucun de tous ceux qui s’intéressent aux cultures asiatiques ne sauraient manquer.
Récompenses :
- Grand Prix du Festival international du film de Moscou 1961.
- Ruban bleu du film japonais en 1960.
L’Île nue (Hadaka no shima), Kaneto Shindô, 1960
Wild Side Vidéo, 2006
94 minutes, env. 30 € (occasions seulement)
- d’autres avis : Martian Shaker, Click Japan, Laterna Magika, Drama&Eiga
- la fiche de Kaneto Shindô sur le site de la Cinémathèque française