JE PRECISE QUE CE BILLET N'EST PAS UNE INTERVIEW DE L'AUTEUR MAIS LE COMPTE RENDU DE LA CONFERENCE QU'IL A DONNE A RENNES
Jeudi soir, dans le cadre de la Rentrée Littéraire, Les Champs Libres (centre culturel de Rennes) recevait l'auteur Philippe Claudel.
Philippe Claudel est l'auteur des Âmes grises(prix Renaudot 2003, Grand prix littéraire des lectrices de Elle en 2004, consacré meilleur livre de l'année 2003 par le magazine Lire), traduit dans plus de trente pays, de La Petite Fille de Monsieur Linh (Stock, 2005), et du Rapport de Brodeck(prix Goncourt des lycéens 2007). Son premier film, réalisé en 2008, Il y a longtemps que je t'aimeavec Elsa Zylberstein et Kristin Scott Thomas, a reçu deux César. Il a également écrit deux pièces de théâtre : Parle-moi d'amour (créée fin 2008) et Le Paquet (créée en janvier 2010).
Le sujet de la conférence était "dans les rouages de l'entreprise",
Le pitch du livre : Un homme va enquêter dans une entreprise sur une vague de suicides...
Un sujet très... contemporain...
La conférence a donc porté sur le livre...sur ce qui l'a inspiré : l'actualité sociale l'importance de notre travail...
J'ai pris des notes. Voilà, pelle mèle, ce que ça donne. Je n'ai pas pu tout noter, mais j'ai bu chaque parole du romancier qui a vraiment captivé son auditoire. Conférence passionnante !
Tout d'abord, Philippe Claudel se souvient du prix Goncourt des Lycéens qu'il a reçu ici même en 2007
" J'ai l'impression de toujours venir à Rennes ! Les prix des lecteurs sont ceux qui me font le plus plaisir." Pour le Goncourt des Lycéens, c'est en plus un lectorat très jeune, connu de l'auteur puisque celui ci est enseignant à l'université et éprouve un intérêt pour le lien avec la jeune génération et une fascination pour la transmission. "La seule limite du Goncourt des Lycéens est que la liste dépende de celle du Goncourt, qui n'est pas choisie par des lecteurs. Mais dans leur choix, les lycéens ont suivi les critères de l'émotion, de l'engagement, de la passion, en se fichant du nom de l'auteur. Il il a donc une grande honnêteté intellectuelle et du coeur autour de ce prix... La capacité d'analyse du livre, la plongée, l'inspection du livre Le rapport de Brodeck faite par les lycéens était épatante et nombre de critiques professionnels devraient s'en inspirer"
"Il y a des livres qui nous construisent en profondeurs et qui nous orientent comme une boussole".
" Les lecteurs n'influencent jamais ce que j'écris. Je n'écris pas en fonction de mon public, car ce serait plus de la paralysie que de vouloir satisfaire le public".
Passons maintenant à L'enquête : Pourquoi ce livre ???
"Le principe du suicide me frappe beaucoup. Quand cela arrive dans l'entourage, on reste stupéfié devant cet acte violent tant pour le suicidé que pour ceux qui restent. C'est un acte qui va à l'encontre de l'esprit de l'humanité. C'est aussi une façon de pointer du doigt les autres et de dire sans mots "vous n'avez pas été là...". Il y a aussi un jugement de la société, un souhait peut-être de créer un électrochoc."
Philippe Claudel est aussi intrigué par les suicides collectifs au Japon "organisés" sur internet. Comment le suicide, acte solitaire et de solitude extrême, peut-il donner lieu à des rendez vous pour passer à un tel acte ensemble. Est-ce pour ce donner du courage ? Dans l'espoir que quelqu'un vous empêchera de commettre ce geste irréparable ???
Enfin, l'actualité n'est pas étrangère à ce livre avec les suicides médiatisés chez France Telecom, chez Renault ou dans la police.
"Le travail représente un part prépondérante de notre existence et de notre identité, il est donc normal qu'il intéresse un auteur, même si le sujet n'est pas nouveau" (cf Zola, Hugo...)
L'enquête, le livre de l'intérieur...
Les fidèles lecteurs de Philippe Claudel trouveront une ressemblance avec ces oeuvres précédentes, dans cette façon qu'il y a de vite quitter la réalité.
Ce roman nous interroge sur notre fonctionnement social et économique avec des personnages nommés uniquement par leur fonction et décrits de la même façon, puisque dans notre société, c'est la fonction qui prône. "Inutile de décrire ces personnages, ils se ressemblent tous. "
Beaucoup d'ironie et de cauchemars absurdes dans ce livre déroutant où le lecteur est amené à rire jaune ou noir. "Ce n'est pas un rire moqueur mais libératoire".
L'entreprise possède toute la ville, c'est une entreprise envahissante qui a pénétré dans tous les lieux urbains où pénètre cet enquêteur...
" Je me confronte à un fonctionnement économique que je ne parviens plus à comprendre. Avant, ce n'était pas mieux mais...
Avant, le capitalisme avait un visage, c'était une famille, un patron. Le capitalisme était incarné.
L'actionnariat et la mondialisation sont passés par là. Maintenant, celui qui dirige l'entreprise n'est plus celui qui la possède, ce ne sont même plus des personnes physiques qui détiennent l'entreprise et cette puissance à de plus en plus d'emprise sur nous. C'est de plus en plus nébuleux et c'est un sujet d'angoisse de plus en plus fort pour moi".
"Il y a comme un allègement du fais grave, une volonté de ne pas savoir, de ne pas se sentir responsable dans les grandes entreprises"
Le personnage de l'enquêteur se demande qui est au dessus de lui, qui le fait agir, qui le manipule ainsi. Philippe Claudel avoue avoir été pervers avec son personnage, c'était aussi une façon de réfléchir sur ce qu'un romancier fait de ses personnages. Le plaisir de l'auteur était de raconté une histoire qui peut se lire comme un thriller, de faire ressentir cette peur, cette oppression, que le lecteur ait l'impression de devenir l'enquêteur.
"Je me suis inspiré du mythe du labyrinthe. C'est un homme perdu dans un labyrinthe, mais qui ne cherche pas forcément la sortie mais le Minotaure pour l'interroger, même si le Minotaure se dérobe, même si peut-être, il n'existe pas."
"De plus en plus de lieux se protègent et quand on y entre, on a l'impression de pénétrer dans un secret absolu. C'est le monde de l'hyperprotection ou l'élément extérieur est synonyme de danger".
L'hypersurveillance est aussi sujet d'angoisse pour Philippe Claudel. "Le traçage par téléphone portable, internet, GPS, cartes de crédit, caméra... On sait ce que je fais, où je suis... Ces instruments de communication seraient des éléments de surveillance épouvantable si notre démocratie venait à disparaître, même si à la base, tout part d'un bon sentiment."
" Dans l'histoire, le mal être a toujours abouti a des pics de violence, à des pics révolutionnaires dirigés vers les autres. Maintenant, le mal être n'est plus extériorisé, il est dirigé vers soit même, d'où l'augmentation des suicides... maintenant, on ne peut plus forcément identifier le pouvoir donc on ne peut plus diriger la violence vers l'autre par exemple dans l'entreprise.
"La grêve maintenant est trop codifiée et ne sert donc plus à rien. Elle donne juste une illusion d'exister, une illusion de contre pouvoir."
L'écriture de L'enquête fur un grand plaisir, celui de jouer avec les mots, de construire une histoire, de faire son travail, de "jouer" avec ce paradoxe, ce dédoublement d'écrire des choses très dur mais de prendre plaisir à le faire le mieux possible.
Philippe Claudel aime voyager dans différentes formes littéraires ( fantastiques, burlesques, anticipation, classique...) dans l'espoir de trouver la meilleure forme, sans être sûr d'y arriver. Il aime changer d'outil artistique (roman, théâtre, cinéma) pour exprimer ce qu'il a en lui. Il a la chance de pouvoir aborder différents arts (projet de travailler par exemple avec une chorégraphe sur un ballet)
"Le langage est un espace de liberté absolu. On ne peut pas légiférer le langage. Le langage est notre ami et notre traître."