Tout a commencé le 25 janvier dernier, quand une productrice de lait interpela Nicolas Sarkozy sur la situation dramatique de sa filière lors d'une émission de télévision sur TF1, «Paroles de Français»: « La plupart de mes collègues producteurs de lait n'ont pas pu se verser un salaire ». Sarkozy, déjà sans idée, lui répondit qu'il fallait revoir le partage de la valeur ajoutée. Depuis, le monarque a multiplié les visites auprès des agriculteurs.
Au Mayet-de-Montagne, dans le Bourbonnais (Allier), Sarkozy était attablé, l'air concentré, l'assistance était docile, un millier de personnes sagement assis dans le gymnase du village. Au centre une grande table rectangulaire drapée de blanc, et une caméra fixe, en face du président français. On a déjà bien commenté certaines des formules qu'il utilisa ce jour-là. Le Petit Journal de Canal+ s'est amusé, le soir même, à synchroniser certaines formules de Nicolas Sarkozy. A deux jours d'intervalles, mardi devant les maires, jeudi devant les agriculteurs, Sarkozy « improvisa » les mêmes réponses, les mêmes exemples. Mais il fallait, ce jeudi, écouter les autres pans d'une déclaration incroyablement vide d'idées et de propositions concrètes malgré 96 minutes de présence filmée.
Quand le président de la chambre d'agriculture locale l'introduit, Sarkozy n'écoute pas. Il écrit. Son hôte termine enfin : « je vous remercie, monsieur le président, de votre choix, d'autant plus que nous avons beaucoup de plaisir à vous accueillir.» Les mots sont simples, mais Sarkozy tarde quelques secondes à lever enfin la tête vers son hôte. « Les agriculteurs sont inquiets. » continue l'hôte. « Ils ont le sentiment d'être oubliés.» Certains ont été rassurés par les récentes propositions de la commission européenne pour la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), avec notamment le maintien du soutien des prix. Sarkozy écoute enfin. Les questions se font finalement précises : on lui demande un allègement des contraintes environnementales qui pèsent sur les agriculteurs, et des propositions pour réguler les écarts de coûts du travail avec l'Espagne. Sur le G20, on lui demande aussi comment il compte enfin réguler la spéculation sur les matières premières.
Sarkozy a le visage grave, le teint presque gris. Il répondra à côté. Il le sait.
C'est à lui.
« Bon, ben, monsieur Lesage... heureusement que vous vous êtes répartis les thèmes parce que vous êtes un table ronde à vous tout seul... Je vais essayer, sans lasser votre patience, de vous répondre, mais qu'il me soit permis de dire à tous ici combien je suis heureux d'être dans cette région de la montagne qui est magnifique. On m'avait promis la neige... je ne l'ai qu'aperçu... » La diversion commence. Sarkozy évoque le syndicalisme agricole, cette « terre magnifique, rude », ces « gens » qui « aiment le travail.» L'assistance sourit. Sarkozy rapproche ses mains et durcit son visage : « Voyez-vous, je conteste l'orientation qui a été donnée depuis plusieurs décennies à la politique agricole commune qui a fait le choix délibéré de privilégier les subventions sur les prix. » Il embraye sur un laïus désormais connu : l'Europe et les gouvernements précédents se seraient davantage préoccupés de compenser les baisses des prix agricoles par des subventions que d'agir sur la régulation des marchés. Comme toujours, Sarkozy oublie la question essentielle : comment réguler les prix ? Et, à défaut, ne faut-il pas des subventions pour garantir un revenu décent aux agriculteurs ? Non. Pour Sarkozy, il est plus commode de brocarder les aides que de s'interroger sur les ravages économiques, sociaux et environnementaux du marché libre. Sarkozy n'a pas abandonné, cette fois-ci, son antienne libérale. Ou plutôt, il tente le grand écart, critiquant « l'assistanat » fusse-t-il agricole d'un côté, et se félicitant des plans de sauvetage de filières, c'est-à-dire des subventions, de l'autre. C'est d'ailleurs l'une de seules propositions européennes qu'il reprendra quelques minutes plus tard, à son compte, la «réforme de la PAC de façon à aider ceux qui en ont le plus besoin.»
Finalement, la subvention, avant l'élection, ça a du bon...
Plus l'esquive est importante, plus Sarkozy insiste sur sa « franchise ». C'est compréhensible. Si ses annonces étaient importantes, il n'aurait pas besoin de ces artifices oratoires. « Je viens ici pour tenir un discours de la vérité, pas de la complaisance. La complaisance, elle conduit à la catastrophe. Parce qu'on fait plaisir sur le moment, on s'en va, et puis après les problèmes restent, et ils sont encore plus dur à résoudre. je l'ai montré au moment des retraites.»
Encore ! Ah ! Les retraites ! Cette réformette sera donc servie à toutes les sauces, dans toutes les enceintes, sur toutes les tribunes. Les agriculteurs, d'ailleurs, ne s'en sont pas trop mal sortis, puisque opportunémement, Sarkozy a fait preuve de suffisamment de lâcheté politique pour introduire un régime dérogatoire. le chantre de la suppression des régimes spéciaux en a créé un ... pour l'agriculture. Quel courage !
Autre tartufferie, Sarkozy critique le refus de la préférence communautaire : « c'était un gros mot, il fallait pas l'dire ! Fallait pas l'prononcer ! ». Face à des filières menacées, Sarkozy joue toujours la corde protectionniste. Sans oublier de souhaiter, quand même, le développement des exportations. Exporter sans importer ? Que la réalité est simple en Sarkofrance !
En 96 minutes de « débat », pardon, de monologue, combien de minutes ont été consacrées à l'agriculture ? Sur le papier, la table ronde devait traiter de vastes sujets, situation de l'élevage, « pôles d'excellence ruraux », « entreprises et ruralité », « services au public en milieu rural » et même « gouvernance en milieu rural ». Mais comme souvent quand il n'avait rien de concret, Sarkozy préfère l'anecdote, les grands principes, et les diversions.
Ainsi parla-t-il d'apprentissage : « nous devons faire en sorte de maintenir dans notre pays des emplois de production ». Mais comment défendre ses emplois de production contre la concurrence des pays à bas coûts ? Motus et bouche cousue !
Sur la régulation du prix des matières premières, Sarkozy s'indigne des fluctuations, cette année, du prix des céréales. Et ? Et rien. « Entre le mois d'août 2009 et le mois de février 2010, le prix des céréales a été multiplié par deux. Comment voulez vous... alors c'est très bien pour vos collègues céréaliers qui par ailleurs m'expliquaient au début de l'année qu'il fallait qu'on les aide parce qu'ils étaient au bord de la ruine... J'n'ai pas dit un gros mot j'espère... Mais je me souviens de ma visite dans la Seine-et-Marne... et d'ailleurs à ce moment-là, c'était vrai...» Et il embraye en se félicitant qu'un milliard d'euros d'aides européennes ait été transférées des cultures céréalières vers l'élevage, pénalisé par cette inflation soudaine du coût de l'alimentation du bétail.
Et ensuite ? Sarkozy n'a « pas l'intention d'accepter qu'en Europe entrent des viandes d'Argentine, de Nouvelle Zélande, ou de tout autre pays qui ne répondent nullement aux normes environnementales et sanitaires que nous imposons à nos éleveurs en France et en Europe.» Sarkozy évoque ensuite son « deuxième plan »... Mais quel était le premier ? « Lorsque la Russie et l'Ukhraine ont décidé cet été d'arrêter toute exportation vers le Maghreb (...), aucune instance internationale n'a été en mesure de faire un point précis sur l'état des stocks mondiaux. Et cette absence de transparence a amené quoi ? La spéculation, la panique !» Sur les produits dérivés des marchés agricoles, Sarkozy promet donc une réglementation. Laquelle ? On ne sait pas. Comment ? Pas d'idée. Sarkozy rappelle juste, en défense que « nous avons réglementé les produits dérivés financiers.» Vraiment ? Non. Mais personne ne relève. Personne ne peut relever.
Deux promesses arrivent, enfin : Bruno Le Maire réunira au premier semestre prochain les ministres de l'agriculture du G20 pour poser la régulation « comme une méthode », une méthode qui visiblement n'a pas servi à rien en matière financière et boursière. Et dans la loi de modernisation de l'agriculture, Le Maire a prévu une « exonération totale » de charges sociales pour les saisonniers agricoles. Pour l'élevage, cette idée a peu d'intérêt...
Au final, sans répondre aux questions, Sarkozy a fait semblant de comprendre, et asséner qu'il serait volontaire, déterminé, qu'il ne cèdera pas. « Nous ne cèderons rien en matière agricole. » Mais qu'avait-il de concret ? Rien. Absolument rien.
Ce jeudi 25 novembre, ce n'était pas fini. Un second intervenant rappela « le travail de qualité » des éleveurs de la région. Il demande une augmentation du prix d'achat de la viande bovine aux producteurs. Sarkozy ne le regarde pas. Il prend des notes, semble recopier un texte de l'un de ses conseillers. C'est à lui. Il lève enfin les yeux. Il commence, sur autre chose. Ecoutez, ça vaut le détour. Du grand art.
« Bon... Monsieur Lognon... En venant ici avec tous les ministres, on n'a pas choisi la facilité... hein ? On n'partage peut être pas toutes les opinions politiques tous les deux... hein ? Mais au moins, on a un point commun : on est franc. En général, le président de la République, on le sort de sa boîte, pour lui faire inaugurer un laboratoire qui n'existe nulle part ailleurs, on va lui faire visiter une exploitation agricole au moment où les cours sont au plus haut, et quand les cours baissent on lui dit bon, il vaut mieux éviter. ça vous rappelle des souvenirs, monsieur Lognon ? Bon... Ben j'vais vous dire que je préfère venir quand il y a des difficultés.»
Le Monarque sait qu'il ne sera pas interrompu. On lui avait même donné les questions à l'avance. Il pouvait jouer au bravache tranquillement.
Et la question ? Sarkozy s'était noté quelques chiffres. Il lance quelques regards discrets sur ses notes. « Le prix de la carcasse de viande bovine : 12 ans que le prix de la carcasse de viande bovine est grosso modo le même. En dessous de 3 euros... enfin, c'est tel que je l'ai analysé...» Nicolas Sarkozy a analysé l'évolution du prix de la carcasse bovine depuis 12 ans... Sans blague... L'homme prend son assistance pour des andouilles. Il poursuit : « De l'autre côté, sur la même période, la marge des industriels ou des distributeurs a augmenté de 2 euros. J'accuse personne... (...) Et le consommateur lui paye le même kilo... 10 euros. » OH ! Il y a des écarts de marges.... Sarkozy lâche la solution : « on a créé l'observatoire des prix et des marges.» Et ? Et rien. Pire, Sarkozy prévient : « Mais je n'ai jamais encouragé le monde agricole à aller en guerre contre la distribution.» Mais il ajoute, incompréhensible : « Cette évolution de la répartition des marges est, je mesure mes mots, inacceptable.» Il a nommé ...un médiateur ; ça change tout.
Sarkozy en convient : « ça ne suffit pas... si vous voulez revaloriser, il faut exporter ! » Tiens donc ! Après l'argument pro-préférence communautaire, voici l'argument inverse : il faut ouvrir les frontières des autres... Sarkozy rappelle sa demande de levée des barrières sanitaires russes au président Medvedev. La confusion est totale. Il n'a pas fallu attendre quinze minutes pour l'entendre conseiller l'ouverture des marchés extérieurs après avoir, le même jour, quinze minutes plus tôt défendu la préférence communautaire... Il ajoute que l'Etat va financer des campagnes de publicité en faveur de la viande française et européenne, et qu'il a débloqué 300 millions d'euros sur 3 ans pour subventionner les secteurs agricoles les plus sinistrés. Enfin, Sarkozy aimerait que le prix des viandes les plus qualitative ne soit plus indexé sur celui de la carcasse standard.
La troisième question posée au chef de Sarkofrance concernait la forêt. Sarkozy écoute distraitement la présentation. Il regarde sa montre. Le regard est ailleurs. « Nous souhaitons créer ici un pôle de développement des compétences de la filière bois » demande l'intervenant. Ce dernier attend de savoir si son projet va être être retenu par l'Etat. Sarkozy a une réponse surprenante. Il commence par rappeler l'origine des pôles de compétitivité, qu'il a « imposé » contre la « vision technocratique habituelle » de Bercy quand il était ministre des finances, sa visite à Limoge en 2004 où un pôle de compétitivité « petit mais mondial » de la porcelaine fut alors créé. « On a sauvé la porcelaine française ! » L'entreprise Bernardeau, de porcelaine, est en période d'observation depuis le début d'année. 70 postes ont été supprimés.
Cette diversion passée, Sarkozy explique qu'il a eu ainsi l'idée de décliner l'idée pour la ruralité : subventionner le regroupement d'entreprises de compétences communes: « ça a un tel succès, qu'on en labellise 379, pour 367 millions d'euros d'investissements.» Puis, surprise, il revient sur la question de son interlocuteur. « Votre dossier, je l'ai sur mon bureau ! » Tant Bruno Le Maire que Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur mais aux prétentions locales, l'ont alerté sur le coup de pouce nécessaire. En public, Sarkozy avoue, et s'amuse de ce piston quasi-public. Le dossier sera traité, promet-il. Pourtant, ces décisions sont normalement prises en toute collégialité...
Un peu plus tard, Sarkozy évoque son propre sort. Toujours un peu d'auto-plainte : « Le matin, quand je me lève, il me faut un moral fantastique parce que, franchement, quand je lis les journaux, à la première page je vais trop vite et à la seconde je vais trop lentement. (...) Moi je vais vous dire ce qui m'intéresse(...). C'est votre jugement à vous parce que les Français sont des gens de bon sens et, en définitive, ils savent qui est au travail et qui parle » La France contre l'élite médiatique ? Un grand classique ! Assez étonnant pour le Président des Riches.
Il avait presque la formule de son programme de campagne pour 2012: « Pour que la France reste elle-même il faut qu'elle accepte de changer pour s'adapter au XXIe siècle (...). On est capable de gagner cette bataille et moi, mon rôle, c'est de préparer le pays pour que la France gagne une nouvelle fois.» Ce mardi, on oubliait presque le retard pris pendant ces 3 années et demi : la défiscalisation des heures supplémentaires qui plomba l'emploi par anticipation, la boulimie législative jamais traduite dans les actes, l'indignité internationale, le plantage de la réforme des retraites. Sarkozy sort avec un bilan plein d'incompétence et d'occasions gâchées.
Un récent sondage n'était pas fameux. 79 % des agriculteurs interrogés ne font pas confiance à Sarkozy pour défendre l'agriculture française, et 76 % jugent mauvaise sa politique agricole.
Le Monarque élyséen a encore des efforts à faire.