Au loin la sirène d’une ambulance qui file me rappelle que nous sommes mortels. Bien au chaud chez moi, la sinistre musique lancinante m’évoque la légende bretonne de la charrette de l’Ankou qu’entendent ceux que la Mort vient chercher. Parfois le klaxon deux tons décroît et s’estompe dans la nuit, ce soir le malheur est pour un autre, vous êtes gracié pour cette fois.
Un autre jour, alors que l’immeuble commence à s’endormir, la sirène effrayante s’est rapprochée sournoisement, de mon lit je l’entends qui rôde, cherchant la porte du bâtiment où on l’attend avec impatience. Une angoisse sourde m’a pleinement réveillé, je suis tout ouïe à l’affût du moindre indice me révélant ses intentions. Un bruit de moteur qui s’arrête, des portes qui claquent, des pas rapides dans l’allée.
Quelques secondes plus tard, dans le silence de la nuit, je discerne le son de la porte de l’immeuble qui se referme, on monte l’escalier, des bruits de voix inintelligibles, une porte palière verrouillée. La nuit muette reprend ses droits. Quelque part dans l’escalier, chez un voisin ou une voisine que je croise chaque jour le drame a frappé. Le pire peut-être, se joue en cet instant. Mon cœur qui battait la chamade reprend lentement son rythme normal mais mon esprit ne peut s’interdire de deviner ce qui se passe à l’un des étages du dessous. Des gens en pyjama ou rhabillés à la hâte, le teint pâle d’inquiétude, les pompiers qui posent des questions précises, agissent méthodiquement et rapidement, ouvrent des valises contenant des instruments synonymes de survie. L’un des secouristes qui redescend vitement vers son camion chercher je ne sais quoi, mais les bruits de nouveau font monter mon adrénaline.
Vingt, trente ou quarante minutes s’écoulent. J’attends immobile dans mon lit. Enfin, il semble que la situation se débloque, je me lève et me dirige vers ma fenêtre. Un pompier attend près de son camion, les portes arrières sont ouvertes, les lumières du véhicule diffusent une lueur blafarde et inquiétante dans l’allée déserte à cette heure. Bientôt ses deux collègues le rejoignent, ils sont seuls, ils rangent leur matériel dans l’ambulance.
Les portent claquent une dernière fois, moteur, le camion s’éloigne silencieusement seulement trahi par ses feux qui me fixent comme de gros yeux gourmands et obscènes. Ce soir l’Ankou repart bredouille, elle n’est ni déçue ni découragée, elle est patiente car elle sait que tôt ou tard sa proie lui reviendra.