À l’Escale, à Levallois, vient de s’ouvrir l’exposition des lauréats du Prix Photo Levallois-Epson (jusqu’au 18 décembre). J’y reviendrai pour parler des autres photographes présentés; la lauréate, à l’unanimité du jury* est Virginie Terrasse pour sa série ‘La Palestine comment ?’ : son travail sur le terrain lui a permis de rassembler des photographies, mais aussi des vidéos, des ‘POM’ (petits objets multimédia) et des textes, essentiellement sur les enjeux de territoire en Palestine, l’occupation des terres, l’inscription dans le paysage même de l’arrivée d’un peuple occupant et colonisateur, et du départ d’un autre chassé et colonisé. C’est un travail fait avec une grande intelligence du paysage, une cartographie mentale et visuelle. Bien sûr, on y voit le mur que les graffiti tentent d’apprivoiser par l’humour; bien sûr, les miradors et les points de contrôle, car tout ici est contrôle, surveillance, exclusion; bien sûr, des ruines, même si les enfants y jouent; bien sûr, des protestations, des manifestations, des solidarités; bien sûr, une vie quotidienne qui tente de se perpétuer au milieu des contraintes; bien sûr, on joue encore, on vit encore, on se marie encore, on accueille encore ses hôtes, malgré tout; bien sûr un espoir déraisonnable, de jour en jour plus absurde, mais qui continue de s’accrocher au moindre fait positif; bien sûr, des drapeaux, des uniformes, des symboles qui se font face, porteurs de forces inégales, de soutiens disproportionnés, des pierres et des bombardiers.
Mais, de tout cela, vous ne verrez à Levallois que les photographies (et un texte¤). En effet, la Ville de Levallois a jugé que les légendes des photos, qui, pour l’artiste, forment une partie intégrante de son travail, ne devaient pas être montrées. Il se trouve que la plupart de ces légendes sont des citations d’une Israélienne, Tal Dor, une de ceux qui sont encore capables de porter un regard critique sur la politique de leur pays, désireux de ne pas nier l’histoire de leur pays.
Voilà ce que vous ne lirez pas en allant à Levallois. Un jour, ailleurs, peut-être.
* Le jury comprenait six personnes, dont l’adjoint au Maire à la culture et votre serviteur.
¤ Au cas où le texte disparaîtrait, le voici:
” Viens avec moi, petite fille, allons en Galilée, j’ai quelque chose d’urgent à te montrer là-bas.
Tu n’as pas encore dix ans et tu ne comprendras pas. Et pourtant, il faut que tu regardes et il faut que tu voies. Et lorsque tu grandiras, lorsque tu auras vingt ou trente ans, cela ne sera toujours pas clair. Peut-être oublieras-tu tout cela. Mais un jour viendra où tu te souviendras de tout ce que tu vas voir, et alors cela te touchera et te fera très mal…
Ce jour-là — je ne serai pas ici pour le voir — tu me demanderas avec douleur, avec colère : « Toi, mon père ? Toi, tu as fait cela ? ». Je veux te montrer les montagnes, ma fille, la Haute et la Basse Galilée. La région de Nazareth, de Tsipori et de Bar’am. De grandes terres, certaines fertiles, certaines stériles, sur les collines et les vallées, plusieurs millions de dunams au total.
Ce pays appartenait aux Arabes en des jours dont tu ne te souviens pas. A eux étaient les villages, à eux les champs. Aujourd’hui tu ne les vois plus. De florissantes colonies juives ont pris leur place (fasse le Seigneur qu‘elles multiplient !). Car un miracle a été opéré pour nous; un jour, ces Arabes se sont levés, ils se sont enfuis loin de nous et nous avons pris leurs terres et les avons cultivées. Les anciens propriétaires s’en sont allés s’installer dans d’autres pays.”
C’est un passage d’une lettre titrée «Pleure, Ô pays bien-aimé» d’Azriel Carlebach (fondateur et rédacteur en chef du quotidien israélien de droite Ma’ariv), citée dans le livre « Sous Israël la Palestine » d’Ilan Halevi paru en 1978 aux éditions Le Sycomore.