Puccini Pureté

Publié le 27 novembre 2010 par Les Lettres Françaises

Puccini Pureté

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Dans un livre intelligent, particulière¬ment original, et qui tombe à point, le dernier biographe de Giacomo Puccini, Sylvain Fort (Actes Sud, 16 euros) imagine, un traitement de grands romans, Notre-Dame de Paris, Anna Karénine, Nana ou Salomé, par le compositeur de Tosca. Tel n’a pas été le cas, mais Puccini a écrit le Triptyque, qualifié de « vériste » alors que ces trois petits actes, distincts les uns des autres, nous semblent surtout dissimuler un secret de pureté du maître bien dans la ligne inaugurale de l’esthétique lyrique du XXe siècle. Le musicien des mythiques Bo¬hème, Manon Lescaut, Madame Butterfly et même de l’ultime et inachevé Turandot portait en lui ces pages réalistes et profon¬dément introverties.
Dans une mise en scène de Luca Ronconi, connue des publics milanais et madrilène, nous vivons des versions épurées, tendres, comiques, toutes personnelles que l’Opéra national de Paris présente avec de bons chan¬teurs, dans des visions réussies.
Pourtant, on éprouve une légère déception pour Il Tabarro (la Houppelande), qui fait irrésistiblement penser à l’Atalante, le célèbre film de Jean Vigo. Certains confrères délicats ont estimé « sordide » cette passion amou¬reuse se déroulant chez des mariniers, au fil de l’eau. Qui dira mieux la douceur fugitive et obsédante que le prélude qui ouvre l’oeuvre de Puccini ? L’eau symbole de liberté, l’eau éro¬tique et itinéraire de mort. Point n’est besoin de songer à Maupassant, Monet ou Debussy, dont le musicien italien se distingue, servi par Juan Pons, baryton réputé, le patron, et sa femme, la jeune et attachante soprano russe Oksana Dyka, deux voix prenantes.
Suor Angelica peut paraître d’une religio¬sité anachronique, sinon risible. On ressent les lamentations cachées de cette pauvre fille de famille enfermée dans un couvent par punition et à qui Dieu accorde la grâce de retrouver son enfant, bel et bien mort, et qui, comblée, meurtrie, finit par se suicider. Non croyant, Puccini a écrit de belles oeuvres religieuses, dont un requiem, peu après la disparition de Verdi ; sa partition opératique en témoigne, chantée uniquement par des voix féminines, devant une statue géante de la Vierge qui, renversée à terre, s’inscrit bien dans l’air du temps. La soprano géor¬gienne Tamar Iveri affronte une noble et rigide tante de grande famille, la princesse Luciana D’Intimo, mezzo qui phrase autant qu’elle chante.
Gianni Schicchi est une farce de la commedia dell’arte, qui avait séduit Dante avant notre compositeur. Dans celle-ci, savoureuse d’un bout à l’autre, on prend le plaisir le plus simple à voir se dérouler les effets d’un faux testament conçu par le gredin, Gianni Schicchi, trompant tout un monde d’hypocrites. Les chanteurs sont excellents, notamment le jeune ténor américain Saimir Pirgu, en Rinuccio prometteur et sa fiancée, Lauretta, bien incarnée par Ekaterina Syurina, ardents jeunes gens de Florence.
Philippe Jordan, désormais en phase ma¬gique avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris, aux plans de la couleur, du rythme et d’une continuité que rien ne cloisonne, dirige avec maîtrise.

Claude Glayman
N°76 Novembre 2010