Vers dix huit heures, j’ai été traînée un peu contre mon gré pour un apéro chez un type étrange. J’ai une saine horreur des alcools apéritifs. J’ai demandé du thé. Pas pour faire la prétentieuse qui boit du thé. Non parce qu’à côté de chez lui, il y a un magasin de théières. Alors quand il a demandé à tout le monde ce que chacun voulait boire, et que je ne m’attendais pas, à ce moment, à cette question-là, plutôt que d’avoir l’air idiot ou de paraître particulièrement lente et crétine (à chercher ce qui pourrait ressembler à de l'apéro sans en être), j’ai dit :
- Thé. Un thé. J’ai dit « thé » parce que l’image mentale du magasin d’à côté est restée imprimée dans ma tête.
J’ai préféré ne pas entendre ni attendre la réponse de cet ours mal léché (j’ai tout de suite détecté son cas, à sa façon de me regarder quand il a compris que je disais « thé » quand il disait « apéro ») et je suis immédiatement passée à la seconde question.
- Où sont les toilettes ?
Les toilettes étaient dans la salle de bain. Ce qui laisse toujours de bonnes perspectives quand on a l’intention d’y rester un long moment pour se faire oublier. J’ai fait ce que j’avais à faire et j’ai fouillé dans le placard au-dessus du lavabo. Des rasoirs, un savon encore emballé dans un film plastique, un tube de dentifrice, une bouteille de shampoing antipelliculaire dont j’ai enlevé le bouchon pour sentir. J’ai refermé la bouteille de shampoing et le placard et tiré sur le tiroir d’un meuble en-dessous du lavabo. Je pensais trouver des peignes, une brosse à cheveux, des allumettes peut-être, pourquoi pas j’avais remarqué une bougie sur la tablette de la fenêtre, mais j’ai trouvé des petites culottes, j’en ai extirpé une avec deux doigts, elle avait des dentelles, je l’ai posé sur le rebord du lavabo, une autre petite culotte suivait, un ton crémeux, romantique, du coton agrémenté de petits rubans en velours, je l’ai posé sur l’autre, ensuite il y avait un string rouge, en nylon, avec sur les cotés pour attacher le dos et le devant, un fil de perles en forme de clous. Je ne savais pas trop. J’ai réuni les trois culottes sorties et je les ai replacées, comme elles étaient, en chiffon, dans le tiroir. Je me suis regardée dans la glace. J’ai passé un peu d’eau froide sur mon visage que j’ai essuyé avec une serviette déjà un peu humide.
- Il a une petite amie voilà tout.
Je me suis assise sur le canapé sans rien demandé à personne. L’ours était dans sa cuisine. On m’a tendu un verre de vin blanc. J’ai profité de l’absence de l’ours pour demander sa situation sentimentale. On a bien sûr pensé que j’étais tombée amoureuse. Pan. Le coup de foudre. Je sentais bien que pour obtenir une réponse fiable, il fallait dire oui, alors j’ai dit oui. On m’a dit que le champ était libre. Alors que font ces petites culottes dans le tiroir de sa salle de bain ?
J’ai insisté malgré les regards interrogatifs. Il vit en colocation ? Il héberge une sœur ou une cousine ? Rien de tout cela à la connaissance des personnes présentes.
Il est arrivé les bras chargés de victuailles pour un dîner improvisé. Impossible de le regarder sans rougir. Ah, l’amour pensait les autres.
Je n’ai pas dit un mot de tout le repas. Quand on est amoureuse on a une boule dans la gorge, c’est bien connu. J’ai écouté les conversations sans les comprendre et je suis rentrée chez moi pas tranquille car intriguée par cette histoire de petites culottes.
Le téléphone s’est soudain mis à sonner.
Bien souvent je ne réponds pas. Ca m’ennuie de répondre. Les gens m’appellent de façon codée, ma mère c’est le jeudi soir entre 22h3O et 23h30 et le dimanche entre midi et 13h3O, mes copines laissent d’abord un message sur le portable ou un mail pour annoncer l’heure à laquelle elles comptent appeler, sinon c’est au petit bonheur la chance, parfois je réponds, parfois je ne réponds pas. Là je réponds.
- Bonsoir, c’est Louis.
- Louis ?
- Vous êtes venu chez moi ce soir.
- Ah…(L’ours mal léché).
- Je tiens à vous dire que je m’en fiche de savoir si vous êtes bien ou pas bien rentrée. Je vous appelle pour vous dire de me laisser tranquille. Putain.
Evidemment je n’ai pas su quoi répondre. Après une telle attaque verbale, on est scié, moi comme les autres. Des ours mal léchés on en rencontre souvent dans la vie, mais à chaque fois on est étonné par les trésors d’impolitesse, de grossièreté, qu’ils vont chercher pour faire leurs phrases. Moi aussi je pourrais dire « putain », c’est très facile de dire « putain ». Mais je ne préfère pas.
- Pourquoi un célibataire a t-il des petites culottes dans le tiroir de sa salle de bain ?
- Parce que ça m’aide pour me branler.
Branler. J’utilise un petit dictionnaire noir, le dictionnaire du français moderne de chez Hatier, il a été rédigé en 1969 (il y a même le prix griffonné au crayon à papier, 2O francs), par le certainement très honorable Maurice Remy, agrégé de l’université et Inspecteur d’Académie et à la suite du mot « branler » (étonnamment ce mot figure dans le dictionnaire) il y a cette définition : vaciller, osciller, remuer, hocher et ces exemples « une dent qui branle », « branler la tête ». Vient ensuite une définition, pour le sens figuré : impulsion première, « donner le branle à qqch ». Et puis il y a « branle-bas » : sur un bateau, préparation au combat, au sens figuré, grande agitation précédent un événement important. Merci Remy. Non, parce que j’étais décontenancée, une fois encore, je ne savais pas quoi répondre, alors j’ai pris vite fait le dictionnaire. J’ai toujours trouvé cela stupide de le mettre à côté du téléphone et je me demandais pourquoi c’est cette place-là que je lui avais attribuée ; mais je ne regrette plus ce choix.
- Vous avez besoin d’une certaine agitation avant le moment important. Je vois.
- Vous, vous êtes complètement barrée. Vous ne dîtes rien de cohérent. Vous ne faîtes rien de cohérent, car je vous ai regardé chez moi. En plus vous fouinez dans les tiroirs des chiottes. N’importe quoi.
- Je crois qu’il est préférable que je raccroche.
- Faîtes pas de fixette sur moi. Putain.
Trop tard.
Publié par les diablotins