Protecteur, responsable, impartial ?
Protecteur, Sarkozy le serait car il nous aurait sauvé du choc de la crise : aux maires, il expliqua mardi qu'il avait résisté aux injonctions des fonctionnaires de Bercy qui lui réclamait de baisser les dotations aux collectivités locales en 2009 à cause de la chute des recettes fiscales de l'Etat. Il faut donc oublier le Sarkozy qui, sous la pression de la rue et des manifestations monstres du 29 janvier 2009, dut convoquer en urgence un sommet social et lâcher 2,6 milliards d'aides et suppression d'impôts pour passer le cap.
Protecteur, Sarkozy le serait encore quand il fait la chasse aux paradis fiscaux, ou défend la régulation des marchés financiers. Qu'importe si les paradis existent toujours, si la spéculation déstabilise désormais l'Irlande et le Portugal. Protecteur, il le serait encore car il pense aux Français, surtout âgés. La réforme des retraites, « difficile, douloureuse, complexe », il l'a faite pour eux. « Le problème est réglé » a-t-il encore asséné jeudi. C'est faux. Dans 8 ans, il faudra renégocier une réforme. En attendant, le chômage des seniors progresse toujours. La dépendance sera sa prochaine grande cause humanitaire. Il faudrait oublier les franchises médicales, les déremboursements, les 2,5 milliards d'euros d'économies supplémentaires réclamées sur le budget de la Sécu l'an prochain (y compris la taxation supplémentaire des mutuelles), les fermetures d'établissements. Mardi, il a promis de renvoyer des médecins dans les déserts médicaux, lui qui a fait fermer 54 hôpitaux de province sur l'autel de la rentabilité.
Responsable, Sarkozy le serait car, depuis 2007, il ne ferait que son devoir. Comprenez-le : ses prédécesseurs avaient tellement reculé, esquivé, masqué la dureté des réformes à faire. Sarkozy, lui, assumerait ses choix et ses décisions. Cet éloge de la responsabilité, Nicolas Sarkozy l'a grandement servi cette semaine : aux agriculteurs, « je préfère venir quand il y a des difficultés.» Aux maires, «La première définition du responsable, c'est que c'est à lui qu'il revient de dire non.» Ou encore : « Les vraies réformes, les grandes réformes, elles sont forcément douloureuses et difficiles, sinon elles auraient été faites.» Il confond un peu vite impopularité et courage, incompétence et difficulté. La réforme de la carte judiciaire a supprimé des tribunaux de proximité, sous prétexte que rien n'avait changé depuis 1958. Où est le bilan ? Rapprocher des tribunaux est une chose, vider des zones rurales de leur justice de proximité en est une autre. Plus grave encore, Sarkozy a placé sa propre irresponsabilité comme une règle de gouvernance : quand l'association Anticor porte plainte pour favoritisme dans l'affaire des sondages de l'Elysée, le parquet la déboute au motif qu'un collaborateur du président bénéficie de la même protection pénale que son patron de président !
Impartial, Sarkozy le serait car au-dessus des partis. Il défendrait la justice, la séparation des pouvoirs, le rôle du Parlement. Il se serait « sacrifié » au nom de l'intérêt général. On doit oublier le pantouflage de ses proches et fidèles ; la fusion du renseignement intérieur désormais dirigé, depuis juillet 2008, par le fidèle Squarcini; les abus des faveurs de la République, légions d'honneur ou placards dorés au Conseil économique et social; les enquêtes des services secrets, au nom de la protection de l'Etat, sur des journalistes trop curieux; les entraves aux instructions des magistrats sur les affaires Woerth/Bettencourt; la manipulation des élections internes de la fédération UMP des Hauts-de-Seine pour le chemin soit dégagé pour son fils Jean, au grand dam de Patrick Devedjian; la chasse aux Roms l'été dernier, avec cette consigne discriminatoire écrite émanant du ministre Hortefeux, lui-même condamné pour injure raciste dans une précédente affaire.
Sur l'attitude, le « nouveau Sarkozy » se veut enjoué, consensuel, ouvert et cultivé. On savait déjà qu'il adorait la nouvelle vague et le cinéma italien, qu'il dévore les grands classiques de la littérature française. Voici qu'il conjugue désormais la langue française avec agilité. Exit Mireille Mathieu et Didier Barbellivien, les tacles contre la Princesse de Clèves ou le phrasé « populo » que l'ancien maire de Neuilly-sur-Seine adorait utiliser dans ses discours de terrain. Tout juste assume-t-il encore sa passion du vélo.
Partial, inefficace et...
Ce story-telling a trois objectifs. Primo, Sarkozy veut nous faire croire à une autre rupture que celle qu'il promettait en 2007. Pourquoi ne pas assumer son vrai bilan, la comparaison de ses promesses avec la réalité de ses résultats ? Sans doute parce que l'analyse serait terrible pour la cause sarkozyenne. Il fallait donc inventer autre chose, présenter Sarkozy comme une rupture en soi, un courage inhabituel dans l'action des présidents de la Vème République. Sarkozy, et non ses résultats, «est» lui-même la rupture. Pourtant, le bilan est déjà là : de son programme de 2007, il ne reste plus grand chose, si ce n'est que Sarkozy a bien joué son rôle de bouclier des riches. Exit l'environnement grande cause nationale, exit le pouvoir d'achat, exit le travail (la durée du travail en France est stable depuis 2002 !). Sarkozy a conservé les mots, mais oublié les actes. Depuis janvier, il s'attache encore à convaincre quelques cibles comme les agriculteurs. Il crie à la défense de la ruralité, icône identitaire plus facile à promouvoir. Il fallait l'entendre, jeudi dernier, devant quelques éleveurs. Mais qui a accéléré la fermeture des petits hôpitaux, la réduction des effectifs de police et de gendarmeries, le rétrécissement général de la présence publique sur les territoires ? Même sur l'insécurité, son thème de prédilection, l'échec est patent. Mois après mois, les bilans se succèdent et se ressemblent.
Secundo, les conseillers en communication veulent gommer l'image de Président des Riches qui colle à la peau de leur monarque. La réforme fiscale, annoncée pour juin prochain, ne sert qu'à cela. Débarrasser le bilan sarkozyen du bouclier fiscal et autres cadeaux pour riches, en prétextant une harmonisation de la fiscalité française avec sa voisine allemande. Le toilettage des niches fiscales, surtout celles en faveur des plus riches, n'a pas eu lieu : une douzaine de milliards d'euros à peine ont été trouvés dans le cadrage budgétaire 2011-2013, sur 173 milliards de niches identifiées. Et mercredi dernier, Sarkozy a confirmé à des élus UMP qu'il ne souhaitait pas la création d'une tranche supérieure de l'impôt sur le revenu. Ami des puissants, Sarkozy l'est aussi à l'étranger : au-delà des courbettes devant le président chinois, le gouvernement français protège toujours ses amitiés africaines, multipliant les obstacles procéduriers contre l'instruction des « biens mal acquis » par un quarteron de présidents africains autoritaires. La France, à l'étranger, a désormais l'image d'une république bananière et peu accueillante.
Tertio, il faut faire croire qu'il n'y avait pas, et qu'il n'y aura pas d'autre alternative. Les maigres réformes, mal gérées, mal négociées, mal expliquées, mal financées qu'il daigne encore porter aux nues sont présentées non comme des choix politiques discutables mais comme des exigences du monde moderne; Sarkozy loue le débat politique, mais il le refuse aussitôt en contestant toute critique. Sur la politique de rigueur, le débat doit pourtant exister : la rigueur sera-t-elle juste ? Ou les efforts, comme nous l'expliquent à longueur de tribunes Fillon, Sarkozy ou Lagarde, resteront-ils concentrés sur les classes modestes et moyennes ?
Mercredi, François Fillon recueillait la confiance de 326 députés godillots. On nous le présente toujours comme le grand gagnant du remaniement, après un discours de politique générale sans surprise. Il a bien prononcé le mot honni de rigueur, et à plusieurs reprises. Elève appliqué de son maître Sarkozy, Fillon déroula un programme convenu : réforme « profonde » de la fiscalité du patrimoine, concertation « consensuelle » sur la dépendance, soutien à l'alternance et l'apprentissage, etc. On ne sait toujours pas comment Fillon comptait améliorer la compétitivité de la France dans les 18 mois qui viennent, ni comment il espérait atteindre les 2% de croissance annuelle promis, quand la quasi-totalité des économistes privés tablent au mieux sur un petit 1,5%. On sait en revanche que la réforme fiscale ne sera qu'un nouveau toilettage pour riches.
Jeudi soir, les derniers chiffres officiels du chômage sont tombés. Le chômage aurait baissé de 20 000 demandeurs en octobre ! Le lendemain, la presse s'emballe... ou presque. Xavier Bertrand, ancien secrétaire de l'UMp recasé pour remplacer Eric Woerth au ministère du Travail se félicite de ces résultats « très encourageants ». Pourtant, la consommation des ménages, « moteur de la croissance française », en baisse le même mois. Que s'est donc t-il passé ? Il faut regarder, comme toujours, les statistiques de plus près. Ainsi, sur les trois premières catégories (A, B et C, soit ceux témoignant d'un « acte positif de recherche ») de demandeurs d'emplois inscrits à pôle emploi, leur nombre est en augmentation de ... 5 000 personnes sur le même mois. Bizarre ? L'ancienneté moyenne des inscriptions, sur ces mêmes catégories, a progressé de 6 jours en un mois, et de 43 jours en un an, pour atteindre ... 438 jours de chômage en moyenne. Sur ces mêmes catégories, le nombre de chômeurs de longue durée (plus d'un an), a progressé de 22 600. Les licenciements économiques ont cru de 10 400 unités. Les reprises d'emplois ont baissé de 2 200 personnes en octobre. On continue ? Les radiations pour défaut d'actualisation ont progressé de ... 17 000 personnes sur le seul mois d'octobre. Les radiations administratives, de 5 500 personnes. Comme par hasard, la baisse « officielle » du chômage est du même ordre... Seuls 2,28 millions de chômeurs sont indemnisés, soit toujours 49% du nombre total de demandeurs d'emploi. Le chômage baisse-t-il ? Non. Mais les effectifs de pôle emploi, oui.
... Dissimulateur
Ces belles histoires ne sont ... que des histoires, un portrait idyllique qu'on nous force à gober. Parfois, il y a des ratés, surtout en « off ». Il fallut attendre trois jours pour apprendre qu'il avait traité un journaliste, devant ses confrères interloqués, de « pédophile », vendredi soir dernier à Lisbonne, lors du sommet de l'OTAN. Il pensait faire de l'humour pour faire comprendre son message. Quel humour ! On a surtout compris que Sarkozy était secrètement apeuré par les risques de l'affaire.
L'affaire Woerth/Bettencourt est loin d'être terminée, celle de Karachi a bousculé les plans présidentiels. Pour la première, Sarkozy s'est débarrassé de l'encombrant Eric Woerth, ex-trésorier de l'UMP, ancien ministre du budget puis du travail qui n'avait su étanchéifier suffisamment ses deux fonctions. Pour la seconde affaire, l'Elysée est fébrile. L'audition de Dominique de Villepin, jeudi pendant 5 heures devant le juge Renaud Van Ruymbeke, a révélé combien le sujet est sensible. On fut déçu, par l'ancien premier ministre, de ne pas avoir de noms des bénéficiaires des rétro-commissions, ou de preuves plus écrites de l'existence de ces mêmes rétro-commissions. Mais quand même, Villepin a confirmé le soupçon, le même que celui de la police luxembourgeoise, ou de Charles Millon. Des dizaines de documents s'accumulent chaque semaine, depuis bientôt deux ans, pour démentir l'argumentaire sarkozyen.
Oui, Nicolas Sarkozy était personnellement au courant de l'existence de la société HEINE, établie au Luxembourg, pour faire transiter les commissions occultes versées aux intermédiaires de la vente des 3 sous-marins.
Oui, il a personnellement validé le volume de ces commissions ; des témoins l'affirment, des courriers l'attestent.
Oui, des intermédiaires sans rapport avec le contenu du contrat des sous-marins, le fameux « réseau K », ont été imposés à la dernière minute par l'équipe Balladur pour bénéficier de commissions faramineuses. Richard Mazens, l'ancien directeur de la Sofresa, l'a encore rappelé à Libération cette semaine.
Oui, Roland Dumas a forcé la main des Sages du conseil constitutionnel en 1995 pour valider les comptes de campagne d'Edouard Balladur malgré des dotations en espèces injustifiées.
Non, Sarkozy n'a pas expliqué pourquoi l'ancien gérant de cette société HEINE, Jean-Marie Boivi, après des mois de menaces à peine voilées, auxquelles Sarkozy, pourtant ministre de l'intérieur à l'époque, fut le seul destinataire à répondre par écrit, a touché 8 millions d'euros d'indemnités le 24 janvier 2009. Oui, la justice est entravée : le secret défense, que l'on croyait levé sur tous les documents demandés par les juges, protège encore. Le magistrat Marc Trévidic s'en est plaint, par écrit, à Alain Juppé dès lundi matin. Son collègue Renaud Van Ruymbeke s'est vu refuser l'accès aux locaux de la DGSE il y a 15 jours.
Ami sarkozyste, connais-tu le bilan de ton mentor ?