Van gogh, un homme de phosphore et de sang

Publié le 27 novembre 2010 par Abarguillet

  


   1853 - 1890

Zundert, les cris d’un nouveau-né retentissent. Premières plaintes humaines qui prendront un jour les formes torturées, lumineuses et sombres d’un mal de vivre envoûtant.

Famille traditionaliste, le père pasteur est apprécié de ses ouailles, la maman effacée, mais très présente écrit fort agréablement, dessine et pratique l’aquarelle.

Est-ce la fatalité ou le hasard qui place sous les yeux de Vincent une pierre tombale dont l’épitaphe porte son nom. Dans ce petit jardin de famille, un enfant sombre s’interroge.

Quelques mois avant sa naissance, un autre Vincent est mort en couche. Au cœur de cette famille nombreuse hollandaise, les enfants naissent et meurent selon les voies du seigneur. Les rêveries solitaires de Vincent se mêlent déjà aux murmures de la mort.

Dans la période formatrice du caractère de l’enfant, l’identification obsédante au terme des jours d’un mystérieux disparu est bien lourd à porter. Dans la solitude d’un être hypersensible, les sentiments les plus forts se fixent sournoisement. Plus tard, les spécialistes en charge de Vincent, évoqueront un complexe psychologique, un sentiment de culpabilité indéracinable, graduellement accentué, ainsi qu’une impulsion à se mettre en valeur par le sacrifice le plus total.

Que n’aurait-il pas fait cet excentrique roux, arpentant les chemins de campagne pour reconquérir, comme s’il remplaçait un autre, une identité perdue.

A un âge ou les gosses s’agitent autour des jupes de leur mère, le petit Vincent s’isole dans la nature et s’imprègne déjà des grands ciels contrastés et lumineux du plat pays.

Sa scolarité est discrète. Son regard bleu intense scrute la forme et la perspective, son premier dessin Ferme et hangar pour charrette se révèle intéressant.

Plus tard, le voici marchand de tableaux chez Goupil à La Haye, puis à Londres.

Après un réveil amoureux parsemé d’infortune, tour à tour aide-enseignant en Angleterre, prédicateur méthodiste, étudiant en théologie, le voici prédicateur, avec tous les excès de sa nature enflammée.

C’est un tempérament complexe, ou se mêle la bonté, la douceur, la tolérance et la tendance à l’explosion, à la colère et à la jalousie. Il est animé d’une compassion envahissante. Il porte en lui une immense capacité de prendre part à ce qui touche autrui dans un puissant désir de justice et d’éthique.

Il existe en lui une espèce de bipolarité, cela a pour effet de distiller l’angoisse et de mobiliser les affects brutaux et leur décharge subite. La prédication dans le pays minier du Borinage achève de mettre en lumière sa personnalité douloureuse et chaotique. Cette période est artistiquement fructueuse, elle décrit les scènes émouvantes et rudes de la condition ouvrière. L’époque est particulièrement sensibilisée aux idées humanitaires socialisantes.

Evangéliste prédicateur congédié, Vincent commence sa folle errance de visionnaire à travers le plat pays, soutenu par son frère Théo, son modèle et son ami de toujours.

La dualité de son tempérament est une entrave à l’affirmation picturale. La perfection technique est souvent sacrifiée à l’extériorisation des tensions internes. La vie affective connaît les mêmes difficultés et enfonce Vincent dans le labyrinthe de la solitude. Les premiers travaux et recherches picturales de l’artiste, après un bref contact avec le peintre Anton Mauve, remontent à l’époque de La Haye. L’introduction de la peinture à l’huile marque un tournant décisif au plan technique.

Après un retour au foyer parental, Vincent prend conscience que malgré les prévenances de ses parents il demeure incompris. Son père meurt, c’est pour lui l’occasion d’une brutale libération artistique, son premier chef-d’œuvre Les Mangeurs de pommes de terre. Ce tableau sombre et pathétique crie la condition paysanne. De retour à Anvers, il parfait sa connaissance de Rubens, le clair-obscur, et retrouve Théo à Paris. Il travaille à l’atelier Cormon où il fait la connaissance de sa famille étoilée, Toulouse-Lautrec, Emile Bernard, les pointillistes Signac et Seurat, les impressionnistes Pissaro, Gauguin et Guillemin. Chez le père Tanguy, il se passionne pour les estampes japonaises.

Arles, la lumière et la limpidité du ciel de Provence. A mi-chemin entre le vagabond et le prophète, cet homme de phosphore et de sang connaît les périodes les plus prolifiques de sa folle destinée. Pourchassé par le soleil, il embrase la Provence. Pyromane innocent, il consomme et consume la campagne à la manière d’un volcan roulant sa lave. Sous l’impulsion de son pinceau, la nature craque, se fend, crépite, devient une immense fournaise dans laquelle, comme un diable égaré, il s’agite éperdu. Sous un ciel lourd et étouffant, il n’entend pas les obsédantes plaintes qui remontent de ses entrailles agonisantes.

Un répit, enfin le croit-il, la visite d’un autre rude phénomène, l’anarchiste de Pont-Aven, le futur dévoreur d’espace exotique, Gauguin. Même combat, même énergie plutonienne, même goût pour l’absinthe, même course vers l’inaccessible étoile aux allures de walkyrie, mêmes tourments physiques et métaphysiques... et pourtant, et surtout, l’explosion la décompensation et la mutilation de l’oreille.

S’imprime plus violemment dans ses toiles, ce penchant pour la volute incandescente, cette propension à multiplier les brasiers dans tous les tons de l’arc-en-ciel... palette prolifique d’un dieu celtique à la conquête des vergers arlésiens, des paysages des Saintes-Maries de la mer, des oliviers et des blés de Saint-Rémy-de-Provence... mêmes tourments, mêmes souffrances de l’enfantement.

Dans les moments intimistes, Vincent se passionne pour les gens, les petites gens, qu’il fait trôner comme des rois dans ses toiles vives et contrastées.

Dans les périodes sombres de retrait et de solitude, c’est-à-dire dans la permanence de la quête, il se retrouve face à lui-même. Dans cet isolement autistique, il bascule dans la toile. Comme la phalène fascinée par la lumière, il vacille et chute, de l’autre côté de la vie... le temps universel qui se moque du temps. C’est le rituel du visionnaire épileptique, un des secrets de Vincent, l’autoportrait vrai.

Il nous délivre alors, avec rigueur et sincérité, l’ange déchu portant le monde, avec le regard bleu et pénétrant, l’authentique regard lucide et fou du sage visionnaire... viennent les tourbillons, les volutes fatales génératrices de cyclone dévastateur... le réveil dans le temps humain entouré de misérables hères, l’internement à l’asile de Saint-Rémy.

Là, par une nuit bleue et limpide d’avril, du fond de sa cellule, l’artiste prophétique immortalise un tableau cosmique dans une nuit tourbillonnante de mille feux.

Plus tard, dans un dernier sursaut d’inspiration, il reprend la route de l’Île-de-France. Auvers-sur-Oise, le Dr Gachet l’attend. C’est un original et inconditionnel de Vincent. Dans le Mercure de France, Albert Aurier, le critique d’art, publie le premier article sur l’artiste. A Bruxelles, la première toile du peintre, La Vigne rouge est vendue 400 francs.

Dans cette Île-de-France chère aux peintres de la fin du XIXe siècle, il rencontre un univers paisible et verdoyant, mais celui de son esprit est apocalyptique.

La petite église gothique d’Auvers, ultime rappel de son enfance sage, le plein ciel de la plaine d’un bleu vitrail, la sombre traversée tumultueuse et bruyante des corbeaux, le ciel alourdi soudain, l’or des blés mûrs crépitant, le rouge vermillon du sang de la terre... le choc !... Vincent, couché dans son plus beau tableau... crépuscule d’un Dieu.

Dans une mansarde, l’acte paisible, le premier, le dernier, comme un animal abandonné, sage comme l’image de la confiance et de l’amour, Vincent notre ami, foudroyé dans son plus bel orage... et l’orage s’éloigne apaisé.

   Jack MANDON

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