Qui a dit qu’il ne se passait jamais rien à Maré ? Sûrement pas moi !
L’activité culturelle de cette fin d’année n’a jamais été aussi intense dans l’île qui parle à votre cœur. Une librairie vient enfin de voir le jour, oui madame. Plus exactement, un rayon « livres » dans une des trois grandes surfaces du coin, à savoir le magasin « Golf » de Wabao. Enfin, pour être tout à fait exact, un emplacement réservé entre les chewing-gums et les Chupa Chups, où peuvent maintenant majestueusement s’insérer trois exemplaires de « Chef, oui chef ! », le dernier roman de ton serviteur.
Il s’agit du seul livre à la vente sur l’ile et ce, sauf erreur de ma part, depuis 1842 et l’arrivée des santaliers britanniques. A cette époque, les Blancs voulurent introduire de force le livre et la lecture dans la très traditionnelle société mélanésienne. Un différent éclata à Dranin, au sujet d’une traduction hésitante de Robinson Crusoé en nengone.
Les nouveaux arrivants finirent mangés en bougna, après huit heures de cuisson. Quant aux livres, moins comestibles que les ignames et moins fonctionnels que les casse-têtes, ils furent rejetés à la mer.
Depuis cette époque, le bouquin n’a pas très bonne presse à Maré, si tu me permets ce calembour approximatif. Mais les choses évoluent…
Sollicitée pour participer à la grande Révolution culturelle en marche, Marie, la responsable de « Golf », accepta ma proposition avec enthousiasme :
- ^^.
Et ne put s’empêcher de s’exclamer, alors que je lui apportais religieusement les trois exemplaires promis :
- Ooohhh, c’est beau, un livre !
Me voici donc le seul et unique écrivain publié à Maré. Je n’en suis pas peu fier. Une exclusivité totale et absolue que même M. Houellebecq, dans ses rêves les plus fous, n’a jamais pu réaliser.