Un nouvel osiris ...

Publié le 27 novembre 2010 par Rl1948

     Vous vous souvenez assurément, amis lecteurs, que j'avais consacré notre rendez-vous de samedi dernier à  évoquer les vases canopes mis au jour par les égyptologues tchèques dans la sépulture d'Iufaa, aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir. Et, par la force des choses, à  employer le terme momification.

   Ce sujet, dans le cadre de la petite enquête qui fut menée par deux de mes lecteurs pour retrouver le cercueil d'un fonctionnaire de la XXIIème dynastie, un certain Pami, fut également effleuré puisque c'est en définitive en salle 15 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre que nous avions retrouvé sa trace.

   Précisément dans une vitrine voisine de la célèbre momie qui, comme dans tous les musées du monde qui en possèdent, tant attire les visiteurs.

   Certains de vos commentaires, ici ou reçus par mails, m'aurorisent aujourd'hui un petit excursus aux fins de rapidement vous expliquer les différentes étapes de ce processus destiné à préserver au maximum l'intégrité physique d'un défunt de manière à lui assurer l'éternité et à en faire un nouvel Osiris.

   Il est en effet bon de rappeler que, selon le mythe osirien apparu dès les premiers Textes des Pyramides, la mort ici-bas peut être annihilée dans l'Au-delà si l'on a pris la précaution de reconstituer les différentes composantes d'un être : de sorte qu'est considérée comme cardinale la préservation de l'enveloppe corporelle dans une optique de durée, de façon que le souffle vital, le pouvoir de penser et d'agir ne soient pas irrémédiablement dissociés du corps charnel.

   Les savants égyptiens de l'époque, prêtres et médecins, excellents connaisseurs de la physiologie humaine, s'étaient évidemment très vite rendu compte de l'effet de la décomposition des chairs après un décès ; putréfaction non acceptable si l'on s'en réfère à la lettre du mythe de régénérescence osirien.

   Ils s'ingénièrent donc à mettre au point des solutions destinées à pallier cet inconvénient rédhibitoire.

    

   Et cette préservation que viennent encore renforcer le ou, parfois, les différents sarcophages, ainsi que, protection suprême, le tombeau lui-même idéalement conçu pour être inviolé, c'est ce que l'on appelle la momification.

   Les analyses de momies réalisées ces dernières années ont permis de mettre d'accord la communauté égyptologique quant au processus qui, selon Hérodote notamment, devait  pour certains hauts personnages, dont Pharaon, durer quelque 70 jours. Il est en fait très probable que ce délai soit exagéré et fasse tout simplement allusion au laps de temps pendant lequel l'étoile Orion n'était plus visible dans le ciel égyptien avant de réapparaître, symbolisant ainsi la période entre la  mort et la résurrection du dieu.  

   Au nombre de cinq, précédées et suivies de moments fort, les différentes étapes de la momification furent, essentiellement dès le Nouvel Empire, adoptées partout dans le pays par les embaumeurs officiels.

     Le premier de ces temps forts que textes et représentations dans les tombes nous décrivent à l'envi est constitué par le transport du corps, après le décès, acompagné de la famille et des traditionnelles pleureuses gagées pour venir, avec force cris et lamentations, clamer haut leur désarroi en se frappant la tête et la poitrine dénudée, vers le lieu d'embaumement à l'ouest du Nil : la Ouabet.

   En égyptien classique, ce terme signifie "Place de Pureté" ; les égyptologues ont pris l'habitude de parler de "Tente de purification" car c'était vraisemblablement un abri démontable en forme de T, édifié en matériau léger et recouvert de nattes tressées.

     Là, première étape de la momification proprement dite, le défunt était soigneusement épilé, puis lavé à l'eau additionnée de natron - rites de purification indispensables avant que commencent, sur le lit d'embaumement en pierre, les opérations véritablement chirurgicales.

   D'emblée, je précise que le natron est un dessicant composé de carbonate hydraté naturel de soude, de bicarbonate de soude, de chlorure et de sulfate de sodium qui, outre son pouvoir déshydratant, permettait de dissoudre les graisses. Il provenait de l'ouadi Natroun, d'où  son nom, région lagunaire en bordure occidentale du Delta du Nil, entre Alexandrie, au nord et Le Caire, au sud.

     Comme je l'ai tout à l'heure indiqué, les Egyptiens comprirent que pour éviter une décomposition bien naturelle sous des températures aussi élevées, il fallait le plus rapidement possible retirer les organes des cavités thoraco-abdominales. Pour ce faire, armé d'un couteau d'obsidienne au départ, en bronze par la suite,

le parachiste pratiquait une petite incision (entre 10 et 15 centimètres) sur le flanc gauche du corps, manifestement située, à tout le moins avant le Nouvel Empire, entre les côtes et la crête iliaque ; puis, par la suite, parallèlement au pli inguinal.  

   (Ci-dessus, cliché de l'important orifice d'éviscération de Ramsès II que je me suis permis de reproduire à partir de l'ouvrage de feu le Docteur Maurice Bucaille.)

   Placé sur la gauche du défunt, le prêtre embaumeur pouvait ainsi "facilement" entrer la main et le bras gauches dans l'abdomen pour en retirer les viscères qui, nous l'avons vu la semaine dernière, étaient traités séparément et confiés, dans la plupart des cas, à la protection de quatre vases canopes.

   Après s'être débarrassé du diaphragme, il accédait aux poumons puis nettoyait le thorax, tout en prenant évidemment soin de laisser le coeur à sa place dans la mesure où il était considéré comme le siège de l'intelligence, de la pensée, de la conscience, de la mémoire ...

  

   L'opération suivante consistait à extraire le cerveau, déjà reconnu, d'après des textes médicaux, pour son rôle dans la parole, la motricité et la sensibilité. Je dois à la vérité historique d'ajouter que cette excérébration ne fut pas toujours scrupuleusement respectée. 

   Quand elle était pratiquée, le prêtre embaumeur enfonçait une tige de bronze très pointue dans la narine gauche pour affaisser l'os ethmoïde - lame de moins d'un millimètre d'épaisseur - séparant le haut des fosses nasales du cerveau proprement dit. Ensuite,  maniant soit une spatule, soit un crochet plus acéré, il fourrageait à l'intérieur pour le réduire à l'état quasiment liquide.

   Il suffisait alors de faire pivoter le corps et de soulever la tête - ce qui, comme chez Ramsès II par exemple, pouvait entraîner une fracture des vertèbres cervicales -, pour que le tout s'écoulât par les narines.

   Il peaufinait alors le travail en introduisant à l'intérieur de la boîte crânienne, par les mêmes voies, un produit caustique qui finissait de dissoudre ce qui ne l'avait pas encore été.

   Dans la vitrine de gauche en entrant dans la salle 15 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, exposé aux côtés de la momie que nous avons vue au début de notre entretien, vous remarquerez peut-être le cuilleron nasal (N 1703) qui précisément servait à injecter les produits d'embaumement dans la cavité crânienne.

   Débarrassée de son contenu encéphalique, la cavité pouvait alors recevoir un liquide résineux bouillant à l'aide du même ustensile : en imprimant à la tête des mouvements répétés dans tous les sens,  l'officiant permettait au produit de tapisser les parois internes. C'est la raison pour laquelle on peut encore constater à la base du crâne des momies analysées par scanner, la présence d'une masse semi-circulaire qui correspond à la solidification, après quelques milliers d'années, des gouttelettes subsistant de cette résine. C'est ce que les scientifiques appellent le "bouclier occipital".

   Quand, à partir du Moyen âge, se développa un engouement pour obtenir des momies égyptiennes qui se vendaient à prix d'or et dont on se précipitait de fracasser la tête, c'était précisément pour récupérer ce produit résineux noirâtre qui, broyé, servait aux praticiens de l'époque pour "guérir" l'une ou l'autre maladie ou aux peintres pour mélanger avec d'autres pigments.

   De là, le nom perse de "Mummia", emprunté par les Arabes pour désigner cette poudre que les pilleurs de tombes exportaient vers l'Europe ; terme qui, par la suite, donna le français "momie" en vue de qualifier les corps embaumés. 

     A ce stade de notre rendez-vous de ce matin, il me semble opportun de vous faire remarquer un point qui, longtemps, intrigua les historiens : pourquoi, alors que le but était de préserver le corps pour l'éternité, les prêtres embaumeurs détruisirent-ils le cerveau de millions de momies ? 

     L'égyptologue français Jean-Claude Goyon estime personnellement trouver la réponse à cette question au paragraphe 8 du Rituel de l'embaumement qui préconise d'oindre la tête avec de l'huile d'oliban, d'abord, avec de l'huile de rattacher la tête et de rattacher le visage, ensuite. Puis, de prononcer les paroles : Ô Osiris N. [N étant ici employé pour le nom du défunt] Tu vas recevoir ta tête à l'intérieur de l'Occident.  (...) Ta tête est revenue à toi, elle ne sera plus séparée de toi et entrera avec toi sans que sa séparation puisse avoir lieu, jamais ! 

     Les onguents et les huiles avec lesquels le mort était traité ayant indiscutablement une valeur rituelle - ils permettent sa cohésion -, il est probable que la résine introduite in fine pour tapisser l'intérieur du crâne fût elle aussi considérée comme sacrée. Et à l'instar du mythe osirien dans lequel, après l'assassinat et le découpage du dieu par Seth, tous les morceaux furent retrouvés et sa tête "recollée" par Isis grâce aux baumes et autres substances employées, celle d'un défunt ainsi osirianisé - c'est-à-dire devenu un nouvel Osiris -,  lui permet de recouvrer sa totale intégrité.

   Au Musée du Caire, une vitrine expose une série d'instruments chirurgicaux utilisés par les embaumeurs.

     

   Eviscéré et excérébré, le cadavre était alors desséché par adjonction de natron que le taricheute introduisait dans l'abdomen sous forme de sachets et d'autres qu'il déposait à même le corps  ; sans oublier son exposition un long temps aux rayons du soleil. Je précise, ici aussi, que suite à une approche des plus approximatives qui fut faite au XIXème siècle du  texte grec d'Hérodote - traduction erronée qui a subsisté dans certains ouvrages jusqu'à nos jours ! -,  ce n'était pas par saumure, c'est-à-dire immersion dans un bain de natron liquide, mais bien par salage à sec qu'était pratiquée la dessication du corps des défunts ; tout comme celle, d'ailleurs, déjà à cette époque, des poissons.  

   Cette étape de déshydratation terminée, le défunt était lavé pour éliminer les résidus de sel sur la peau, oint de manière à apparaître rouge orangé, puis à nouveau à maintes reprises enduit avec onguents et huiles en vue de lui  rendre une certaine souplesse facilitant la dernière phase qui précédait immédiatement l'inhumation : la longue opération, par les prêtres bandagistes, de l'emmaillotage accompagnée de la récitation de formules d'incantation prévues par un usage bien codifié. Il serait alors une vraie momie.

     Ainsi rituellement préparé, protégé par les différentes amulettes - près de 150 chez Toutankhamon ! - glissées entre les nombreux niveaux de bandelettes de différents tissus ainsi que, parfois - souvenez-vous notamment d'Iufaa - d'une résille de perles de faïence bleues, le corps de ce nouvel Osiris pouvait être acheminé, à nouveau entouré de sa famille et des pleureuses, vers la tombe qui lui avait été dévolue ... 

   Commençaient alors d'autres rites qu'un jour, si l'occasion s'en présente, je vous expliquerai ...

   Je me dois d'ajouter, mettant ainsi fin à notre rendez-vous de ce dernier samedi de novembre, qu'existaient, toujours selon Hérodote,  trois types de momification distincts inhérents au rang social du défunt et de sa famille puisque tout le personnel d'embaumement était rétribué par des dons en nature : il est vrai que, et ceci corrobore les allégations de l'historien grec, les égyptologues ont retrouvé des momies dont le corps avait à peine été déshydraté et dont les viscères, restés à l'intérieur, étaient décomposés.

(Bucaille : 1987, 32 Figg. 2 et 4 ; Dunand/Lichtenberg : 1991, 27-39 ; Goyon/Josset : 1998 : 25-77 ; Goyon : 2004, 11-5 et 66-7 ; Janot : 1996, 245-53)