Le boycott saymal
Dans un article de la semaine dernière paru sur Libération, Benoist Hurel nous relate dans une tribune qu’une circulaire, oeuvre de Michèle Alliot-Marie, serait je cite « un attentat juridique d’une rare violence contre l’un des moyens les plus anciens et les plus efficaces de la contestation des Etats par les sociétés civiles, à savoir le boycott ». Émis par la Chancellerie, cette circulaire définirait l’appel au boycott des produits d’un pays comme une «provocation publique à la discrimination envers une nation», et serait punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
La suite de l’article, bien que partisane (et ce n’est pas un reproche), est bien argumentée… jusque là tout va bien.
Puis la suite vous la connaissez, téléphone arabe, information répétée, amplifiée… déformée… et voilà que sur le Post, c’est le boycott qui se retrouve réprimé et non plus « l’appel au boycott des produits d’une nation », l’auteur tombe des nues, crie au scandal etc… On est plus dans le partisan bien argumenté, on est dans le lapidaire un peu à côté de la plaque… d’ailleurs je prends le risque de vous le prouver.
Je boycotterai tout dispositif de sécurisation de ma connexion Internet labellisé par l’HADOPI, je boycotte Windows, je boycotte l’industrie du disque et je boycotte les médiators de guitare en écaille de tortue !
Si je reçois une convocation au tribunal, je vous balance un tweet, c’est promis !
Attention, ce qui va suivre est trollogène…
Cher C’est Nabum vous mélangez plusieurs choses.
« Le boycott d’un produit n’est plus un moyen légitime de protestation contre une nation. Non, le crime est bien plus grave, c’est du terrorisme économique, c’est une entreprise de déstabilisation d’un pays avec lequel la France peut parfaitement entretenir de juteux et profitables liens commerciaux. Le boycott devient un crime contre l’ordre marchand du Monde globalisé. »
Ce n’est pas le boycott, mais « l’appel au boycott des produits (tous les produits) d’une nation », un peu comme les américains ont boycotté tous les produits français quand Jacques Chirac avait refusé d’envoyer en Iraq nos soldats si vous situez. Ensuite je ne suis pas juriste, mais je suis quasi persuadé que l’appel au boycott est déjà réprimé dans notre droit français. Vous auriez cherché un peu, vous auriez pu par exemple tomber sur les articles 225-1 à 225-5 du code pénal qui vous explique que « la discrimination saymal » (à l’encontre d’une personne physique ou morale) et que le gros des dispositions date quand même de … 2006 ! Si vous trouvez que (jusqu’à… c’est une peine plafond, donc si vous gagnez le smic vous n’écoperez jamais de ça) 45000 euros et un an d’emprisonnement c’est lourd, qu’allez vous penser de celle-ci, je cite :
« Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 Euros d’amende. »
En outre je suis étonné qu’un 26 novembre, une circulaire qui date de février dernier vous émoustille autant, elle a bien une origine et cette fermeté affichée est à mettre en perspective d’une situation qui préoccupait le ministère de l’Intérieur, à savoir le boycott des produits israéliens, dans un contexte géopolitique tendu et sur fond de xénophobie dont il reste d’ailleurs des traces dans Google (mais on le dit pas comme ça dans la circulaire, ce ne serait pas politiquement correct).
Après libre à vous de vous demander si boycotter les automobiles Lada est plus grave que d’expulser des roms niveau «provocation publique à la discrimination envers une nation»…
C’est pas parce que la pré-campagne des présidentielles approche qu’on peut tout mélanger. En outre, gardons en tête que les quotas d’importation de certains produits, comme toute mesure économiquement protectionniste est un « demi boycott » d’État, cette circulaire de la chancellerie est donc à relativiser, et en conclusion : continuez à boycotter à partir du moment où vous ne troublez pas l’ordre public, personne n’en saura rien et si votre cause est juste vous ne serez pas le seul. Ce débat sur le boycott ne mérite donc à mon sens pas tant de passion, d’ailleurs regardez, même le pape ne boycotte plus l’usage du préservatif.
Merci à Sylvain
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