Le dramatique héritage des années bulles

Publié le 26 novembre 2010 par Copeau @Contrepoints

L’économie des années 1990 à 2008 restera celle de la croissance par le surendettement et la formation de bulle. Cette expérience sera sans doute à marquer comme l’une des pires de l’histoire économique du monde occidental. Car non seulement les crises à répétition que nous vivons, des « subprime » aux PIGS en passant par l’Islande, et peut être demain certains émergents tout aussi bullaires, provoquent des dégâts économiques directs incommensurables dont la presse se fait largement l’écho, mais encore l’héritage de l’économie de la bulle sera dramatique pour tous les pays qui l’auront vécue. Voyons quelques uns des effets secondaires indésirable des « Bubble-Nomics »

Des bulles et des dégâts…

Alors qu’une crise semble s’apaiser, une autre éclate. USA, Grande Bretagne, Irlande, Espagne… Et bientôt, qui ? La France ? La Chine ?…

Tous ces pays ont une caractéristique commune : une bulle immobilière s’y est développée. Et l’éclatement de cette bulle provoque des dégâts considérables, bien plus que la bulle des Dot.com, ou que les bulles pétrolières. Pourquoi ?

Les bulles immobilières ont deux caractéristiques qui, combinées, les rendent pires que les autres.

Tout d’abord, c’est une bulle qui se forme sur un bien dont la destination finale est, en grande majorité, la consommation. Et même si l’image populaire fait de l’immobilier un « investissement », c’est d’abord un bien de consommation, durable certes, à dépréciation naturelle lente certes, mais bien de consommation tout de même : si vous l’habitez, vous n’avez aucune productivité, aucun rendement à en attendre. La part spéculative de l’achat immobilier repose donc seulement sur l’espoir d’une plus value.

Deuxièmement, c’est un bien financé plus de neuf fois sur dix à crédit. Autrement dit, une bulle immobilière est la résultante d’un recours au surendettement finançant un bien qui ne crée aucun flux de cash. Lorsqu’une bulle éclate sur des dotcoms, essentiellement financée par du sur-investissement en capital, il reste, après l’éclatement, quelques entreprises leader et des nouvelles technologies en pagaille qui ne demandent qu’à continuer à fructifier, une fois que le tri a été fait entre concepts révolutionnaires et effets de mode. Mais en matière immobilière, lorsque la bulle des prix éclate, elle ne laisse derrière elle que la bulle des dettes, qui reste, et aucun potentiel productif.

Mais ce n’est pas tout. Outre des ménages sur-endettés qui cesseront tôt ou tard de rembourser leurs crédits, poussant leurs banques au bord de la faillite, les bulles immobilières, en explosant, entrainent nombre d’effets secondaires.

Pendant l’euphorie, une croissance surévaluée et un revenu réel disponible en baisse : La croissance réelle pendant les années bulle aura été proche de zéro aux USA, parce que les indices officiels de prix y tiennent très mal compte de la flambée des prix immobiliers. Le « niveau de vie perçu » n’a été que la résultante de l’accroissement de l’endettement des ménages, pas de leur capacité à créer de la valeur.

Pendant l’euphorie – du transfert anti social au mal logement : Si l’illusion de prospérité créée par la bulle immobilière peut, pendant quelques années, être un mauvais substitut à la croissance, cette illusion est socialement délétère. Car, en augmentant parfois très largement le prix de l’immobilier au dessus de sa norme historique, la hausse de l’immobilier entraine le paiement d’un « transfert anti-social », une « prime de bulle » payée au final par un groupe qui possède moins (les acheteurs, parmi lesquels nombre de primo accédants) vers un groupe qui possède plus (les vendeurs, parmi lesquels nombre de multipossédants et de personnes profitant de la conversion de leur foncier en terrain constructible). Ce transfert, en sommet de bulle, à représenté 275 milliards de dollars aux USA (source:cato institute), et 45 milliards d’euros en France (mes calculs, Cf. Mon livre), soit l’équivalent de l’impôt sur le revenu.

Pire encore, l’explosion du coût du logement a évidemment pénalisé les ménages les moins solvables qui n’ont pas pu avoir accès aux offres subventionnées : en France, on compte plus d’un million (1,3 millions précisément) de demandes de logement social non satisfaite et, selon les chiffres de divers organismes officiels regroupés par la fondation abbé Pierre, 600 000 familles « aux portes du logement », 3 millions de personnes en logement gravement déficient (#insalubre et/ou très surpeuplé), et 3 autres millions en logement « anormalement inconfortable » (#vétuste et/ou légèrement surpeuplé). En contrepartie, 35% des occupants de logement social en France avaient un revenu supérieur à la moyenne en 2003, et il n’y a aucune raison de penser que la situation ne se soit améliorée : la bulle provoque un afflux de demandes de classes moyennes vers le « social de standing », venant de familles mieux à même de franchir les barrières à l’entrée des organismes HLM que les plus pauvres (source).

Banques en faillite : Je document régulièrement ce point (en me concentrant sur les USA), inutile de trop développer. Rappelons seulement que du fait de leurs fonds propres maintenus volontairement à des niveaux ridiculement faibles, pour pouvoir tirer toujours plus de profit de la bulle, des taux de défaillances d’emprunteurs apparamment « sévères » mais pas cataclysmiques suffisent à mettre les prêteurs à genoux…

Collectivités locales en faillite :
Dans de nombreux pays, la fiscalité locale est assise sur la valeur des propriétés foncières. C’est particulièrement vrai aux USA, mais également en France. Résultat, les collectivités locales, voyant pleuvoir les rentrées fiscales miraculeuses pendant les années euphoriques, oublient la prudence la plus élémentaire qu’il convient d’observer vis à vis de tout « windfall profit » : au lieu de faire des réserves, nombres d’entre elles se lancent dans des emprunts somptuaires ou multiplient les cadeaux à leurs syndicats.

Résultat : en France, 30 conseils généraux sont virtuellement en faillite et 40 sont mal en point (rapport Jamet – la presse préfère parler de 10 départements tangents. Cela la regarde)

L’Irlande, qui fait tant parler, à doublé le salaire de ses fonctionnaires nationaux et locaux entre 2002 et 2008, au lieu de gérer en « bon père de famille » les surcroîts de rentrées fiscales.

Mais c’est aux USA que la situation des collectivités est la plus dramatique. 46 états sur 50 et nombre de grandes villes, de Los Angeles à Houston en passant par Chicago, sont au bord de la cessation de paiement, le marché des « munis » (municipal bonds), ces obligations émises par les collectivités locales, est en chute libre. A la base de ces situations, des recettes en chute libre (la taxe sur la valeur de l’immobilier est égale à 1 à 2% de la valeur des biens, annuellement. Une chute de la valeur des biens provoque dans les états les plus bullaires une véritable hémorragie – Les taxes locales sur les ventes au détail sont également en baisse du fait de la chute de la consommation) et une hausse des obligations de financement des retraites des fonctionnaires locaux qui ont obtenu des avantages délirants -et non provisionnés- au fur et à mesure que les états croyaient avoir trouvé en l’immobilier la pierre philosophale. Ce marché représente 2 800 milliards de dollars, en grande partie détenus par des épargnants individuels, puis des banques, assurances, etc…

Entreprises grevées par le mal-investissement immobilier : trop de capital et de dette sont allés s’investir et se prêter au secteur de la promotion immobilière, de l’immobilier commercial, et de la construction, tant dans le gros oeuvre que chez les sous-traitants. Des centaines d’entreprises qui ont cru faire l’affaire du siècle en se projetant en force dans l’immobilier alors que ce n’était pas leur métier sont obligées au mieux de licencier en masse, au pire de mettre clé sous porte. L’exemple le plus caricatural est celui de Dubaï World, détenue par l’émirat de Dubaï, secourue par le pétrole d’Abu Dhabi. Mais l’Irlande et l’Espagne sont également frappées de plein fouet par ce phénomène qui provoque une hausse du chômage quasi « verticale » graphiquement parlant.

Naturellement, tous ces chômeurs se révèlent moins que les autres capable de rembourser les crédits qu’ils se sont mis sur le dos… ce qui renforce le cercle vicieux des faillites bancaires.

Autres mal investissements : la croissance de la masse monétaire à cause du crédit a permis aux entreprises de vendre sans trop d’efforts « plus de la même chose », ce qui est un modèle de croissance peu vertueux, au contraire de celle basée sur des véritables innovations en pagaille, qui est la seule génératrice de véritable gains de pouvoir d’achat à long terme.

Pénurie d’argent pour les créateurs de richesse de demain : Faute de laisser la bulle de dette se dégonfler par faillites et ajustements, le législateur a provoqué un phénomène étrange. En effet, des tombereaux de liquidité artificielles viennent soutenir les grandes entreprises, mais les hausses d’impôts, de déficits et la chute des actifs bancaires tarissent tant le capital que le volume de crédit accessible aux PME. Le résultat est que, dans le monde entier, et surtout aux USA, là encore, les grandes entreprises se portent plutôt bien, mais les petites entreprises ne trouvent plus de financements pour se développer. Ce n’est pas avec cela que les USA résorberont les 8 millions de nouveaux chômeurs créés par la crise, ni l’epxlosion de leur chômage de « longue durée » (soit > 6 mois).

Des classes moyennes lessivées : l’épargne des ménages moyens a été aspirée par des logements qui ont perdu une part importante de leur valeur, alors que leur dette a explosé. Aux USA, ce phénomène de « lessivage » financier de la classe moyenne est sans doute l’obstacle de long terme le plus important à une reprise durable de l’économie.

Urbanisme – des quartiers entiers en déshérence : Des villes entières sont affectées par des taux de ménages en arriérés de paiement supérieurs à 50% : Las Vegas, Orlando, San Bernardino, Merced, etc… ce qui laisse augurer d’un nombre de maisons abandonnées et ne trouvant pas preneurs qui restera élevé dans les années à venir. Des quartiers entiers construits avec l’argent emprunté par les ménages « subprime » vont devenir des villes quasi-fantômes…

Et je ne reparlerai pas ce soir des sujets rebattus que sont la dette publique et les désordres monétaires engendrés par les politiques de relance, de stimulation, les sauvetages, etc… les réactions des états postérieures au retournement de la conjoncture feront autant voire plus de mal que la bulle elle-même.

Valeurs en déroute ? Mais le pire est sans doute une perte de valeurs et de civisme liée d’une part à l’insouciance des années bulles, où des millions de personnes ont cru qu’elles pouvaient s’enrichir en s’endettant, et d’autre part à la scandaleuse politique de soutien bancaire à tout prix des états, qui laisse croire aux populations qu’il vaut mieux être incompétent et malhonnête pour obtenir les bonnes grâces de l’état… et qui ôtent à toute une partie de la population qui n’était pas portée sur le détournement des lois tout scrupule à se jouer des failles du système.

En outre, le Japon, dont la bulle a éclaté il y a 20 ans et que des réactions politiques aussi ineptes que celles qui sont les notres aujourd’hui ont plongé dans une sorte de récession permanente, a vu tout un pan de sa jeunesse renoncer totalement aux vertus qui avaient fait la force de l’archipel lors du grand redressement d’après guerre : travail, sérieux, épargne… Les reportages sur la « jeunesse perdue » du Japon font florès, et le « prochain » éclatement de sa bulle obligataire (dont le timing reste à préciser), qui massacrera son système de retraites, devrait achever d’alimenter des comportements massifs de rejet et de ressentiment au sein de la société.

Comment en sortir ?

Tel est l’héritage terrible des « bubblenomics ». Pour en sortir, trois pistes sont indissociables :

1. Premièrement, dégonfler la bulle de dettes qui reste dans les économies occidentales par une faillite ordonnée des grandes banques insolvables et une levée des obstacles à la renégociation des en-cours de prêts des ménages « survivants ».

2. Deuxièmement, la refondation d’une économie capitaliste à nouveau fondée sur l’épargne et le capital, et non sur le crédit à outrance.

3. Troisièmement, la fin de toutes les politiques de restriction foncière, qui ont toutes, sous des formes diverses, entrainé la formation des bulles de prix observées sur 1/4 du territoire urbain américain et Canadien, et aussi en Grande Bretagne, Australie, Nouvelle Zélande, Espagne, Irlande, Chine, et naturellement, en France.

Enfin, le Foreclosuregate a mis en évidence une rétroaction positive entre formation de la bulle et comportements frauduleux des agents économiques finançant cette bulle. La répression des abus alors commis sera indispensable pour redonner un minimum de confiance dans la possibilité de trouver sa place honnêtement dans le système. Le moins que l’on puisse dire, au vu de l’absence de réaction pénale des administrations judiciaires américaines jusqu’ici, est que l’on n’en prend pas le chemin.

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Repris d’Objectif Eco avec l’aimable autorisation de Vincent Benard