Mais Ozon ne porterait pas son nom s’il n’osait pas à chacun de ses films.
Le burlesque maîtrisé et le boulevard réactualisé
Le pari est réussi, nous sommes bien en 1977, à l’aube des années 80, dans la bourgeoisie provinciale du nord de la France, et ça se voit : téléphone recouvert de velours, papiers peint orange, jogging rouge, et transistor baladeur, et gestuelle d’époque. Nos parents nous diront que c’est une perfection de reconstitution, que l’on s’y croirait, une petite larme de nostalgie s’égarant sur leur joue. Et on est d’accord. Le film de ce fait est très enveloppant, et vous donne une sensation de confort incroyable. Ici, le kitch est banni, nous sommes dans autre chose ! Le décor est un acteur en soi, peut être même le premier rôle. Cette multitude de détails soignés fait souvent rire ou soupirer la salle..
Caricatures et baisers volés
Suzanne Pujol, femme traditionnelle au foyer, est la « potiche » de la famille, à laquelle elle est dévouée et qui le lui rend mal. Robert Pujol, son mari, despote, et cruel, dirige sa famille et l’usine familiale d’une main de fer. Jusqu’au jour où il est pris en otage par les syndicalistes, et que la grève est déclarée. Sa femme prend alors les choses en main, et rien ne sera plus comme avant.
Catherine Deneuve, ouvre son parapluie de talents, en nous offrant un rôle de composition qui frôle la perfection. Tout comme Alain Delon dans Astérix, elle se parodie, et c’est un régal. Le personnage de Suzanne Pujol lui va comme un gant, et l’on est loin de la touche Jacqueline Maillan. Elle est plus souple, et plus subtile. Ici, elle nous mène par le bout du nez, une héroïne aussi fantasque que faussement soumise. Fabrice Luchini* incarnant Robert Pujol (le vrai prénom de l’acteur, et très beau en barbu!) est un menteur professionnel, ressemble à Gru, de Moi, moche et méchant, détestable, exactement comme on l’aime, à la bonne température. Là aussi, par rapport à la pièce (j’en ai visionné au moins 20 minutes sur You Tube !), il paraît plus grinçant, moins dupe, plus glacial que Jacques Jouanneau. Malgré tout, il est le nouveau Desperate Houseman! Karin Viard, rayonnante, et prodigieuse, est Nadège, la secrétaire maîtresse manipulée et néanmoins conquérante. Les enfants, Jérémie Renier en Laurent Pujol, sosie à couper le souffle de Claude François (notons le pantalon si bien serré), et Judith Godrèche, en une Joëlle Pujol au brushing Farrah Fawcett, sont excellents, et investis. Quant à Depardieu, en Maurice Rabin, Maire socialiste, est monumental, d’un bloc, efficace, et très touchant. Le couple Deneuve-Depardieu fonctionne, et nous évoque de doux souvenirs. Fort Saganne, ou Le dernier métro défilent à nouveau dans nos esprits, et leur complicité explique qu’une certaine jeunesse plane soudainement sur leurs visages en cette année 2010. Certaines critiques ont parlé d’un Ozon manipulant ses acteurs comme des marionnettes, et focalisant sur son propre plaisir, et bien non, il s’agit là d’une pièce de théâtre, et d’une scénarisation de personnages forts, complexes, et surtout volontairement caricaturaux. Potiche est à déguster au 10ème degré, chers spectateurs ! Ne vous limitez surtout pas au vernis bourgeois, plongez dans la révolte cinéphile, et ouvrez les yeux sur cette réactualisation rétro très audacieuse, de la vie patronale et syndicale ! Quelle chance et heureux hasard de sortir ce film après les manifestations d’octobre 2010, avant les élections de 2012, bref en pleine pression sociale, quel timing magique pour le réalisateur ! Ceci lui donne encore plus d’aplomb, et de modernité. Ceci nous rappelle aussi que les français n’ont pas changé en 30 ans !
La femme, toute puissante, est le pôle central du film. Ozon, comme d’habitude fait une ode à la femme. Elle est l’auteur de sa propre révolution, et filmée de près. Deneuve donne à Madame Pujol un peu de toutes celles qu’elle a été à l’écran, et ceci la rend d’autant plus forte et émouvante à la fois.
La potiche n’est pas celle qu’on croit. Dans certains couples, cette femme existe, mais de qui est-on la figurante, de soi même, de l’autre ? Les auteurs et Ozon prennent le pari, comme Hitchcock, de mettre cette Suzanne, personne ordinaire, dans une situation extraordinaire, et ça fonctionne, elle se surpasse. On est peut être que la potiche de soi, par facilité, acceptation, abnégation sociale. Une dernière question : si la pièce avait été jouée par Deneuve et Depardieu, l’auriez-vous vue ?
Voir le site officiel de François Ozon, très complet sur le film, le comment , le pourquoi, les acteurs, bref, tout !
Quel succès, après 2 semaines d'exploitation, Potiche compte 1 444 825 entrées (source françoisozon.com)
* Lire mon post du 15.10.10, rubrique théâtre "Fabrice Luchini, ou l'art du brushing verbal"
Mes films préférés de François Ozon :
Sous le sable, avec Charlotte Rampling
Goutte d’eau sur pierres brûlantes, avec Bernard Giraudeau
Huit femmes, avec Catherine Deneuve
Potiche, avec Catherine Deneuve
BONUS :
Best off Potiche :
La formidable scène à l’atelier de création des parapluies dans l’usine, où les motifs Courège nous rappellent Les parapluies de Cherbourg avec une grande nostalgie
Le plaidoyer de Karin Viard, militante féministe révélée, face au couple Deneuve-Luchini au bureau.
Les balayages de la main de Judith Godrèche de ses mèches blondes décolorées
La danse Deneuve-Depardieu dans la boîte de nuit, ou tout simplement les œillades de Depardieu envers celle qu’il a aimé !
Bruno Lochet (Les Deschiens), en délégué CGT, portant la moustache et le strabisme divergeant comme personne !
Elodie Frégé incarnant Suzanne Pujol jeune, une belle petite surprise de fraîcheur..
Le remix du discours politique de Suzanne Pujol, à la façon de Ségolène Royal, un grand moment.
La réplique de Robert Pujol :« Je ne te demande pas d’avoir un avis ma chérie, mais de partager le mien, et c’est déjà beaucoup ! »
Ce que dit Depardieu de Deneuve, (Ozon ne s’est pas trompé) :
« J'ai lu dans un sondage que tu étais la maîtresse rêvée des Français. Je sais qu'il y a des légendes qui courent autour de nous, que l'on phantasme sur notre couple depuis "Le dernier métro". Il y a un interdit entre nous. Tu es une idole bourgeoise et racée ; je suis un fils de paysan aux mains fortes, avec toute sa santé. Dans le film de François, tu te donnes brutalement à moi, sans pudeur, par terre, comme seules sont capables d'oser les femmes bien éduquées. Toi et moi, c'est presque une conquête sociale, la chance pour un gars de la terre un peu rustre d'être aimé par la plus belle femme du faubourg Saint-Germain. C'est la prise de la Bastille de l'amour ! ».
Gérard Depardieu, Livre "Lettres volées" 1988 (source : Toutsurdeneuve.free.fr)
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