L'âme du minotaure

Par Anne Onyme

Dominike Audet
vlb éditeur
880 pages

Résumé:

En septembre 1941, Katharina Lindemann, une jeune Berlinoise qui travaille pour le docteur SS Karl Gebhardt, se rend à Prague où elle passe la nuit avec un homme dont elle ignore alors l'identité. Le lendemain, Katharina découvre qu'il n'est autre que le général SS Reinhard Heydrich, nouvellement nommé Protecteur du Reich à Prague et chef des services de sécurité. Commence alors une passion charnelle teintée de domination. Heydrich s'efforce toutefois de conserver la tête froide pour mener à bien sa tâche, l'élimination des Juifs d'Europe, tandis que Katharina s'abandonne à ses sentiments, car elle ignore l'ampleur et l'horreur de la mission de son amant. C'est par la voix de Katharina que l'auteure raconte cette relation troublante, jusqu'à l'attentat dont est victime Heydrich et ses funérailles nationales en juin 1942...

Mon commentaire:

Quel roman imposant! L'âme du minotaure est d'abord un sacré pavé pour un premier roman. Son sujet est tout aussi audacieux: raconter l'histoire d'amour d'une jeune femme avec l'un des personnages les plus terrifiants de la seconde guerre mondiale. La démarche de Dominike Audet est tout aussi impressionnante: des années de recherche, une panoplie de détails sur les lieux, les personnages et les événements, plusieurs voyages à Prague, Berlin et Munich pour visualiser les lieux, du travail d'écriture dans les endroits où se sont déroulés les événements historiques, et surtout, l'apprentissage de l'Allemand et du Tchèque pour faciliter ses recherches et ses contacts avec les gens. Je suis totalement admirative de la somme de travail qu'il y a derrière L'âme du minotaure.

Ce roman, c'est une histoire d'amour intense où la passion est au centre de tout mais aussi la violence, le mensonge et les secrets. C'est un roman dérangeant et passionnant tout à la fois. Si les premières pages m'ont laissée songeuse, j'ai réalisé rapidement que Dominike Audet avait fait un travail de maître et que j'étais complètement happée par son histoire. Les pages défilaient à toute vitesse. Si les pavés vous effraient, ne vous laissez pas rebuter par ce livre-ci: il en vaut vraiment la peine. Cependant, si vous avez envie de lire ce roman, ne lisez pas la quatrième de couverture. Elle dévoile, quant à moi, beaucoup trop de choses... Je l'ai réduite de moitié dans mon résumé.

L'histoire est construite de telle sorte qu'elle nous offre souvent deux points de vue différents d'un même événement. La forme du roman est parfaite et nous permet d'entrer dans l'intimité des personnages, comme si une bulle entourait Katharina et Reinhard et que tout autour d'eux, l'Histoire s'écrivait.  L'auteure mêle bien les faits historiques à la fiction. La première partie est très proche des événements entourant la montée du nazisme. Naturellement, la relation entre Katharina et Heydrich est fictive, mais les événements qui l'entourent sont historiques. La seconde partie est en quelque sorte une uchronie sur ce qui aurait pu se passer.

Tout le long du roman, on laisse planer le doute sur les véritables activités des SS. Même si le lecteur d'aujourd'hui sait de quoi il s'agit, Katharina n'entend que des rumeurs et elle n'est pas dans le secret de ce qui se décide dans les bureaux ou pendant les réunions. Elle travaille pour des nazis, mais demeure quelque peu dans l'ombre. C'est une démonstration intéressante sur les raisons qui font que plusieurs  personnes plus ou moins proches de l'organisation disaient ignorer la véritable teneur des décisions.

Le roman devrait plaire à ceux qui s'intéresse à cette période sombre et tragique de l'histoire. La relation entre Katharina et Heydrich laisse planer une sorte de malaise pour le lecteur. Heydrich est dépeint comme un homme à deux visages: il est Reinhard avec Katharina et il est le général Heydrich avec le reste du monde. Katharina connaît le Reinhard qu'elle aime dans l'intimité et repousse les mises en garde de son entourage face à ce sombre personnage. Comme l'auteur nous fait entrer dans l'intimité du couple, elle donne aussi un visage humain au personnage terrifiant qu'était Heirdrich. C'est troublant, dérangeant et en même temps, on avance dans le roman en étant fasciné par la relation qu'ont les personnages entre eux. Il y a quelque chose de malsain dans cette histoire d'amour, qui allie tant la passion dévorante que la violence la plus terrifiante.

Dominike Audet réussit un tour de force avec cette histoire. Elle nous présente un personnage terrifiant, celui qui a mit en place "la solution finale" et qu'on surnommait "le boucher de Prague" et elle réussit à nous attacher à lui. Katharina l'aime. Elle le déteste, parfois, mais il fait parti d'elle comme elle fait partie de lui. Elle le suivra jusqu'au bout.

L'âme du minotaure est un premier roman maîtrisé, un travail d'écriture colossal, qui semble couler de source tellement les faits historiques sont bien imbriqués dans l'intrigue. Un livre remuant pour le lecteur, qui ne laisse pas indifférent puisqu'il se déroule au coeur d'une des pires tragédies humaines de l'Histoire. Un roman qu'on n'oublie pas, entre passions, complots, trahison, violence et déchirements.

Une auteure à surveiller, assurément!

Quelques extraits:

"J'avais compris un autre principe d'importance: les hommes, quels qu'ils soient, ont besoin qu'on leur dise ce qu'ils doivent penser. Il ne s'agit que d'avoir le courage de s'élever au-dessus de la mêlée et d'être celui qui indique la direction à suivre. Tous emboîteront le pas à quiconque ne semble pas douter de lui-même. C'était d'ailleurs pour cette raison que tant de gens suivaient Hitler: il ne doutait de rien. La foi d'Adolf Hitler en lui-même était plus grande que celle du croyant en son Dieu." p.670

"Tout, absolument tout, n'est qu'illusion. L'illusion de la grandeur, du pouvoir, c'est par cela que nous sommes dirigés." p.724

"Si le destin était écrit à l'avance, si le plan de Dieu était aussi parfait qu'on le dit, jamais je n'aurais dû naître. Ma naissance signifiait que Dieu mettait volontairement sur terre un homme destiné à ordonner la mort de millions d'humains avec la même aisance qu'il commandait un verre d'eau dans un restaurant." p.805

En complément:

On peut visionner la bande annonce du roman ainsi qu'une vidéo où l'auteur explique pourquoi elle a choisi d'écrire sur Reinhard Heydrich.