d'après Maupassant, nouvelle mise en vers par Balthazar

Publié le 26 novembre 2010 par Dubruel

il s'agit du début du volume 5 de "fantaisies et dérisions" 


ALLOUMA

Ex-banlieusard

Parisien et fêtard

Auballe possédait en Algérie

Une immense laiterie

Et cinquante hectares de vignes.

L’homme était indigne.

Le jour, il se promenait.

Le soir, on lui amenait

Une femme. Une fois, il vit,

Etendue sur son lit,

Une perfection humaine

D’harmonie rare et saine.

Elle s’appelait Allouma.

Auballe se pâma.

Elle se leva dans une attitude

De fière servitude.

Ses lèvres fortes, colorées

Se sont aventurées.

Mains derrière le cou,

Elle attira Auballe d’un coup.

Lui, sur la bouche animale,

Colla ses lèvres fermes et mâles

Et enlaça son corps nu.

Ce fut une joute soutenue

Sans paroles mais violente,

L’éternelle lutte galante.

Allouma, gazelle d’Afrique,

Avait des baisers dont la saveur

Etait celle d’un fruit des tropiques

Encore inconnue du noceur.

Puisque cette esclave,

Cette fille suave,

Cette femme qui avec ivresse,

Venait de s’offrir aux caresses,

Avait été jetée dans ses bras,

Auballe la gardera.

-«Je veux être correct envers toi.

Je te traiterai bien. Mais dis-moi

Qui tu es et d’où tu viens?»

-«Je suis fille de musiciens.»

Auballe s’attachait à la créature

Bien que cela parut contre nature :

Il ne l’aimait pas. Pourquoi le taire?

Elle avait un cœur trop rudimentaire

Pour l’âme passionnée d’Auballe.

Elle manquait d’exaltation sentimentale

Allouma lui semblait être une bête

Sans cervelle dans la tête.

Pourtant, elle le prenait,

Et elle le tenait…

L’été très chaud s’écoula.

Un matin d’octobre, il l’appela

Allouma ne répondit pas.

Toute la nuit, il la chercha.

Le lendemain, il la chercha.

Toute la semaine, il la chercha.

Aucune trace ne fut découverte.

Sa vie devint soudain déserte.

Puis des idées lui sont nées.

A-t-elle été enlevée, assassinée ?

Courant novembre,

Il la trouva à l’entrée de sa chambre.

« D’où viens-tu ? »

Elle se tût.

Redoutant une correction forte,

Elle restait près la porte.

Voyant qu’Auballe ne la battait pas,

Elle lui dit tout bas :

-«Je voulais errer avec les troupeaux,

Me rouler dans le sable chaud… »

-« Quand tu veux rentrer chez toi,

Désormais, préviens-moi »

…Et leur vie reprit normalement.

Mais dès les premiers jours du printemps

Auballe sentit que sa maitresse

N’avait plus la même gentillesse

-«Tu veux retourner chez toi ?»

-«Oui ! » Lui saisissant les doigts,

Elle les baisa rapidement

Et disparut précipitamment.

Auballe fut contrarié :

Elle avait fui avec l’un de ses salariés !

Cependant, convaincu de l’irraisonnable

Logique des femmes instables,

Il se surprit à dire :

« Sait-on ce qui les fait agir,

Ce qui les fait affectionner,

Suivre un homme puis l’abandonner ? 

Quelle influence impalpable,

Quelle impression insaisissable

Remuent le cœur changeant des filles

Qu’elles soient des champs, des villes,

Des faubourgs ou du désert ?

Par la suite, nos très chères

comprennent pourquoi elles ont agi ainsi,

Comme cela ou comme ceci.

Sur le moment, elles l’ignorent

Ce sont des jouets à ressort,

Esclaves des événements,

Des rencontres, des effleurements. 

Une fille de trottoir, aux Champs Elysées,

Avec mon cocher, se serait aussi éclipsée

…Et si Allouma devait revenir?

Hum !…Cela me ferait plaisir

Mais quel projet ! 

Pardonnerai-je à mon berger ? 

La jalousie naît de l’amour.

On le sait bien depuis toujours.

En Allouma, j’aimais la femme fatale

Comme on aime un animal.

C’était une bête sensuelle

Mais avec un corps de femme, elle.

Oui, avec les filles, il faut tolérer

…Ou ignorer ! »