On monte le son pour cette 31ème édition des vendredis du vin, à l’appel d’Eva, du blog oenos.net, pour un thème wine and blog and rock’n’roll. Accorder vin et musique n’a rien d’évident, et on pense plus spontanément à la musique classique ou au folklore local qu’au rock. A première vue on accorderait plutôt ce dernier avec une bonne Kro.
A moins de faire un petit détour par les couleurs (chacun son truc, pour trouver l’inspiration…) : entre la black attitude de la blackisphere et la rock’n’roll attitude, il n’y a qu’un verre, un verre de black wine bien entendu. Autrement dit de Cahors, un grand ténébreux à base de malbec-tannat-mourvèdre, qui sont un peu le trio guitare-basse-batterie du vin. On le croirait parfois Paint in Black, tant il est sombre, mais en ouvrant bien nos Black Eyed Peas, on voit bien qu’il serait plutôt pourpre bien profond :
Certains producteurs vont jusqu’à renouveler une technique médiévale. En chauffant une partie des moûts dans un chaudron, limite Black Sabbath, ils le concentrent davantage et arrivent ainsi à obtenir un vin réellement noir : Back in Black même. On passe du rock au hard ! Mais je tente aujourd’hui quelque chose de plus soft avec un des grands noms de la région. Un peu timoré, je me suis dit qu’en restant dans le top 50, je ne risquais pas de rencontrer de bad boy (ni de bad girl, mais ça c’était déjà fait au précédent VDV). Et en effet, ce Château Lagrezette 2004 ne semble pas de prime abord rouler des mécaniques, avec son look bien tradi, affublé en plus d’un petit tutu rose. Mais une fois qu’on met le son, il change un peu de registre.
Ah ce n’est pas le Commando Pernod (Béru carburait d’ailleurs plutôt au beaujolpif si je me souviens bien), ce serait plutôt le Père Noël Noir, du genre à vous rouler progressivement dans la farine. Car la robe est aguicheuse avec ses reflets violacés (87% de malbec) et le parfum joue du café et des fruits noirs (cerises, cassis, myrtilles). Mais la bouche est très boisée, à point que c’en est presque sec, malgré une touche sucrée. Espérons que cette dureté va se fondre avec le temps, sans que le sucrailleux ne prenne le dessus. Vinifié avec les conseils de Michel Rolland, c’est finalement du gros son pas très subtil. Certes, ça peut plaire… un moment, le temps d’une danse, ou d’un peu plus.
C’est l’occasion de s’intéresser un peu plus à ce black wine. De faire un petit flashback sur son histoire aussi tumultueuse que peut l’être celle d’une rock star, disons celle de Roy Black au hasard… Arrivés avec les Romains, c’est en fait avec les épousailles d’Aliénor d’Aquitaine et du futur roi d’Angleterre, en 1152, que les vins de Cahors commencèrent à devenir des stars internationales, avec beaucoup de fans de l’autre côté de la Manche. Les groupies en route vers le festival de Saint-Jacques de Compostelle lui assuraient également une bonne promotion.
Mais si les Beatles et les Stones ont bien été anoblis par la reine d’Angleterre, le black wine a lui connu quelques éclipses de la table royale. En effet, le cartel rival des jurats de Bordeaux ne l’entendit pas ainsi et favorisa l’écoulement de sa propre marchandise en rackettant les producteurs du Haut-Pays. Guerre des gangs de cent ans et phylloxéra achevèrent le travail, avant un revival à la fin des années 1940 et une lente, mais désormais inexorable progression dans les charts. Jean-Charles Chapuzet, qui signe Le roman du vin noir juste avant un livre consacré à Hubert-Félix Thiéfaine, vous conte cela de manière aussi vivante, mais avec un peu moins d’approximation historique, dans cet ouvrage de référence à déguster en écoutant ce vieux tube de Johnny.
Cahors – Le roman du vin noir. Jean-Charles Chapuzet. Préface de Michel Dovaz. 140 pages. Editions Féret. 2008. 15 €.