Anthologie permanente : Julio Cortázar

Par Florence Trocmé

 
Constatations sur le chemin 
 
Ce qui est élégiaque, inévitable, qui domine comme l’azur dans les vitraux gothiques, non seulement par le fait d’être ici, mais encore par le lecteur, qui n’est-pas-pour-rien-lecteur-de-poésie. Elementary my dear Watson
 
Derrière toute tristesse et toute nostalgie, je voudrais que ce même lecteur éprouve l’éclatement de la vie et la gratitude de quelqu’un qui l’a tellement aimée, comme ce que chantait Satchmo remplissant une mélodie banale de quelque chose que je peux seulement appeler communion : 
 
  I’m thankful 
  for happy hours, 
  I’m thankful 
  for all the flowers – 
 
Sentiment de participation sans lequel je n’aurais jamais rien écrit (il y a ceux qui n’écrivent que pour se séparer), participation qui participe à son tour à la bêtise et à la naïveté avec une fréquence très élevées, louées soient toutes les trois. Et ce dévouement franciscain à la découverte quotidienne de la même chose et par conséquent toujours nouvelle, et cet enthousiasme que seul Onitsura fut capable de résumer dans un haïku qui paraîtra stupide aux stupides 
 
  Fleurs de cerisier, plus 
  et plus aujourd’hui ! Les oiseaux ont deux pattes ! 
  Ô et les chevaux quatre ! 
 
  Onitsura, 1660-1738 
  Je traduis la version anglaise 
  de Harold G. Henderson.  
 
 
 
L’autre 
 
De quel lieu me vient ce regard 
qui quelquefois monte à mes yeux 
quand je les laisse sur un visage 
se reposer de la distance ? 
 
C’est comme cette eau de la citerne 
qui se dégage de son mystère, 
dans sa profondeur sans temps 
un ténébreux souvenir tremble. 
 
Métamorphose, rapt double 
qui me dévoile un être distinct 
derrière cette identité feinte 
de mes pupilles hallucinées.  
 
• 
 
Poème 
 
Trempé d’abeilles, 
dans le vent cerné de vide, 
j’existe comme une branche, 
et au milieu d’ennemis souriants 
mes mains tissent la légende, 
créent le monde splendide,  
cette bougie tendue 
 
Julio Cortázar, Crépuscule d’automne, traduit de l’espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle, coll. Ibériques, José Corti, 2010, pp. 101, 206 et 216.  
 
Julio Cortázar dans Poezibao : 
bio-bibliographie, ext 1 
 
 
 
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