Il était arrivé sous quelques sifflets, il repartit sous les applaudissements. Que s'est-il donc passé au Congrès de l'Association des Maires de France, mardi dernier ? Sarkozy aurait donc livré un discours convaincant, à en croire les commentaires médiatiques du lendemain.
L'an dernier, Nicolas Sarkozy avait séché l'évènement, prétextant un engagement international qui n'était autre qu'un voyage de plaisir avec Carla en Arabie Saoudite. Cette fois-ci, la réforme territoriale votée, Sarkozy voulait s'afficher, montrer qu'il assume son devoir. Pendant 46 minutes d'intervention, le monarque a joué un rôle, celui d'un président ouvert au dialogue mais concerné par l'immensité de sa tâche. Peu à peu, il teste son prochain discours de campagne, celui d'une nouvelle rupture, basée moins sur ses résultats que sur le devoir accompli.
En 2007, il promettait la lune. Pour 2012, il se montrera comme le recours, l'homme providentiel qui a réformé malgré l'impopularité. Et qu'importe les critiques, il faut que le story-telling tienne au moins jusque là.
La mise en scène
Sur place, mardi à Paris, le président français a joué l'improvisation, déchirant ostensiblement son discours avant de monter sur l'estrade. Fait inhabituel, Sarkozy préféra rester assis, à la tribune: « si vous me le permettez, je vais parler de la tribune, bien entouré que je suis par Jacques Pélissard votre président, André Laignel et Bertrand Delanoë.» S'abriter derrière le voisinage de quelques hiérarques socialistes fera joli sur la photo. On le verra, l'improvisation a des limites : deux jours plus tard dans l'Allier, il répètera mot pour mot des pans entiers de son discours devant les maires. Mêmes exemples, mêmes intonations, mêmes formules-chocs. On a l'habitude de ces « copiés-collés » ridicules d'un président qui s'écoute parler plus qu'il n'écoute. Le doigt souvent levé en l'air, son argumentation repose sur un triptyque désormais classique : « je vous comprends/ Mais nous n'avions pas le choix/ je devais le faire. »
Jamais le Président des Riches ne se prononce sur la justice, ou plutôt les injustices : hier le bouclier fiscal, demain la suppression de l'ISF; hier, les transferts de dispositifs sociaux sur les collectivités, demain le gel de leurs dotations publiques.
La pommade
Mardi, pour démarrer, Sarkozy usa donc de pommade et de compréhension : « Je vais vous parler très franchement, très librement, comme il se doit devant une assemblée de gens responsables. Parce que si vous êtes des maires, vous êtes des gens responsables, ce qui signifie, très précisément, que dans chacune de vos journées dans l'exercice de vos mandats,... » Il lève la tête «... vous devez dire plus souvent non que oui.» Cette éloge de la responsabilité, Sarkozy la refera, dans des termes identiques, jeudi 25 novembre, devant un parterre d'éleveurs. Ce président du « oui » à la protection de la rente et des fortunes, sait effectivement dire « non » aux juges indépendants qui enquêtent sur ses affaires Bettencourt ou Karachi.
«La première définition du responsable, c'est que c'est à lui qu'il revient de dire non.» 10 minutes à peine après le début de son discours, Sarkozy glisse déjà vers l'auto-justification. On la sent déjà venir, la défense de la réforme des retraites. « Un maire, devant les innombrables demandes de ses adjoints, dit plus souvent non que oui. Devant les innombrables demandes contradictoires ...» Le voici qui entoure un cercle imaginaire de ses mains «... de ses administrés répond beaucoup plus souvent non que oui. Et pourtant... et pourtant... Bertrand Delanoë a parlé de respect... on respecte davantage celui qu'a l'courage de dire non que celui qui pour des mauvaises raisons a la lâcheté d'égrener des oui de complaisance.» (applaudissements)
Les portes ouvertes
Le monarque répond ensuite à une précédente affirmation d'un maire socialiste, qui disait que si les problèmes sont mondiaux, les solutions sont elles locales. « Je voudrai vraiment m'adresser à vous de la façon la plus sérieuse et la plus profonde. Bertrand Delanoë, je pourrai signer son discours. Il me permettra juste un codicille... (...) je crois en la nation, je crois en l'Etat et on commettrait une grave erreur en criant qu'entre la mondialisation et la commune, la nation n'existe pas. L' Etat national est une idée moderne.» Le « Sarko nouveau » est consensuel et aime la langue française discrètement élaborée.
Mais plus la porte est ouverte, plus Sarkozy aime l'enfoncer avec conviction. Son rythme se fait plus rapide, il hausse le ton, lève doigt. Qui, au sein de l'AMF, soutient la disparition de l'Etat ? On ne sait pas. C'est même plutôt l'inverse. les maires sont inquiets du gel des dotations publiques. Sarkozy continue quand même, le doigt levé, en scandant ses propos : « trop nombreux sont les spécialistes, les mêmes qui hier nous expliquaient qu'il y avait trop de communes qu'il fallait les regrouper, sont aujourd'hui ceux qui nous disent qu'il y a trop de nations et qu'il faut également les regrouper ! La .. réalité nationale, l'idée nationale n'est pas contraire à la mondialisation, et n'est pas contraire aux terroirs locaux.»
L'orgueil
Il s'est retenu. Il a failli prononcer le terme désormais prohibé d'identité nationale. Qu'il est loin le temps où l'identité nationale se glissait dans tous les discours présidentiels, au début de l'année dernière, jusqu'à la funeste polémique immigration/insécurité de l'été dernier !
« Vous avez choisi comme thème de votre congrès, au fond, l'avenir. Si j'ai bien compris : demain, quel sera notre rôle, quels seront nos moyens ? Vous avez raison. Mais c'est la question aussi pour la France, quelle sera sa place ? Quel sera son rôle ? Quels seront ses moyens ? Ne jamais sacrifier l'avenir au présent, comment faire pour que la France reste la France dans un monde qui bouge à une vitesse stupéfiante, colossale.»
Nous y sommes presque. Sarkozy veut faire comprendre que sa tâche est rude, puisque celle des maires est rude. Jamais il ne prononcera de mots qui fâchent. Le président est courageux, mais téméraire. Tout juste a-t-on droit à une leçon de mondialisation, au passage : « Aujourd'hui, toutes les décennies, nous voyons arriver des nations qui travaillent plus que nous, des nations qui travaillent mieux que nous, des nations qui n'ont rien à nous envier en termes de technologies et de qualité de formation de leurs citoyens et de leurs nationaux. C'est ça le nouveau contexte !» Les portes ouvertes sont toutes enfoncées, passons donc aux fenêtres : « aujourd'hui, il n'y a plus une seule nation qui compte comme une donnée, elle compte quand elle mérite, quand elle s'adapte, quand elle se modernise, quand elle change ses habitudes, quand elle a l'audace de l'innovation. »
Le responsable
Nous y sommes : si être maire est difficile, alors comprenez combien être président est difficile. Croyez bien que sa tâche ne lui fait pas plaisir. Sarkozy parle désormais de lui, et pour lui. « Cette question qui est posée dans chacune de vos communes, et bien elle est posée dans l'addition de toutes ces communes qui fait la France.» Il faut une formule choc, une qu'il répétera également deux jours plus tard comme s'il testait déjà son discours de campagne : « Les vraies réformes, les grandes réformes, elles sont forcément douloureuses et difficiles, sinon elles auraient été faites.» On pourrait lui répondre, en le paraphrasant : les vraies bêtises, les grosses arnaques, elles sont tout aussi douloureuses et difficiles. Sinon, on aurait été convaincus plus tôt.
Puis Sarkozy lâche « un ou deux exemples », et se permet de citer la décolonisation par le Général de Gaulle (« les gens s'insultaient ! Une idée profondément conflictuelle quand le général de Gaulle l'a voulue »), l'abrogation de la peine de mort par François Mitterrand (« ça reste dans le mandat de François Mitterrand, comme un moment incontournable », dit-il en précisant que lui l'a évidemment votée, lui qui n'était ... même pas député à l'époque !), la légalisation de l'IVG par Valery Giscard d'Estaing. « Il n'existe pas de grandes réformes sans qu'il y ait de grands débats et de grandes oppositions. Et puis une fois que la réforme est faite, les choses se calment comme par miracle, comme si le pays reprenait son calme, son souffle... comme si chacun, à son tour, réfléchissait. Je prends la question des retraites, pour nous,... difficile, douloureuse, complexe, bien sûr... » Il grimace, quelques sifflets fusent, des applaudissements leur répondent. Sarkozy continue : « c'est pas parce qu'on siffle qu'on payera les retraites, c'est pas parce qu'on applaudisse que les gens seront contents ! » Mais quel culot ! Sa réformette des retraites, qui allège le déficit pour moins de 10 ans, et de façon injuste, la voici comparée à la décolonisation ou l'IVG... Sarkozy prend son impopularité pour une mesure de son courage.
Sarkozy embraye, le ton se fait plus grave, Sarkozy veut montrer le poids de la tâche qui est la sienne.«
je me suis trouvé dans une situation où 1,5 millions de retraités ne pouvaient pas être payés. (...)
un demi million d'emplois perdus dans l'industrie. On continue ? » lance Sarkozy. « On continue ? » répète-t-il.
L'agitation
« Tout ça nous a conduit à faire des réformes qui vous ont inquiété. » Le voici qui cite alors, en cascade, la réforme de la carte judiciaire (inchangée depuis 1958), de la carte militaire, des hôpitaux. Il multiplie les chiffres anecdotiques : les tribunaux d'instance distants de 18 kilomètres à peine, les 56 bases aériennes alors qu'il ne faut que 20 minutes pour traverser la France en Mirage 2000-5, les 69% d'hôpitaux de France en déficit. Jamais il ne fait de bilan : les gens sont-ils mieux soignés ? La fermeture des petits tribunaux de proximité a-t-elle rendu la justice plus rapide, plus efficace, alors que la population française a cru de 15 millions d'habitants en trente ans ? Et que dire de la tarification à l'acte, imposée aux hôpitaux, qui privatise, de facto, leur fonctionnement ?
Sarkozy nous menace du sort de la Grèce et de l'Irlande, s'offusque du niveau de dépense, d'impôt et de déficit du pays. « Est-ce que vous croyez qu'on nous féliciterait tous si on était obligé de faire la quête sur les marchés internationaux si notre note était dégradée ? » L'argument est avoué, il faut rassurer les agences de notation. Sarkozy mélange tout, manipule aisément son auditoire : « Qui peut me reprocher de vouloir accrocher la France sur l'exemple magnifique, économique et exportatrice de l'Allemagne ? » Qui lui reproche cela ? Personne. Sarkozy se sert de l'Allemagne pour défendre le bouclier fiscal (jusqu'en juillet dernier), puis la suppression de l'ISF (depuis juillet). Quel rapport ?
Sarkozy s'est donc sacrifié. Il fallait ces réforme : « Tout ceci on l'a fait, ça vous a inquiété, ça vous a posé des problèmes et on l'a fait en trois ans et demi. Mais j'aurais tellement aimé éviter tout cela si la réforme judiciaire, la réforme militaire, la réforme hospitalière étaient derrière nous. Et là on en arrive à la réforme territoriale.»
Eloge de la simplicité... ou pas
Le sujet est en or. Sarkozy répète à nouveau des arguments connus : le mille-feuille administratif territorial était devenu incompréhensible. « Depuis 30 ans, chacun considère que notre système est épouvantablement complexe, qu'il manifeste des déperditions d'énergie considérable.» Vis-à-vis des maires, son propos est plus facile : la réforme territoriale ne touche pas les 36 500 communes. Elle fusionne les conseillers régionaux et généraux, à la faveur d'un redécoupage électoral sur-mesure et contestable. Mais elle place le financement des collectivités sous la coupe des arbitrages parisiens.
« Je n'ai jamais été de ceux qui pensent qu'il y a trop de communes. Parce qu'au fond, ces 500 000 conseillers municipaux, ces 36 500 communes, c'est peut être aussi pour ça qu'en France il fait si bon vivre. On a autant de communes que tous les autres pays d'Europe... Mais au fond, y a un savoir-vivre à la Française qui est peut être aussi la conclusion, l'héritage d'une démocratie locale extrêmement vivante.»
Sarkozy n'est pas à un paradoxe près. Son éloge de la simplification s'arrête aux départements et aux régions. Les élections cantonales, puis sénatoriales partielles, sont prévues l'an prochain. On est jamais trop prudent. Tout juste se permet-il de critiquer le nombre de structures intercommunales.
Le protecteur
L'inquiétude des maires restait forte sur leurs ressources futures. Sarkozy marchait sur du velours ... pour 2010. Prévoyant, il a laissé 1,1 milliard d'euros de plus au budget que le montant de la taxe professionnelle supprimée. Pour les années futures, il promet une « clause de revoyure ». Sarkozy aborda le gel des dotations de l'Etat aux collectivités locales. « En 2009, l'Etat a garanti 98 milliards d'euros... C'est pour vous dire... c'est pas une petite somme. » Et il précise aussitôt qu'il a joué au protecteur des communes quand, l'an dernier, des « gens à Bercy » lui demandaient de répercuter sur ces dotations la baisse de 20% des recettes fiscales générales du pays... Ah ! Si nous n'avions pas eu Sarkozy ... « On doit s'expliquer sur les déficits...» roulement de tambour... Le monarque va ressortir sa vieille antienne : les collectivités locales, comme la sécurité sociale, doivent assumer leur part de la rigueur. Et Sarkozy fait un joli tour de passe-passe : l'Etat ne pesant que 35% de la dépense publique, il ne peut supporter seul l'effort de réduction des déficits... Mais quelle est la part des collectivités locales versus l'Etat dans le déficit public ? Sarkozy le concède : leurs budgets sont équilibrés, loi oblige.
« Mais, mesdames et messieurs, c'est la France ! Quand on calcule nos déficits et notre endettement... peu importe la faute à qui ! » Le nouveau Sarkozy est bien loin du Sarkozy de campagne régionale. Ce dernier était allé jusqu'à organiser des conférences sur le déficit ... des collectivités locales, voulant en faire un thème électorale contre les régions majoritairement à gauche. En vain...
Passé ce sujet épineux, Sarkozy confirma un joli cadeau, une mesure facile, presque inconséquente : la simplification de la réglementation : « il n'y aura plus une seule norme proposée au vote de l'Assemblée nationale ou du Sénat ». Il fut évidemment applaudi.
Le social
Mardi, Sarkozy voulut conclure sur d'autres de « nos » enjeux nationaux, déjà évoqués la semaine passée à l'occasion du remaniement : gros laïus, donc, sur la dépendance, sa prochaine grande loi qu'il promet pour l'automne 2011 : « comprenez que pour moi, l'affaire des retraites et l'affaire de la dépendance, ce sont des sujets absolument nationaux qu'il faut affronter.» Le nouveau Sarkozy est donc compatissant, généreux, à défaut d'être social. Le Président des Riches a une sale image qu'il tente d'effacer.
Second sujet, la santé, ... « je ne comprends ce qui se passe. » Il continue : « il n'y a jamais autant de médecins dans notre pays » (heureusement, vu l'augmentation de la population). 210 000 précise-t-il en regardant ses notes. « Et en même temps, on a des régions entières... même pas des départements qui ont une démographie médicale désertifiée. Avec certains quartiers de nos villes, qui ont une hypertrophie de la représentation médicale. » Sarkozy pensait sans doute à Neuilly-sur-Seine. Mais son cerveau pourtant habituellement habile ne parvenait pas, ce mardi à Paris, à faire le lien avec la suppression des petits hôpitaux qu'il justifiait quelques minutes avant... Il lâche une promesse : « nous allons vous aider (...), nous allons complètement repenser le statut des médecins. » Il propose de revoir le financement des études des internes en instaurant un engagement en contrepartie d'implantation dans les zones mal servies.
Troisième et dernier sujet, ... « le problème de la sécurité. C'est un sujet qui touche toutes les sociétés modernes... Une violence de plus en plus barbare, sans limite, sans règle, sans remord. » La formule est belle, bien choquante. l'homme qui la prononce fêtera ses 10 ans d'inaction sur le sujet en 2012 prochain. On attend des propositions, ou une explication sur le bilan. Et bien non. Rien ne vient. Sarkozy explique qu'il recevra des maires « de toutes tendances confondues » pour en discuter. La lutte contre la délinquance, après 8 années d'échec sarkozyen, serait donc devenue... consensuelle ?
Le persécuté
Sa conclusion, Sarkozy la veut « plus personnelle ». Il loue l'engagement. « C'est tellement facile de faire de l'amertume assis sur sa chaise et regarder les autres se débattre.» Mais il glisse sur une allusion, encore une fois, à son propre sort : « Que ce soit l'engagement syndical, l'engagement associatif ou l'engagement politique, il est utile à notre pays. Et je n'aime pas beaucoup l'évolution des choses qui fait que c'est toujours ceux qui s'engagent le plus qui sont le plus dénoncés, le plus attaqués, le moins respectés. Je veux dire à tous ceux qui nous regardent, y compris le système médiatique, respectez donc ceux qui ont le courage de se présenter devant le suffrage universel. Je dis à la classe politique dans son ensemble: donnons l'image de gens respectables (...) qui dialoguent et qui tirent le débat vers le haut. Je suis inquiet parfois. Il y a suffisamment de sujets qui permettraient de nous opposer au service de notre pays en tirant tout le monde vers le haut. Il y a suffisamment d'enjeux complexes, où il n'y a pas de 'prêt-à-penser' idéologique, qui mériteraient des débats de haut niveau. Ce n'est pas la peine qu'on se prête, les uns et les autres, à des émissions ou à des polémiques qui tirent tout vers le bas, qui avilissent tout, qui ne respectent rien, et qui conduisent finalement à donner une piètre image d'une démocratie qui a besoin de femmes et d'hommes comme vous. »
Cette leçon de morale politique est à peine surprenante. Vendredi, Sarkozy s'amusait à traiter un journaliste de pédophile pour illustrer son propos.
deux jours plus tard, en déplacement dans l'Allier, cette fois-ci sagement assis, Sarkozy a commencé son intervention par la même « improvisation.» : « c'est ma façon de vous respecter, de ne pas ânonner des notes qui m'ont été répété. » Puis il répéta, mots pour mots, des tranches entières de son discours prétendument improvisé quarante-huit heures avant devant les maires de France, les mêmes exemples sur la réforme judiciaire ou militaire, les mêmes incantations sur la responsabilité ou l'art de vivre à la française.
Le spectacle doit continuer.