Il s’appelle Stéphane Liévin, brigadier chef et officier de police judiciaire au commissariat d’Orléans. Représentant du personnel pour le syndicat majoritaire Unité SGP Police, il a accordé un très long entretien au sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS, à lire en intégralité sur le site de ce dernier. Paroles d’un flic de base lucide sur la mystification sécuritaire.
Voici comment le chercheur introduit le texte de l’entrevue : « Discours sécuritaire, police de proximité, fabrication des statistiques, lutte contre la petite délinquance, recherche de solutions éducatives, sentiment d’isolement du policier, problèmes de recrutement, d’affectation et d’encadrement, délitement des moyens, double discours de l’Etat, risque de privatisation et de municipalisation de la sécurité… voilà un policier de base qui réfléchit et qui n’a pas peur de dire ce qu’il pense même si ça ne va pas forcément dans le sens du vent, y compris du vent policier. » Jugez plutôt d’après les larges extraits que nous publions (l’original fait 17 pages !) : « ce que je nomme «discours sécuritaire» est le discours selon lequel la police est la seule capable de régler les problèmes d’insécurité, et qui met donc l’accent sur les seuls acteurs de la sécurité (police, gendarmerie, justice). On peut également parler de discours «ultra-sécuritaire» ce qui est un doux euphémisme au regard de la politique prônée depuis 2002 place Beauvau. Depuis presque trois décennies maintenant, les pouvoirs politiques successifs ont largement emprunté leurs discours sur la sécurité aux quelques universitaires qui se sont intéressés de près à ce sujet. Dévoyant souvent les conclusions de ces chercheurs, ces pouvoirs politiques successifs ont fait leur petit marché dans ces doctrines diverses et variées pour ne garder que ce qui pouvait les intéresser afin de justifier la mise en place de leur vision politique. Ils ont donc tranché, comme souvent dans le vif et sans aucun discernement, en opposant systématiquement deux notions pourtant reconnues par les professionnels de la sécurité comme complémentaires : prévention et répression. (…)L’amalgame entre gauche et laxisme ou le déni de responsabilité de Sarkozy
Le fait de vouloir s’intéresser davantage aux causes de l’insécurité (causes sociales, éducatives, économiques,
sociologiques…) qu’à ses conséquences passait pour une permissivité inacceptable. Les événements de mai 1968 ont d’ailleurs participé à cette idée selon laquelle «les
Tuer la police de proximité pour une politique du chiffre inefficace
Pour la première fois, la notion de «police de proximité» a tenté de rompre avec cette opposition systématique entre prévention et répression. C’était une vision républicaine de la sécurité grâce à laquelle la population pourrait disposer d’une police qui marcherait à ses côtés mais qui saurait, lorsque ce serait nécessaire, user de la force pour parvenir au rétablissement de l’ordre public. (…) Les déclarations de Nicolas Sarkozy dans ce domaine résonnent encore : «Pourquoi une politique vantée comme étant aussi bonne a-t-elle obtenu des résultats aussi mauvais ?» Le raccourci n’est pas très habile et pourtant, encore une fois, ça marche. Personne ne trouve à répondre. (…) Nicolas Sarkozy a mis toute son énergie pour discréditer et pour mettre fin à la police de proximité. Un directeur départemental de la Sécurité publique de Haute-Garonne l’a payé cher. En 2003, Jean-Pierre Havrin sera humilié au cours d’une opération de communication bien préparée. Les médias sont présents en nombre. Les policiers sont invités, par une conseillère en communication du Ministre, à parler uniquement de leurs opérations de prévention. Un des fonctionnaires choisit d’évoquer les matchs de rugby avec les jeunes du quartier. Le «sarko-show» peut commencer : «l’organisation des matchs de rugby n’est pas la mission première de la police…» Les policiers sont invités à revenir «aux fondamentaux» du métier tels qu’il les conçoit. Le but est atteint, la police de proximité est discréditée. Pour autant, le ministre de l’Intérieur de l’époque ne dira jamais directement qu’il veut mettre fin à cette organisation policière. Tout juste assumera-t-il vouloir la réformer en profondeur. Devenu président de la République, Nicolas Sarkozy portera un nouveau coup pour enterrer définitivement la police de proximité le 29 novembre 2007, devant deux journalistes venus à l’Elysée pour l’interroger : «le rôle de la police n’est pas de connaître les délinquants mais de les arrêter». La ficelle est énorme mais, une nouvelle fois, pas de contradicteur ou presque. (…) La doctrine originelle de la police de proximité, si elle avait bien la volonté de rapprocher le policier du citoyen, n’avait en aucun cas pour but premier, de voir des policiers se promener dans la rue «pour saluer la boulangère à huit heures du matin» comme a voulu le faire croire de manière caricaturale Nicolas Sarkozy à son arrivée place Beauvau. En effet, il suffit de reprendre les publications de l’époque à ce sujet. Il était en effet question d’occuper le terrain pour s’attaquer à l’insécurité. Il était question de créer davantage de coordination et de communication entre les services pour que les renseignements collectés au plus proche du terrain puissent être exploités à tous les niveaux. Il s’agissait de donner toute leur importance aux services tels que les Bac ou les sections d’intervention. La police de proximité devait permettre aux policiers de connaître davantage le terrain et la population qui l’occupe afin d’être plus efficaces (…) Certains policiers, assez rares il faut le reconnaître, reconnaîtront bien l’utilité de cette politique sécuritaire en reconnaissant qu’un policier qui connaît le terrain et ses habitants est un policier plus efficace. Cette idée semble d’ailleurs avoir fait son chemin ces dernières années avec l’application d’une politique du chiffre destructrice de motivation et surtout assez stérile pour le règlement des problèmes de fond. (…)La manipulation des statistiques