Patricia Laranco vit dans son poème repliée sur elle-même comme cette boule de silence qui se tient tapie au fond de sa gorge dans une somnolence repue mais provisoire.
Certes, on voit qu’elle résiste mal à la tentation de s’étaler sur la page, d’y prendre ses quartiers – rêves et plus encore cauchemars – mais c’est quand son vers devient mince et tranchant, qu’il oublie les articulations trop visibles de la prose, ses accumulations, ses redites insistantes, qu’il avance sur un rythme plus ou moins syncopé, toujours accablant, que sa poésie prend tout son sens.
Qu’on ne s’y trompe pas : ce désir d’abondance, ces impressions qui s’accumulent volontiers jusqu’à l’excès sont à la fois une façon de partir à la recherche de soi-même, de mesurer ses contours, d’éprouver aussi bien la réalité du monde que sa propre existence, et le signe indiscutable d’un manque, d’une solitude.
Patricia Laranco se définit elle-même comme une épine de chair . Son destin la voue à l’enfermement. Comment y échapper si l’individu est cette île posée sur l’océan (cf. poème A l’Île Maurice), gonflée comme un sein plein de fausses promesses, et voué à la cruauté de l’exil ? Il me semble justement que les mots sont pour elle un moyen de conquérir un espace qui lui appartienne enfin, d’où elle ne se sente pas exclue – à l’écart dit-elle sobrement. Mots qui vont se déployer sur la page en sombres caravanes, en noirs essaims, avec une tranquille obstination d’insecte.
Cette conquête est douloureuse. D’étranges lueurs circulent dans ces vers en dépit de la venue possible d’une douceur caressante : forêt sanglante de néons qui investissent l’espace d’un brouillard tremblant comme une peur ; brasseries rutilantes dont les violentes rousseurs vous piègent avec le puits sans fond de leurs miroirs vertigineux ; reflets cramoisis du vitrail où un oiseau offre aux regards ses ailes pourprées et son poitrail ensanglanté. A la fois stridence d’incendie (rouges klaxons) et opacité des nuits dans un univers poisseux où le vent se tord, où le silence étire ses minutes moites. Etrangeté des objets. Murs.
Où s’ouvrira pour elle la porte d’un espoir ?
Jean-Paul GIRAUX
(Préface à un manuscrit encore inédit, intitulé L’Heure du Guet)