Dans son nouveau CD, « Lunatic », dont la sortie a été à l’origine d’un mouvement de foule lundi à Paris, le rappeur livre des textes fracassants. Rencontre avec un phénomène qui ne mâche pas ses mots.
Booba petit ourson? Gros nounours plutôt, avec montre en diamant et chaîne en argent. Le rappeur français aime tout ce qui brille : bijoux, voitures et succès. Son 5e album, « Lunatic », sorti lundi, s’annonce triomphal et devrait être numéro un des ventes dès la semaine prochaine. Un phénomène qui agite les foules, comme lundi soir, lors de sa dédicace mouvementée au Virgin Mégastore des Champs-Elysée, dépassé par l’événement.
« Le dispositif de sécurité n’était pas adapté à l’affluence. Encore une fois, l’impact du rap a été sous-estimé. » Surtout du sien, qui pèse de plus en plus lourd dans le paysage musical hexagonal. « Cela me surprend encore parce que c’est toujours une musique boycottée par les radios. Au lieu de penser artistique, ventes, elles voient noirs, arabes, banlieue, délinquance. C’est honteux. » Car le grand gaillard de 33 ans, de son vrai nom Elie Yaffa, originaire de Boulogne, né d’un père sénégalais et d’une mère française, est aujourd’hui un homme d’affaires qui gère une société de production musicale et une autre de vêtements, « une vingtaine de personnes ». « Et encore, je pourrais faire mieux si j’avais accès aux médias. » Booba n’a pas d’état d’âme tant qu’il peut toucher le plus grand nombre. La très sérieuse « Nouvelle Revue française » disserte sur ses textes, lui qui ne lit jamais de livres — « Le dernier c’était au mitard, un truc sur des cafards géants. »Benjamin Biolayest le premier impressionné par son écriture. « Avec tout cela je devrais passer sur Chérie FM et RTL, non ? » Le boss du hip-hop a au moins conquis la « Star Ac », il y a quelques années. « Je voulais montrer que je peux dire bonjour Madame, au revoir Madame, sans pisser dans les loges, sans faire un coup d’Etat au micro. C’est un travail sérieux, un business pour moi. Il n’y a pas de différence entre moi etJohnny Hallyday. » Pas étonnant que, avec cette démarche à l’américaine, Booba soit désormais installé à Miami. « Là-bas, on ne me regarde pas de travers, il n’y a pas de discrimination — ce qui m’a toujours insupporté ici. Pour un métis, c’est encore pire. Ma mère, avec qui j’ai grandi, était blanche comme ceux qui tenaient des propos racistes dans des dîners que j’entendais étant gamin. » « Fuck la France », balance-t-il rancunier dans l’un de ses nouveaux titres. « Quand je vois Guerlain, qui nous crache à la gueule, en parlant du travail des nègres, en direct, sur le service public et qui n’est pas poursuivi, je me dis que ce pays n’en a rien à foutre de nous. On ne m’a jamais donné envie de m’intégrer, jamais montré que j’existais. Comment tu peux y arriver quand les seuls Noirs que tu vois sont chauffeurs de bus ou vigiles. Moi, le premier médecin noir que j’ai vu, c’était en détention. Et je n’ai jamais voulu choisir un avocat noir, j’avais peur qu’on ne le prenne pas au sérieux. » Il explique ses années sombres de prison pour vol aggravé et tentative de meurtre par « l’ennui, l’incapacité à se projeter ». « Je n’avais pas d’Obama qui pouvait me laisser croire que je pourrais être président de la République. Il y avait Noah ? Un mec qui chante et danse pieds nus. On est encore dans les clichés. C’est quand tu te présentes avec un costume cravate parmi des hommes d’affaires qu’on te respecte. » Alors, forcément, il savoure sa revanche en jouant d’égal à égal avec des stars anglo-saxonnes présentes sur son disque comme P. Diddy, T-Pain ou Akon. « On me reproche parfois de me balader en Lamborghini. Mais t’es obligé de leur en mettre plein la gueule pour qu’ils te regardent et t’écoutent autrement. Mais quand j’écris, je reste le petit rappeur de banlieue que j’ai toujours été. »L'interview de Booba en vidéo