Belle et rare unanimité : la plupart des économistes, la majorité des politiques, en appellent à l’Innovation Technologique pour nous sortir de la langueur et du déclin relatif. Le propos est souvent plus intuitif qu’argumenté mais il convainc.
L’innovation, bien sûr, peut nourrir le mécanisme, on ne peut plus classiquement capitaliste et matérialiste du soutien de la demande et de la compétitivité internationale par une offre sans cesse plus performante, plus belle, plus fonctionnelle, etc…
Mais l’innovation peut aussi rendre cette démarche de croissance quantitative compatible avec d’autres préoccupations plus « élevées » portant sur la préservation de la planète, le vieillissement de la population, l’augmentation de notre efficacité énergétique, bref la durabilité de notre train de vie.
Le lien entre innovation technologique et science ne fait pas non plus de doutes. Ce qui peut alors inquiéter en revanche c’est l’évolution de nos sociétés face à cette science.
Car, plus en Europe qu’aux U.S.A. et dans les pays asiatiques, et peut-être plus en France que dans l’Europe germano-nordique, on décèle une forme d’angoisse et de désenchantement à l’égard des sciences et technologies sophistiquées, si ce n’est parfois de la pure hostilité.
Comment expliquer un tel revirement après deux siècles, au moins, de foi dans le progrès scientifique et dans son aptitude à améliorer le confort, la qualité du travail, la santé, à résoudre, à terme plus ou moins rapide, tout problème quantifiable ?
Assez simplement, à notre avis, par le fait que l’appréhension psychologique de la science par le citoyen moyen ne se fait, majoritairement, pas au travers de prodiges cachés au fond de son ordinateur ou du contrôle électronique de son véhicule mais dans la sphère vitale médecine/biologie/santé. Or, dans ce domaine, le bouleversement est déstabilisant, et le non-initié (non scientifique) n’a plus la rassurante et linéaire impression d’une boîte à outil sans cesse plus perfectionnée apportant une solution (un antibiotique, un vaccin, une prothèse…) pour chaque problème.
- La science médicale, au sens large, est tout d’abord devenue profondément opaque au profane, par son exploitation de l’infiniment petit, par la fusion de la physique, de la chimie et des mathématiques au plus profond de la vie cellulaire.
La « vulgarisation » par les analogies mécaniques et intuitives que nous apprenions à l’école, avec le cœur-pompe qui « envoie » le carburant oxygène aux moteurs-musclés n’est plus possible.
- Le développement de cette branche particulière de la statistique, l’épidémiologie, s’appuyant sur des instruments de mesures toujours plus sensibles et des séries de plus en plus longues, est générateur d’angoisse. Il permet de déceler, souvent a posteriori, toujours plus de « risques » inconnus ou négligés auparavant, et cela pour des situations et des expositions infiniment moins extrêmes que dans le cas de l’amiante. Ainsi les listes d’effets secondaires possibles s’allongent toujours pour nos médicaments les plus courants, ainsi on peut prouver que le pauvre bedeau de Notre-Dame, étant plus exposé que la majorité mécréante à la fumée tremblante des cierges, risque dix fois plus de mourir de certaines maladies…
- Non seulement le risque devient général et sournois, mais du fait des progrès de la génétique il apparaît injuste. Cette science a fait d’énormes progrès conceptuels et thérapeutiques mais elle réintroduit des notions de fatalité et d’injustice qui perturbent notre société profondément égalitariste. Nous n’avons pas tous la même mécanique, avec les mêmes vulnérabilités, qu’il suffit de réparer avec les mêmes outils.
- Enfin, le système de santé est en crise morale et financière et le coût croissant de la protection médicale, comme le caractère considéré souvent comme peu humain de l’accueil médical, sont souvent imputés à sa technicité croissante.
Ces trois aspects se combinent et on peut comprendre, sans le partager, le sentiment diffus et pessimiste de beaucoup de nos concitoyens, occasionnant parfois des comportements régressifs, une allergie à l’industrie et un moindre intérêt -extrêmement dangereux sur le long terme- pour les disciplines scientifiques.
En résumé, des sociétés comme la nôtre, cultivant plus l’aversion au risque, plus protectrices et égalitaristes et, il faut le reconnaître, moins « jeunes » démographiquement et moralement que les Etats-Unis ou l’axe du Sud-Est, risquent d’être gagnées par une dangereuse réserve à l’égard de la science. C’est un défi culturel et éducatif majeur pour la France.