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L'amour propre

Par Clarac
Lundi 08/11Un étudiant près de la fac. Il a l’air soucieux, préoccupé. Où sont  passées  l‘insouciance et la légèreté de la jeunesse ? Il ne les connait pas ou juste de nom. Bien sur, il a des amis étudiants qui ont ce luxe. Depuis ses 18 ans et son bac en poche, il doit se débrouiller pour ses études. Les bourses et une chambre à la cite U, c’est largement suffisant  d’après ses parents. Ses deux mois d’été, il les passe à l’usine à trier des morceaux de poulet.  Cette année, il va devoir trouver un emploi en plus de ses cours à la Fac. A son âge, il fait déjà des comptes d’apothicaire. Calculer sur ce qu’il mange, sur les tickets de bus. Pendant que ses amis font la fête le jeudi soir, il bosse dans un fast-food. Ce week-end quand il rentrera, ses parents lui monteront fièrement le nouveau salon en cuir. Mais, attention, pas le droit de s’assoir dessus. Non, non, ou alors en mettant un plaid. Il ne faudrait pas l’abîmer. Il a coûté cher. Mercredi 10/11A peine mi-novembre et les jouets commencent à envahir les rayons du supermarché. Un petit garçon se tient devant les poupées. Il se dandine, hésite puis choisit la boîte d’un poupon. Sa mère la lui retire : "mais mon chéri, les poupées ce n’est pas pour les garçons". Il la regarde de ses grands yeux. Ce petit bonhomme de quatre ans ne comprend pas la réaction de sa mère. Déterminé, il reprend la boîte. La mère s’agite, se passe la main dans les cheveux. Elle le prend dans ses bras et s’éloigne au plus vite du rayon. Lui, il tend toujours la main vers les poupées. Que va-t-elle faire ?   Lui répéter qu’on ne joue pas à la poupée et s’angoisser. Elle doutera et posera des questions de  façon détournée à d’autres parents. Dans des magazines, elle lira qu’à cet âge, les tendances  se profilent. La peur, la panique s’immisceront. Elle guettera avec appréhension chaque geste de son enfant. Alors que lui, il voulait seulement une poupée pour s’amuser. Lundi 15/119h30. C’est une heure creuse, peu de monde au centre ville. Deux femmes avancent côte à côte. Chapeaux  de pluie bien enfoncés, pouponnées, elles discutent. A cause des travaux, les passants marchent sur des passerelles étroites. Je peux suivre leur conversation orientée sur leurs enfants et les loisirs. Elles font partie d’une classe sociale aisée. Peu de monde peut-être ce lundi matin dans les rues, mais certaines personnes sont déjà installées. Généralement une petite boîte par terre et un bout de carton sur lequel elles sont assises. La main tendue et cette phrase répétée à longueur de journée "une petite pièce s’il vous plait". L’une des deux pose sa main sur le bras de sa voisine et lui dit d’un ton solennel "Vous savez, je ne suis pas raciste mais… " . Elle marque un temps d’arrêt pour avoir l’accord de continuer. Un souple mouvement des lèvres l’a invité à continuer ."Je ne donne qu’aux Français". Elle poursuit sa litanie : il y a trop d’étrangers en France. Stupidité, racisme ? De tout façon, ça l’indiffère.Ca ou autre chose. Entre gens du même milieu, on se fréquente. Bien entendu. La position sociale, l’argent dressent et maintiennent  bien des barrières.Mardi 16/11Au guichet de la poste, une employée visage fermé et autoritaire. Son collège est parti chercher un colis. Elle se lève et va regarder son écran. Avec un dédain non dissimulé, elle dit "hum, il n’a même pas validé sa dernière opération ". Elle, c’est  l’employée modèle. Aux réunions, elle doit s’assoir au premier rang et sourire au chef. C’est tellement important pour elle  de se faire bien voir. Déjà petite,  à l’école, elle se désignait spontanément pour aider la maîtresse. Sur ses bulletins scolaires, sa gentillesse était toujours mentionnée. Le soir, elle rentre chez elle avec ce sentiment d’une journée de travail bien faite. Les remarques désobligeantes ? Rien à faire. La conscience professionnelle avant tout. C’est son credo. Dans quelques années, elle fêtera son départ à la retraite. Elle invitera tous ses collègues. Pour l’occasion, elle achètera une jolie robe, du mousseux et des gâteaux apéritifs. Personne ne viendra ou  presque se cachant derrière une excuse de dernière minute. Son chef sera présent, il regardera discrètement sa montre. Quand il la remerciera pour toutes ses années de bons et loyaux services, elle aura une petite larme d’émotion. Elle sera triste de quitter cette grande famille qu’est le monde du travail. Son chef se dépêchera de finir son discours, pressé de renter chez lui. Il pensera qu’il était temps qu’elle parte. A faire trop de zèle, elle aurait fini par prendre sa place. Jeudi 18/11Au supermarché. Deux femmes d’âges différents avancent doucement. L’une a une canne, elle s’appuie sur le bras de celle qui l’accompagne. Le même ovale de visage, la même bouche, la ressemblance entre elles est flagrante. Mère et fille qui font quelques courses ensemble. L’une a pris de son temps pour aider l’autre. Elles sont au rayon où l’on trouve des mouchoirs en papier et des produits d’hygiène. La discussion s’engage : "non, j’en prendrai à la pharmacie. Je ne veux pas passer à la caisse avec". "Ecoute, tu n’as pas avoir honte". Le paquet de couches pour l’incontinence urinaire est mis dans le cabas. Je les retrouve au moment de payer. Celle qui s’aide d’une canne, baisse la tête. Elle n’ose pas affronter le regard la caissière. Son amour propre est malmené. Il doit être ravalé ou camouflé sous le mouchoir au fond de la poche. Payé, mis dans le sac, elles se dirigent vers la porte de sortie. "Tu vois, ça a été". Pas de réponse. Démarche saccadée, petits pas calculés pour cette jeune femme de trente ans. Sa mère, le regard protecteur et aimant, l’aide et porte le sac. Il n’y a rien à dire de plus…

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