Eté 1939 en Alsace. François n'a que 15 ans lorsque Strasbourg est menacée d'invasion par l'armée allemande. Pour protéger la population, le gouvernement organise l'exode des familles alsaciennes vers le sud de la France. Hélas, quand la guerre éclate, les expatriés n'ont d'autres solutions que de rentrer chez eux. Un retour dans une ville occupée où la propagande hitlérienne est déjà à l'œuvre. S'en suit alors pour la population un embrigadement de tous les instants qui poussera certains d'entre eux à prendre leur destin en main. Celui de François sera de marcher, malgré lui, dans les pas du diable...
- Editions Petit à Petit -
Seulement 167 pages pour raconter avec justesse et réalisme la tragédie alsacienne, celle de ceux qui se nommeront eux-même les Malgré Nous, ces jeunes entre 18 et 29 ans contraints d'intégrer l'armée allemande durant la Seconde Guerre Mondiale parce que leur région fut annexée au Reich.
" On estime à 130 000 le nombre de jeunes incorporés de force."
Ce roman ne décrit pas cette incorporation et la vie militaires de ces jeunes. Il en raconte les raisons, la vie en Alsace pendant l'Occupation, à travers le personnage de François, un adolescent contraint de s'engager en 1943, l'année de ses dix-huit ans. Son incorporation clôt le livre.
" Je m'appelais François Cellier.
Aujourd'hui, mon nom est Frantz Weinkeller.
Je devrais même dire : Ich bin Frantz Weinkeller ".
Le roman s'ouvre sur l'été 1939. L'approche historique se fait au quotidien, sans pathos, au rythme de la vie de François - narrateur -, de sa famille de boulanger à Strasbourg. L'auteur pose les faits, en explique les conséquences sur la population, en les intégrant parfaitement à son récit, aux discussions entre les personnages, ayant choisi d'utiliser des " types " ( le vieux client juif, l'ami d'enfance dont les racines sont en terre allemande, fasciné par la doctrine nazie ...) plutôt que d'écrire de longs discours. Toujours accessible et concrète, elle rappelle ainsi le passé particulier de la région alsacienne :
[ après avoir entendu à la TSF que la Wehrmacht envahissait la Pologne ]
" - Qu'est-ce qu'ils nous veulent encore, ces Allemands ?
- L'armée française vaincra, ils viennent de le dire. Hitler n'est, après tout, qu'un petit caporal...
- Ma pauvre Jeanne, tu es bien naïve...Il y a un peu plus de vingt ans, mon père et mon frère sont morts dans les tranchées à Verdun. Ils ont donné leur vie pour sauver leur patrie et rendre l'Alsace à la France. As-tu déjà oublié l'annexion ? s'emporta-t-il ?
Un sanglot étouffa sa voix.
Je savais ce qu'était l'annexion, ma mère aussi le savait. Si les anciens de notre région ne parlaient pas le français, c'était bien à cause d'elle. Ils avaient grandit sous l'emprise germanique. De 1870 à 1918, notre région ainsi que nos voisins lorrains avaient été contraints de se plier aux lois et au dialecte allemand.
[...] La guerre lui avait enlevé sa famille. Ma mère n'était pas naïve, elle avait peur. "
Puis s'écrit l'Histoire. Par mesure de sécurité, le gouvernement français impose l'exode aux Alsaciens. Ils ont une journée pour partir, tout abandonner. Ils sont déplacés jusqu'à Limoge, jusque dans le Périgord, accueillis en urgence. Un exil après quatre jours de voyage en train. Langue d'oc et patois alsacien. On espère le retour en écoutant les informations sur cette drôle de guerre. Mais c'est l'invasion de la Hollande et de la Belgique. Arrivent les réfugiés du Nord. Les combats. La débacle. La capitulation. La France occupée. Mais l'Alsace et la Lorraine sont intégrées au Reich, devenues la région de Bade, le tracé de la frontière de 1914 ayant été rétabli. Cette région ne dépend plus du gouvernement français. La population alsacienne est sommée de rentrer sous peine de tout perdre. Choix difficile pour les familles abritées de façon précaire dans le sud de la France. Le mal du pays.
" Tirer un trait sur notre passé était bien trop difficile. Mon père décida de rentrer en Alsace. [...] Nous, Alsaciens, rentrions au pays en laissant derrière nous nos frères juifs et tziganes. Tous ceux que Hitler qualifiait d' " éléments indésirables". J'étais donc, moi, François Cellier, fils d'un modeste boulanger, assez " pur " pour rentrer à Strasbourg. Je ne comprenais rien, je ne comprenais pas...ou pas encore. "
Ce sera la désillusion, les regrets, la peur dans cette ville sous tension. Obéir, subir la propagande, les cours d'allemand obligatoire, la germanisation des noms, l'omniprésence des forces militaires, l'éducation des enfants selon l'idéologie du parti national-socialiste prise en charge par des enseignants venus d'Allemagne, le salut à la croix gammée, les autodafés, la négation absolue de la culture française, le danger de s'y attacher.
Sérieusement documentée, avec une sincérité et une simplicité de ton remarquable, avec une écriture fluide, sur de courts chapitres, qui n'occulte pas les sentiments sans les exacerber, au plus proche de son lectorat, cette chronique adolescente en témoignage, en devoir de mémoire, fut sélectionnée pour le Prix des Incorruptibles 2007-2008 des classes de 4eme/3eme ( qui récompensa cette année-là Le combat d'hiver de JC.Mourlevat )
Pour écrire ce roman ( paru en 2006 ) Dorothée Piatek a rencontré des survivants qui ont accepté de lui confier leur histoire, ces Malgré Nous, espérant toujours être reconnus bien qu'ayant dû subir la honte, la haine. Je marchais malgré moi dans les pas du diable s'y engage.
- A partir de 13 ans -
- Rencontre avec Dorothée Piatek ICI -
J'ai trop tardé à présenter ce roman. Il peut devenir un livre-voyageur.
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