Les blogueurs, "ces veaux tarés"

Par Theoma

Il est auteur. Il fait le point.

« Il avait honte, rétrospectivement, de ne pas avoir anticipé ce que deviendrait le livre, une industrie un peu plus bête qu'une autre. Vieille rombière outragée, minaudant dans des robes en lambeaux.


Ardisson-Canal+-Inrocks. Des ennemis dont on n'avait pas saisi le pouvoir de nuisance. Ni de droite, ni de gauche. Ni classiques, ni modernes. Des gens de télé. Bien de leur époque. Des pitcheurs, avides de chair fraîche, gourmands d'audience. (...)


Sans compter que les années 90, comparées à ce qui allait suivre, apparaissaient aimables, finalement. Il aurait pu s'acclimater. Mais il y avait eu internet. Aujourd'hui, il devait faire un effort constant, pour ne pas passer ses journées à tourner en rond sur la toile, hagard et accablé.


Les commentaires. Cet anonymat crapuleux, litanie d'insultes obstinées, délivrées par des incompétents. Dès qu'il les avait découverts, il avait compris qu'il pénétrait dans le dixième cercle de l'enfer. Petits discours parallèles, sourds les uns aux autres, tous mis sur le même plan, lapidaires, hostiles jusqu'à l'écœurement. La médiocrité avait une voix. Les commentaires de la toile.


Il ne s'y faisait même pas insulter. Il aurait voulu pouvoir s'affoler, s'offusquer, se plaindre du traitement qui lui était réservé. Mais il n'était même pas jugé assez intéressant pour que les veaux tarés lui fassent l'aumône d'un mauvais sort. Il en était réduit à écrire, lui-même sous pseudonyme, quelques phrases de louanges subtilement critiques sur les forums et blogs littéraires. »

Apocalypse bébé - Virginie Despentes

Par Theoma - Publié dans : Romans français - Communauté : partageons nos lectures
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