Le gouvernement polonais réclamerait la tête du rédacteur en chef de Rzeczpospolita. Il s'agit d'un journal de l'opposition. Avec cette affaire se pose donc le problème mondialement connu de l'indépendance politique des médias. Qu'en est-il en Pologne??
The Economist déclare le gouvernement à qui appartient 49% des parts de Rzeczpospolita, ferait pression sur l'actionnaire majoritaire (le groupe de presse londonien Mecom) pour obtenir le départ de son rédacteur en chef Paweł Lisicki.
Rzeczpospolita
En Français, la “République” est un quotidien de droite, et se veut être un quotidien de référence.
Il est le quatrième tirage en Pologne après Fakt, Gazeta Wyborcza et Super Express.
D'un point de vue historique, la “République” a été créée en 44 et devient le journal officiel du gouvernement provisoire communiste, puis disparaîtra en 55 avant de renaître durant la loi martiale en 1981sous les bons auspices du général Jaruzelski comme quotidien de la Nomenklatura. Avec la chute du communisme en 1989, le journal sera repris par Tadeusz Mazowiecki, futur Premier ministre. Aujourd'hui, le Trésor public contrôle encore 49% du journal. La part majoritaire, c'est-à-dire les 51% restants on été successivement contrôlés par Robert Hersant, le groupe norvégien Orkla, et enfin à partir de 2006 par le groupe Mecom, un groupe de presse londonien.
Un journal anti-gouvernement
A la manière du Canard
Enchaîné, Rzeczpospolita ne s'est jamais privé de critiquer les gouvernements et se fait une spécialité de révéler les scandales politiques. Il a d'ailleurs déjà été la cible
de multiples pressions par les gouvernements précédents. Le journal est assimilé par beaucoup au PiS car il est (quasi) systématiquement critique envers l'action de la Plateforme Civique (PO),
mais il a surtout révélé, l'année dernière le premier grand scandale impliquant le gouvernement.
Rzeczpospolita a révélé un trafic d'influence du gouvernement autour d’un projet de loi sur les jeux de hasard. Pour mettre fin à cette polémique le Premier ministre Donald Tusk a dû limoger plusieurs membres du gouvernement : son ministre de la Justice, son ministre de l'intérieur et un ministre adjoint à l’Economie. Ainsi cette affaire de limogeage du rédacteur en chef prend des airs de vengeance....
Rzeczpospolita outil de propagande politique?
Avant 2006, Rzeczpospolita était connu pour être un journal libéral et conservateur, mais tout de même relativement indépendant. Après l'arrivée au pouvoir du parti des frères Kaczyński du PiS (Droit et Justice), sa ligne éditoriale s'est cependant modifiée. Ses détracteurs accusent le PiS de s'être mis d'accord avec le groupe de presse Mecom pour faire nommer en 2006 un sympathisant PiS à la rédaction en chef du journal.
Toutefois si Rzeczpospolita est radicalement contre la Plateforme Civique, il n'est pas pour autant aveuglement pro-Kaczyński et ouvre des colonnes à des opinions contredisant sa ligne éditoriale. Il se désolidarise parfois du parti politique. Par exemple, le journal avait même mis en difficulté l'actuel président du PiS en publiant en 2006 les dossiers des services secrets polonais enquêtant sur ses supposées relations homosexuelles.
Le PiS vilain petit canard dans les médias
La majorité des médias prennent d'ailleurs ouvertement parti pour une option politique. Avec l’arrivée au pouvoir des frères Kaczyński en 2005, cette polarisation politique s'est amplifiée et la plupart des médias polonais se sont définis autour du soutien ou de l'opposition à la politique des jumeaux Kaczyński. Or depuis l'arrivée au pouvoir de la Plateforme Civique PO, Le journal Rzeczpospolita (avec Nasz Dziennik et Gazeta Polska, ou la Radio Maryja) reste l'un des rares soutiens restant au PiS.
Nous pouvons affirmer que Rzeczpospolita a clairement une ligne idéologique. Cependant, le journal a au moins le mérite d'offrir une analyse critique de la politique du gouvernement et de questionner une certaine pensée unique polonaise. En Pologne, la gauche est toujours aphone et le PiS semble plus concentré sur Smoleńsk et ses querelles internes. Rzeczpospolita semble alors être la première opposition au programme libéral du PO et préserve une certaine pluralité dans le paysage médiatique polonais.
Une orientation politique affirmée
Il faut savoir que la presse polonaise appartient principalement aux allemands qui contrôle en près de
80%. Le reste est très largement dirigé par le Polonais Agora S.A. (propriétaire notamment de l'influent Gazeta Wyborcza). La télé privée est quant à elle largement dominée par Polsat et
ITI group (TVN, TVN 24, TVN7 Endemol).
A écouter le parti de l'opposition du PiS, les ex-communistes et les anciens membres des services secrets ont gangréné ces médias. TVN et le quotidien Gazeta Wyborcza en tête, ils seraient même contrôlés par des oligarques et formeraient selon eux une sorte de "structure" (“układ”) nuisant aux intérêts du PiS et du pays. (Cette idée avait été reprise durant les élections, la Pologne au polonais et les journaux polonais aux polonais...). Cette vision bien que largement paranoïaque, il est indéniable que les groupes privés ont beaucoup de sympathie pour le libéralisme conciliant du PO.
le contrôle des médias publics
La télévision publique est encore extrêmement regardée en Pologne. TVP totalise plus de
40% d'audience. Mais depuis 1989, ces médias publics sont encore victimes d'influences politiques connu de tous. Il s'agit d'une radio et d'une télévision d’Etat. Cette influence dans les médias
est largement critiquée, et les postes clés sont tenus par des personnes politisées voire des hommes politiques. Le cas le plus flagrant est l'instrumentalisation par les gouvernements successifs
(SLD en tête) du KRRiT, l’instance de régulation de l'audiovisuel publique (équivalent polonais du CSA).
Le PiS dénonce aujourd'hui cette main mise du parti au pouvoir sur les médias publics, mais les jumeaux Kaczyński eux-aussi avaient conduit une chasse aux sorcières contre les adversaires supposés de leur "révolution morale" et placé aux postes clés leurs alliés. Le PiS a encore aujourd'hui une influence sur la télé publique. Toutefois la couverture très émotionnelle de de Smoleńsk et certains débats critiques de TVP1 ont remis à l'ordre du jour une reprise en main des médias publics par la Plateforme civique.
Préparer les élections législatives de 2011
Bien que le contrôle de l'appareil médiatique est longtemps apparu comme
une condition nécessaire à une victoire politique, les défaites de la gauche en 2005 puis celle du PiS en 2007 avaient remis en cause cet axiome. Le PO n'avait d'ailleurs pas lancé tout de suite
de grand nettoyage dans la radio et les télévisions publiques. Donald Tusk déclarait: “Heureusement en Pologne ceux qui contrôlent les médias publics ne gagnent pas les
élections”.
Les medias privés suffisent-ils ? Il a préféré ne pas prendre de risque. Le bon score du PiS aux élections de dimanche doivent le conforter dans son choix.