Il me semble que le débat "pédagogique" a été mal placé en créant une disjonction à un endroit où il n'y en avait pas. Il s'agit du débat qui serait censé opposer les "constructivistes", pour lesquels l'élève construit de façon plus ou moins autonome son savoir, le professeur étant là pour l'aider au travail de synthèse et d'orientation et les "traditionnels", ces derniers étant persuadés de l'intérêt du travail frontal entre l'enseignant et les élèves.
De mon point de vue, l'enseignement idéal se situe dans une voie moyenne, qui serait non pas celle d'un équilibre quantitatif entre ces deux options mais plutôt une respiration temporelle dont l'alternance créérait une dynamique. Il y a moment pour chacun de ces temps et c'est ce rythme qui créé l'efficacité.
Le travail frontal ne s'oppose pas au travail de l'élève qui se trouve en phase de questionnement et de construction, et réciproquement le travail autonome de l'élève n'exclut pas une intervention de l'enseignant, même longue. La difficulté est de comprendre l'opportunité de l'action ou de l'inaction.
Dans l'utilisation d'outils dynamiques d'enseignement, il est donc nécessaire de concilier ces deux visions complémentaires qui ne s'excluent cependant pas l'une et l'autre. Ce qui est de l'orde de l'exclusion serait de choisir une seule de ces deux voies, tirant un trait sur l'autre. Ce serait aussi de ne pas prendre conscience de l'importance du "moment" d'enseignement, celui à partir duquel et pendant lequel on se place dans l'une ou l'autre de ces options.
Dès lors que l'on considère que ces deux pédagogies ne s'excluent pas l'une et l'autre comme ça été trop souvent présenté de façon caricatuale, par les promotteurs de chacun de ces systèmes, créant au passage dogmes et discours politiques boiteux, on peut réellement se pencher sur la question et y déterminer les compétences requises pour exercer une pédagogie de façon diversifiée et rythmée. La définition des différents "moments" est certainement aussi importante que la réflexion sur les contenus, le débat de classe associés et les interrogations suscitées.
Pour illustrer mes propos, beaucoup d'entre nous ont appris que la somme des angles d'un triangle faisait 180° mais combien en ont fait l'expérience? Ont réellement intériorisé ce que cela signifiait dans plein de triangles particuliers ou non?
Apprise comme une vérité première, cette propriété se transforme vite en règle puis en par coeur. On voit d'ailleurs rapidement s'arréter la généralisation de cette propriété. L'a-t-on vue pour un quadrilatère et existe-t-elle d'ailleurs? Pour un pentagone... et pour les polygones? Il n'y a rien de plus normal, car comprendre ce type de propriété demande du temps, demande d'en avoir fait l'expérience, ce dont disposaient les anciens et dont nous manquons cruellement. Par contre, nous disposons aujourd'hui de formidables outils nous permettant de visualiser, de faire bouger, d'être témoin, de se placer dans des cas particuliers puis de généraliser. Cette mise en contact de l'élève avec la mobilité, la dynamique n'enlève en rien la nécessité qu'il doive lui même construire et solidifier ses savoirs, compétences et connaissances. Il ne faut cependant pas qu'il les rigidifie, au point d'être incapable d'en sortir. Cela motive certainement d'autant plus les démonstrations qui elles aussi peuvent être "assistées" par la visualisation (on peut voir le site de Gérard Villemin).
Cette respiration n'est pas de l'activisme, c'est une prise de maturité dans l'enseignement qui ne peut rester figé dans une trop grande abstraction ou dans l'application rituelle de propriétés faiblement adaptables, dans l'apprentissage par coeur ou dans la question de l'utilité. Un théorème n'est connu que lorsqu'on sait l'appliquer mais pour cela il a fallu "visualiser" suffisamment de cas d'applications ou de contre exemples. Qui a par exemple fait l'expérience d'un théorème de Thalès appliqué avec des droites non parallèles? Personne j'imagine par manque de temps alors que 5 minutes de projection suffisent pour comprendre la nécessité de l'hypothèse "droites parallèles". La manipulation dynamique rend caduque les sempiternelles remarques sur l'utilité des savoirs car ici c'est le "processus à comprendre" qui prime sur le "stock à connaître par coeur".
Placer l'élève au centre du sytème éducatif, ne fait pas de lui l'unique centre. C'est d'ailleurs assez déroutant de voir comment une simple phrase peut laisser sous-entendre que le système éducatif est circulaire et qu'il disposerait d'un unique centre! L'ancien reste toujours là et s'appelle le professeur. Il n'y a pas déplacement du centre, comme on l'a beaucoup entendu, mais prise en considération que le professeur n'est plus le seul centre, et c'est très bien. Nous voyons donc apparaitre une figure à deux centres mais qui n'en possède pas nécessairement elle même. C'est dans cet espace dynamique que l'enseignement doit trouver son souffle afin que la respiration se fasse. Il n'y a donc pas dans cette réthorique, la création d'un nouveau fixisme déplacé mais bien la création d'une dynamique que le système doit accompagner puisque c'est lui-même qui l'a engagé!
Il me semble qu'une prise de conscience commence à s'opérer que les frontières placées entre différentes pédagogies ne l'ont été que pour mieux servir la réthorique et l'argumentation de chacune des deux parties. Elles n'en restent pas moins artificielles et ont empéché toute réflexion sur le sujet de la dynamique éducative. Il est impressionnant de voir comment tout discours associé à l'école se transforme en un clin d'oeil en guerre des tranchées avec deux camps, dans lequel le professeur devrait se positionner en choisissant l'un ou l'autre. C'est caricatural et affligeant parce que ça ne correspond pas à la réalité. On retrouve par exemple ce travers dans le débat sur les notes ou de leur abandon complet. On n'entend jamais qu'une voie moyenne existe, pas celle d'un entre deux consensuel, mais simplement l'idée évidente que parfois il faut utiliser des notes ou un système d'évaluation, parfois non, et que le plus difficile est de trouver les moments où ce choix est essentiel. Une fois ce choix fait, un autre débat peut se situer en se demandant quoi faire de ces données brutes ou de leur absence? En quoi peut-on transformer l'information ou l'absence afin d'en faire une réelle valeur ajoutée éducative. Ce que l'on fait le 5 septembre doit certainement être différent de ce que l'on fait au mois de mai, tout comme ce que l'on fait en CP, en 6ème et en 2nde n'a certainement rien à voir avec ce qui est utile en CM2, en 3 ème et en Terminale. Ce que l'on fait en début de cours doit être différent de ce que l'on fait à la fin... Etc.
Pour conclure simplement, car c'était l'objectif de ce billet, je voulais juste dire que je suis très satisfait que le n°22 de Mathematice soit parut et que l'on y aborde ce sujet avec deux articles qui dépassent largement le cadre de la géométrie dynamique. Celui de Jean-Philippe Vanroyen qui explique comment est-ce que l'on peut voir et penser les choses de façon dynamique en mettant dans les mains du professeur les outils qui peuvent permettre à l'élève de mieux respirer et le mien.
Je n'oublie pas tous les autres collègues qui eux aussi ont fait un énorme travail de rédaction et je cite en passant le billet de Benjamin Clerc concernant les flux RSS des différentes sites académiques.