Evidemment, il n’y avait pas lieu de s’attendre à un message révolutionnaire. Pour autant, l’esprit de fermeté vis-à-vis des partenaires commerciaux de l’UE est relativement édulcoré et ne constitue pas un leitmotiv égrainé au fil des pages. La Commission évoque la notion de “réciprocité” dans les échanges commerciaux sans pour autant la définir. La Commission est-elle prête à aller jusqu’à une « réciprocité négative » et à fermer ses marchés à des pays irrespectueux de leurs engagements commerciaux ? Rien n’est moins sûr ; son Commissaire est attaché à une vision binaire de l’économie sans aucune alternative entre le libre-échange bienfaisant et le protectionnisme malfaisant. Certes, une proposition législative sur l’accès aux marchés publics européens devrait voir le jour en 2011, mais la peur viscérale de pouvoir « paraître protectionniste », laisse dubitatif sur la portée effective de ce futur texte.
La question de la régulation des échanges et du leadership de l’Europe sur ce point n’est guère abordée par la “nouvelle stratégie” qui prône davantage un “business as usual”. La crise ne semble pas avoir altéré les convictions en matière de libre-échange et on est loin d’une nouvelle gouvernance mondiale des échanges comme l’appelait de ses vœux, il y a quelques temps, Pascal Lamy, Directeur de l’OMC.
Si elle relève du bon sens, la perspective d’ajuster les politiques internes et externes de l’Union européenne fait l’effet d’un coup d’épée dans l’eau puisque aucune amorce de solution n’est proposée et que la balle est renvoyée aux réflexions en cours sur l’Acte unique européen. Le Commissaire Karel de Gucht promet une meilleure coordination avec le Commissaire Michel Barnier en charge du marché intérieur, mais en attendant, il ne fait toujours pas partie du groupe de commissaires sur la politique industrielle mis en place par le Président Barroso.
Certes la Commission est en phase de cogitation profonde et tente de redéfinir des orientations pour nombre de ses politiques. Cependant le texte de la Commission sur la politique commerciale est le résultat d’une large consultation publique et on aurait pu espérer davantage de maturité de la philosophie commerciale européenne. En lieu et place d’une vraie Communication, il s’agit, en fait, d’une simple note de cadrage qui ne semble pas animée par l’urgence et qui n’est pas susceptible de faire frémir, en l’état, les dragons asiatiques et l’empire du Milieu.
Ainsi on s’étonnera encore que la Commission tout en faisant de la conclusion des négociations de Doha à l’OMC une priorité, annonce vouloir mettre sur pied un groupe de travail composées de “personnes éminentes issues de pays développés ou en développement afin d’obtenir des recommandations indépendantes pour élaborer la vision européenne sur le futur agenda et le fonctionnement de l’OMC post-Doha”. La vision commerciale de l’Union est purement court-termiste. Ne faut-il pas plaider clairement pour un accord a minima afin de conclure au plus vite les négociations ou repenser dès maintenant tout le cycle dans la perspective de nouvelles missions imparties à l’OMC ?
Le texte “Trade, Growth and World Affairs” martèle à plusieurs reprises la volonté de la Commission de conclure les négociations avec le Mercosur. On rappellera que la relance de ces négociations a été largement impulsée par la Présidence espagnole et que ces pays n’ont guère fait de concessions à l’Union européenne dans le cadre du cycle de Doha. Pour s’éloigner d’une politique commerciale opportuniste, il aurait été utile de mentionner clairement la volonté de l’Union européenne de se retirer de toute négociation bilatérale improductive au bout d’un certain nombre d’années. La Commission européenne ne peut plus se permettre d’être schizophrène ; elle doit concentrer son action et ses ressources sur un nombre de cibles limitées et économiquement justifiables.
Rien n’est mentionné non plus sur les accords plurilatéraux qui peuvent être des alternatives aux accords multilatéraux englobant l’ensemble des membres de l’OMC.
Enfin, si stratégie il y avait, ne faudrait-il pas développer, avec notamment les Etats-Unis, une coordination des politiques pour lutter contre les barrières non tarifaires en Asie ? Le temps n’est plus à la division mais à l’union pour faire face à la déferlante asiatique.
Il y a trois ans, le document “Trade, Growth and World Affairs” aurait pu être jugé satisfaisant. Aujourd’hui, il paraît décalé et ne répond pas aux attentes. Ne faut-il pas attendre un nouveau souffle européen de la part d’autres Commissaires ?