Voici un peu plus d’un an j’écrivais ici: « ou va AREVA ?« . ou je ne dissimulais pas mon inquiétude quand à l’avenir de cette filière nucléaire française soumise à une tutelle incohérente pour ne pas dire plus.
Un éditorial du Monde d’hier fait le point sur la situation qui en un an s’est encore aggravée. Désormais on ne peut plus seulement parler d’inquiétude mais de véritable risque. Ou va AREVA: disons le tout clair, vers le gouffre !
L’enfant de la politique industrielle strauss-kahno- jospinienne survivra-t-il à 10 ans de sarkozysme, de manoeuvres tenant lieu de stratégie industrielle, de copains et de coquins ? Même pour une si grosse bête 10 ans de dérives et de coups, c’est très long. Le désastre est à craindre
David Dornbusch
« Les piètres agissements de l’Etat actionnaire d’AREVA »
L’Etat a souvent été un piètre actionnaire, pas seulement parce qu’il était impécunieux. Avec la saga de l’ouverture du capital d’Areva, il s’est révélé calamiteux. Lancée en 2004, interrompue en 2005, relancée en juin 2009 pour apporter de l’argent frais au groupe nucléaire, la recapitalisation s’est enlisée. Au point que l’engagement pris par l’Elysée de boucler définitivement l’opération « avant la fin de l’année » n’a plus guère de chance d’être tenu. De reports en manoeuvres dilatoires, de changements de pied stratégiques en campagnes de déstabilisation contre sa présidente, Anne Lauvergeon, la puissance publique n’a cessé de contrarier le cours des choses et de ternir la réputation d’excellence de la filière nucléaire.
En novembre 2004, l’Etat annonçait une ouverture du capital à 35-40 %. A l’automne 2005, l’introduction en Bourse est prête, mais le gouvernement Villepin enterre le projet du gouvernement Raffarin. Deux ans plus tard, un Meccano industriel a remplacé l’opération boursière. Deux patrons proches de Nicolas Sarkozy, Martin Bouygues (Bouygues) et Patrick Kron (Alstom), font alors le siège de l’Elysée pour obtenir une fusion Areva-Alstom, sous l’égide du géant du BTP, et créer un petit « Siemens à la française » regroupant l’énergie et le matériel ferroviaire. Mme Lauvergeon et certains ministres finiront par convaincre le chef de l’Etat que ce n’est pas la meilleure voie à suivre pour le nucléaire français.
Sur le papier, la situation était assez simple jusqu’en juillet. Trois candidats proposent de se partager les 15 % d’augmentation de capital prévus : le japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et les fonds souverains du Qatar (QIA) et du Koweït (KIA)… Jusqu’à la publication du rapport de François Roussely sur « l’avenir de la filière française du nucléaire civil ». Sans proposer un resserrement des liens capitalistiques entre EDF et Areva, l’ancien PDG d’EDF (1998-2004) souligne qu’« un accord stratégique est une nécessité impérieuse » afin de moderniser le parc des 58 réacteurs français et de décrocher des contrats sur le marché international. Mais pour renforcer l’« unité » de la filière et imposer EDF comme chef de file, l’Elysée va plus loin et pousse le groupe dirigé par Henri Proglio à monter au capital de son partenaire historique, dont EDF détient déjà 2,4 %.
Ce scénario n’était pas prévu quand l’Etat a invité des candidats étrangers. « Si j’étais un investisseur international, il y a longtemps que j’aurais claqué la porte », résume le PDG d’un groupe du CAC 40. Des observateurs se demandent si ce n’est pas l’intention du Qatar : en réclamant une part des activités minières d’Areva à la veille du conseil de surveillance du 16 novembre prévu pour examiner les offres des candidats, l’émirat a posé une condition difficilement acceptable par le gouvernement français, retardant une fois de plus l’opération.
Un autre poids lourd du CAC 40 fait mine de s’étonner. « Avec 83 % du capital d’EDF, dit-il, l’Etat devrait être capable de faire passer ses idées, non ? Plus on est propriétaire, moins cela marche ! » Ce patron se demande aussi « comment, avec seulement 6 % ou 8 % du capital, EDF prétend prendre le contrôle d’Areva ». M. Proglio réclame en effet un siège au conseil de surveillance du groupe nucléaire. Mme Lauvergeon réplique qu’EDF aura alors accès à des informations dont ses concurrents européens, américains ou asiatiques ne disposeront pas. Et que ces clients se tourneront vers d’autres fournisseurs.
Les candidats étrangers sont-ils rassurés sur les finances du groupe dans lequel ils veulent investir ? Il y a un an, l’Etat confiait un audit à René Ricol, un des meilleurs spécialistes de l’évaluation financière. Il prétendait rassurer les investisseurs ? On y a vu un moyen de déstabiliser Mme Lauvergeon. L’actionnaire… à 93 % a instillé le soupçon sur la fiabilité, voire l’honnêteté, des comptes. Aurait-il eu des doutes sur la rigueur de ses propres représentants, majoritaires au sein du conseil de surveillance ?
Tous les investisseurs ne sont pas les bienvenus. MHI, partenaire industriel d’Areva (réacteurs, combustible nucléaire), a beau disposer du soutien du premier ministre, François Fillon, EDF et Alstom font campagne contre son entrée chez Areva : le premier parce que le conglomérat nippon lui fournit de gros équipements pour centrales, le second parce que c’est un rude concurrent sur le marché des turbines.
Les candidats ne sont pas plus éclairés sur le sort de Mme Lauvergeon, dont le mandat expire en juin 2011. En 2007, sa relation avec M. Sarkozy était si confiante qu’il lui avait proposé Bercy. Depuis son refus, on a dépassé la « gestion par le stress », dont le chef de l’Etat s’est fait une spécialité. Plusieurs patrons jugent « indignes » les manoeuvres de déstabilisation orchestrées contre « Atomic Anne », qui résiste pied à pied. « M. Sarkozy est dans son droit de la remplacer, mais il doit le faire proprement. La guillotine était un progrès par rapport à la torture. Aujourd’hui, on rétablit la torture », ironise l’un d’eux. Pendant que l’ »équipe de France du nucléaire » s’entre-déchire, Coréens, Russes et Japonais marquent des points en Asie. En attendant les Chinois…
Jean-Michel Bezat (Service Economie-Entreprises) »