Mardi 23 novembre, diverses manifestions et mouvements de grèves ont faiblement perturbé l'activité du pays. L'attention était ailleurs. Insécurité à Marseille, injustice à Paris, le gouvernement a du mal à rendre des comptes. A Marseille, Brice Hortefeux avait quelque difficulté à être crédible. Il fait pourtant des efforts. L'assassinat d'un mineur de 16 ans, vendredi dernier, aggravé par l'attaque contre un enfant de 11 ans blessé grièvement par balles, a choqué. Pire, le ministre s'est bien gardé de commenter deux enquêtes, le traditionnel bilan mensuel de la délinquance, et la dernière enquête de victimation. Et là aussi, les résultats ne sont pas fameux. Côté justice, l'affaire de Karachi suit son cours, avec difficulté. Et la Cour européenne des Droits de l'Homme vient de confirmer ce que l'on savait déjà : les procureurs ne sont pas des magistrats indépendants du pouvoir exécutif.
Hortefeux accourt à Marseille
Fidèle à son habitude, le ministre de l'Intérieur rescapé du remaniement gouvernemental, a filé sur place à Marseille dès dimanche. Il devait coûte que coûte livrer quelques annonces. Il a d'abord précisé que « le mineur décédé était défavorablement connu des services de police pour de nombreux actes violents, recel et usage de stupéfiants.» Il a aussi rappelé que cette guerre des gangs faisait rage depuis quelques temps déjà : depuis janvier 2009, 26 règlements de comptes ont fait 19 morts et 16 blessés. Le ministre a ensuite promis un renfort humain : 5 policiers supplémentaires au le service départemental d'information générale (SDIG) et 150 CRS supplémentaires, soit deux unités mobiles, sur le terrain.
Les syndicats policiers sont restés dubitatifs : « Pour nous, il ne s'agit que de mesures d'appoint qui nous laissent dubitatifs, nous voulons des effectifs fidélisés » a expliqué un représentant d'Unité police. « Si les deux compagnies de CRS restent un mois, deux mois, trois mois, six mois... ça ne règle pas le problème. Ce sont des réseaux entiers, avec de l'artillerie lourde, qui sont à démanteler, et pour cela il faut des opérations dans la durée, et des renforts pour le renseignement et l'infiltration sur le terrain pour la police judiciaire qui mène l'enquête et, derrière, il faut une réponse judiciaire adaptée.» Rappelons qu'en 2011, les effectifs nationaux de la police et de la gendarmerie devraient à nouveau baisser de 800 postes selon le projet de loi de finances.
Dans la soirée de lundi, des opérations « coups de poing » ont été menées dans la cité phocéenne. Une Kalachnikov a été saisie. Malgré les belles déclarations volontaristes de Nicolas Sarkozy depuis 2002, la lutte contre les trafics de drogue patine. Dans son dernier bilan annuel de la délinquance, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) relève que le nombre d'infractions aux stupéfiants recensées par l'action des forces de l'ordre n'a cessé de progressé depuis 2004 (+24% en 5 ans), pour dépasser les 374 000 actes l'an dernier.
Les nouveaux mauvais chiffres de la délinquance
Coïncidence, l'ONDRP vient justement de publier coup sur coup deux études: le 17 novembre dernier, son dernier bilan mensuel de la délinquance, et mardi 23 novembre son « enquête de victimation ».
Concernant les trafics de drogue, l'ONDRP relève une diminution des saisies de cannabis (46 tonnes, -1,8%) et de cocaïne (3,6 tonnes, -3%), tout comme une hausse des mises en cause (26 781 personnes, +7%) depuis le début de l'année.
Plus généralement, les constats, 18 mois après l'entrée en fonction de Brice Hortefeux au ministère de l'intérieur, ne sont pas fameux. Le ministre aurait pu se féliciter de la baisse des atteintes aux biens (2,9% soit 65 000 atteintes en moins sur 12 mois glissants). Mais il s'est bien gardé de la moindre réaction personnelle. Sur le site du ministère de l'intérieur, on a beau cherché, on ne trouve rien. Gérard Gachet, son porte-parole habituellement si prolixe, est tout aussi discret. Chut ! Faisons comme si ce bilan n'existait pas !
Les atteintes à l'intégrité physique ont encore progressé, de 5 800 actes sur un an, pour atteindre 462 350 à fin octobre. Dans son commentaire, l'ONDRP se félicite presque (« le rythme de la hausse a diminué de plus de 4 points »), et avance une explication statistique : la mesure d'octobre 2009 avait été faite sur ... un mois incomplet. L'argument est un peu court. Sur le seul mois d'octobre 2010, les violences contre les personnes ont augmenté de 0,3%.
Plus précisément, l'ONDRP s'inquiète des hausses des « violences à dépositaire de l’autorité » enregistrées, en hausse de 2,1 % sur un an, et surtout des violences physiques crapuleuses, dont, pour le coup, l'augmentation s'accélère : + 3,9 % en août à + 5,2 % en octobre 2010. Autre revers, l'élucidation des atteintes aux biens chute à 28 600 (contre plus de 30 000 cas il y a un an).
Ce rapport contient aussi un paragraphe instructif sur les affrontements entre bandes. Après l'adoption d'une loi anti-bandes au printemps 2009 , il est édifiant de lire les doutes de l'ONDRP quand à la définition même du concept de bandes : « D’un point de vue statistique, la définition d’un « affrontement entre bandes » souffre de certaines imprécisions (...) et surtout de la difficulté à unifier le concept de « bande » à travers des éléments objectifs. (...) . L’ONDRP n’est pas en mesure de dire si la pratique de qualification présente effectivement la cohérence nécessaire, mais il est légitime de le supposer car cette cohérence a aussi un intérêt opérationnel.» En d'autres termes, puisque le gouvernement veut des statistiques pour justifier son action, on lui en donne, mais n'y attachez pas trop d'importance aux chiffres ! De janvier à octobre 2010, l'ONDRP a ainsi recensé 341 affrontements entre bandes, contre 292 sur la même période de l'an passé. Deux remarques : premièrement, ces affrontements font souvent la une des médias, mais leur nombre reste complètement marginal par rapport aux violences aux personnes; deuxièmement, la loi anti-bandes ne sert visiblement ... à rien !
Le débat sur l'insécurité, et l'échec de Nicolas Sarkozy, devrait être également relancé par la récente enquête de « victimation », réalisé par l'ONDRP. Cette enquête, publiée pour la quatrième fois ce mardi 23 novembre, repose un sondage de 16 500 personnes, et vise à mesurer le sentiment d'insécurité. Les résultats sont en complet décalage avec les statistiques officielles. Les écarts s'expliquent par le décalage entre les violences subies et les plaintes et infractions réellement enregistrées par les services : on y constate une augmentation de 15% de violences physiques faites aux femmes (654.000 femmes victimes en 2009 !), une explosion des agressions sexuelles (+45%); et 1,2 million de Français se déclarent victimes de violences, alors que l'ONDRP recense moins de 400 000 agressions par an.
Au final, personne ne se précipite, à l'Elysée, pour commenter ce triste bilan de la lutte contre l'insécurité.
Côté justice, l'affaire de Karachi suit son pénible cours.
... Et pendant ce temps, la justice indépendante se cherche
Dans l'affaire de Karachi, le juge Renaud Van Ruymbeke continue son enquête, malgré l'appel du parquet en septembre dernier, sur lequel la cour de cassation doit se prononcer dans quelques mois. Mardi 23 novembre, le Parisien révélait que le juge avait perquisitionné la Direction générale des impôts, à Paris. Il y aurait trouvé des documents « extrêmement intéressants », des « notes manuscrites, non signées, datées de fin 2006 » qui détailleraient, selon le journal, « les montages financiers opaques mis en place autour du contrat Agosta, notamment les circuits empruntés par l’argent à l’aller (vers le Pakistan) comme au retour (en direction de la France) ». A l'Elysée, l'énervement est toujours palpable. Le contrôle également. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée, est allé chercher ses consignes au Château, pour expliquer qu'il était hostile à la création d'une nouvelle mission d'information parlementaire sur le sujet.
Alain Juppé, de son côté, a promis de communiquer tous les documents nécessaires à l'enquête... après validation par la fameuse commission ad hoc sur le secret défense. Le ministre de la Défense réagissait publiquement au courrier du juge Marc Trévidic, reçu la veille : « Comme le président de la République, le Premier ministre et moi-même, nous y sommes engagés, nous allons réunir ces pièces, consulter la commission consultative pour le secret défense et communiquer toutes les pièces demandées au juge d'instruction.»
Nicolas Sarkozy, lui, s'exprimait devant le Congrès de l'Association des Maires de France. Il voulait « rassurer » les maires sur la réforme territoriale. Il en a quand profiter pour faire une allusion, à peine voilée, à l'affaire du moment, le Karachigate : « C'est pas la peine qu'on se prête, les uns et les autres, à des émissions ou à des polémiques qui tirent tout vers le bas, qui avilissent tout, qui ne respectent rien et qui conduisent finalement à donner une piètre image d'une démocratie qui a besoin de femmes et d'hommes comme vous. »En quelques phrases bien choisies, il s'est mis l'assistance de son côté : « Je veux dire à tous ceux qui nous regardent, y compris le système médiatique : respectez donc ceux qui ont le courage de se présenter devant le suffrage universel. »
De quel respect parle-t-il ?
Le même jour, la Cour européenne des Droits de l'Homme rendait ses conclusions sur l'étude du cas de Florence Moulin, une avocate qui avait été placée en maison d'arrêt par le procureur adjoint du tribunal de Toulouse, dans une affaire de blanchiment d'argent. L'avocate contestait cette détention au motif qu'elle n'avait pas été validée par un juge. A l'unanimité, les sages du CEDH donnèrent raison à la plaignante, précisant que « le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministère public, ne remplissait pas les garanties d'indépendance pour être qualifié, au sens de cette disposition, de ‘juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires' .» Évidemment, le ministère de la Justice a annoncé qu'il ferait appel de cette décision qui met à mal les projets de suppression du juge d'instruction (pour le moment en sommeil) et la défense sarkozyenne sur l'indépendance des enquêtes préliminaires de ses procureurs comme dans l'affaire Woerth/Bettencourt.