Lors de mes derniers déplacements professionnels, j’ai eu l’occasion de me rendre dans des usines textiles, et de saisir un peu mieux ce qui se cache derrière le si fameux Made in China. Je vous propose aujourd’hui un retour sur ma modeste expérience qui pourra peut-être vous aider à saisir un peu mieux la situation…
Les usines chinoises sont un sujet très sensible qui touche à de nombreux aspects de la globalisation, de nos modes de consommations, du fonctionnement de toutes nos sociétés. Le dernier hors-série du Courrier International sur la Chine propose, entre autres, une étude pertinente expliquant que la Chine est le pays de production industrielle le plus intéressant car le moins demandeur au niveau social. Ici pas de syndicat, pas de parti politique pour soutenir la base du peuple, et les Chinois ont la réputation de bien endurer.
Cela restant assez théorique, je vais témoigner de ce que j’ai vu ou entendu récemment, directement ou sans autre intermédiaire qu’un collaborateur direct.
En 2008, à moins de 5 heures de route de Shanghai, saviez-vous qu’un salaire de base d’un ouvrier dans une entreprise de meubles (à destination du marché français) était de moins de 50€ par mois? En ce mois de novembre 2010, j’ai vu des ouvrières textiles qui gagnent moins de 100€ par mois à Tianjin, une des cinq plus grandes villes de Chine. Ce salaire de base autour d’une centaine d’euros est la norme pour la plupart des ouvriers en Chine.
Qu’entend-on par salaire de base ? C’est le salaire de tout ouvrier travaillant à temps complet, soit 8 heures par jour, 6 jours sur 7, sans aucune assurance, ni santé, ni retraite. Ces salaires sont fixés par le gouvernement de chaque région, ils varient donc d’un endroit à l’autre de la Chine. Il leur est bien sûr possible, voire vivement conseillé, de faire des heures supplémentaires, et les salaires doublent alors, voire triplent, les ouvriers travaillant au bas mot 12 heures par jour, sans repos hebdomadaire. C’est tout simplement révoltant, surtout quand on connait l’inflation galopante en Chine, le niveau de vie, qui bien que beaucoup plus bas qu’en France pour la plupart des villes de Chine, ne permet pas de vivre décemment avec moins de 100€ ou même 200€ par mois.
Notre part de responsabilité est énorme. Je vous inclus cher lecteur, car s’il est plus facile de se sentir responsable en travaillant ici, que celui qui n’a jamais porté ou utilisé une chose faite en Chine me jette la première pierre… Nous sommes responsables en voulant toujours consommer moins cher, quitte à fermer les yeux sur cette misère sociale. Nous sommes responsables en laissant le tissu industriel de nos villes se volatiliser. Nous sommes responsables par nos modes de consommations où nous avons besoin de toujours plus d’avoir pour être.
Je n’ai aucune solution pour parer à ce triste constat, je ne me sens pas la force nécessaire pour lancer une révolution internationale…
Et puis aussi, j’ai récemment reçu le témoignage d’une Chinoise me racontant son histoire et qui m’a fait comprendre, qu’une fois de plus, rien n’est tout noir ou tout blanc dans ce bas monde.
Li est originaire d’un petit village du Zhejiang à une dizaine d’heures de route de Shanghai. Ses parents étaient paysans et elle a grandi à la campagne. Elle a reçu là-bas une mauvaise éducation mais menait une vie simple et heureuse. Ses parents ont eu un accident de vie et ont du emprunter une somme importante à leurs proches – 500€, plusieurs années de revenus pour des paysans dans les années 1990. Aucun moyen de rembourser cette somme, si ce n’était de partir dans la ville voisine la plus proche, Taizhou. Ils sont devenus paysans-ouvriers, comme il y a en tant dans ces usines. Les parents de Li lui ont permis d’étudier dans cette ville plus importante – au prix d’énormes sacrifices, l’année universitaire coutant autour d’un an de salaire pour un ouvrier, 1.000€ – et elle y a étudié l’anglais. Dans son premier emploi à Taizhou, elle a rencontré un Allemand qui l’a formée aux méthodes de travail occidentales, et qui lui a permis deux ans plus tard de venir travailler à Shanghai. Elle a aujourd’hui un travail à responsabilités, peut faire des choix dans sa vie et aide sa famille financièrement.
Je ne dis pas que le travail de ses parents en usine a été une bénédiction, mais il a permis un changement dans sa famille, et elle a pu recevoir une éducation et être libre de faire des choix…
Pour relativiser encore, lors de mes passages en usine, j’ai vu plus de visages ouverts, souriants et se racontant des blagues, que de visages fermés…
Je me sens totalement désarmée et sans solution quand je réfléchis aux conditions de travail en Chine. L’exemple de Li, au milieu de tant d’autres, me montre aussi les extraordinaires ressources des Chinois. Mais quand je pense que tout le commerce international est basé sur l’exploitation de cette classe sans voix, je ne ressens que colère et injustice…
Le sujet est lancé, n’hésitez pas à apporter vos avis, tant qu’ils restent respectueux et constructifs !