(Source : France inter) Voici l’essentiel de la conversation « off the record » sur l’attentat de Karachi, entre Nicolas Sarkozy et plusieurs journalistes, après le sommet de l’OTAN de Lisbonne. La polémique sur le terme « pédophile » employé par Nicolas Sarkozy dans ses propos avec un journaliste a jusqu’ici éclipsé le fait que Nicolas Sarkozy tente de se justifier dans l’affaire de l’attentat de Karachi, affaire qu’il qualifie de « boule puante ». Une justification plutôt maladroite…
Dans un premier temps, Nicolas Sarkozy, veut absolument pointer du doigt les erreurs factuels des journalistes le concernant, (il n’a pas été trésorier de la campagne d’Edouard Balladur, mais ministre du Budget ; il n’a pas été directeur de campagne, mais porte-parole de campagne de Balladur). Mais dans le même temps, le chef de l’Etat se livre, lui aussi, à une série d’approximations ou de contre-vérité, dans le dossier Karachi :
Concernant les commissions qui aurait été versées à des intermédiaires:
Nicolas Sarkozy affirme ainsi : « Personne n’a la moindre preuve de quoi que ce soit » , alors que le fait que des commissions (légales) versées à un premier réseau d’intermédiaire pakistanais, puis ensuite à un deuxième réseau d’intermédiaire, imposé avant la présidentielle de 95, est désormais acté par l’enquête des juges Trevidic et Van Ruymbeke.
- Concernant, le rôle qu’aurait pu jouer Nicolas Sarkozy dans la création d’une société off shore en 94:
pour le versement de commissions, le président se défend que son nom apparaisse dans la procédure : « Il y a une pièce qui dit que j’ai donné mon aval ? Une pièce avec le nom de Nicolas Sarkozy qui dit ça ? (…) Je n’en ai aucun souvenir. Vous voyez le ministre du Budget qui va signer un document pour donner son aval à une société luxembourgeoise », avant de nuancer un peu plus loin : « peut-être que le Ministère du Budget l’a fait à un moment (…) mais moi ? Non, jamais. » Sur ce point précis, une chronologie saisie par les enquêteurs à la Direction des constructions navales et un rapport de la police luxembourgeoise présente bien Nicolas Sarkozy, ministre du Budget, comme ayant donné son feu vert à la création de la société Heine (rebaptisée Eurolux) par laquelle ont transité les commissions.
- Concernant les déclarations de l’ancien ministre de la défense, Charles Millon:
faisant état devant le juge Renaud Van Ruymbeke de son « intime conviction » sur l’existence de rétro-commissions, après enquête des services secrets qui lui en aurait fait ensuite un rapport oral, Nicolas Sarkozy rétorque : « Quels services ? Qu’il dise un nom, un service. Mais personne, aucun service. » Pourtant, Charles Millon a bien précisé devant le juge Van Ruymbeke qu’il s’agissait de la DGSE : « la DGSE avait recherché s’il y avait des dépôts de sommes qui relevaient de contrats de commissions liés à l’armement », ou encore : « selon les rapports oraux qui m’avaient été fait par des agents de la DGSE. » « Il n’y a pas un seul parmi vous qui croit que je vais organiser des commissions et des rétro-commissions sur des sous-marins au Pakistan », se défend Nicolas Sarkozy, avant d’ajouter plus loin : « S’il y avait quelque chose contre moi, ça se serait trouvé, vous croyez pas, non ? »
- Concernant les documents que les magistrats souhaiterait voir déclassifiés:
« il n’y en a pas un seul de l’Etat qui ait été refusé », lance Nicolas Sarkozy. Pourtant, le juge Trévidic vient d’écrire au nouveau ministre de la Défense, Alain Juppé, pour lui demander une nouvelle fois des documents qu’il n’arrive pas à obtenir. La plupart des documents déclassifiés jusqu’ici n’ont pas permis de faire avancer l’enquête. Certains éléments précieux, concernant certains rapports de la Direction des chantiers navals et de la DGSE n’ont toujours pas été versés au dossier.
- Dernier élément : à plusieurs reprises, le chef de l’Etat fait allusion à la manipulation dans l’affaire Clearstream:
« Je n’ai pas de compte chez Clearstream »), comme s’il souhaitait faire un amalgame avec le dossier Karachi. A ce sujet, il ne se prive pas de lancer une pique au juge Van Ruymbeke (qui pourtant a contribué à démonter la manipulation des listings Clearstream falsifiés) : « Pendant deux ans, on m’a poursuivi pour Clearstream au Luxembourg. Tiens, c’était Van Ruymbeke aussi, ça c’est curieux, tiens. »
Le chef de l’Etat montre également, au fil de la conversation, qu’il suit de très près les derniers développements de l’affaire Bettencourt.
Dossier Benoît Collombat/ Mise en ligne : Valeria Emanuele
« - La moitié des journaux disent que j’étais le trésorier de la campagne de Balladur, commence par expliquer Nicolas Sarkozy. Je vous pose une question, est-ce que j’ai été le trésorier de la campagne de Balladur ? »
Réponse d’un journaliste : « - Non. »
« - Je vais gêner personne, mais c’est simple de vérifier quand même. J’ai jamais été trésorier de la campagne de Balladur. D’autres disent que j’ai été directeur de campagne de Balladur. Est-ce que j’ai été le directeur de campagne de Balladur ? J’étais le porte-parole de Balladur. Pourquoi ne pas être précis ? Deuxième chose, j’ai jamais été ministre de la Défense. Je suis pas au courant des contrats de sous-marins négociés à l’époque avec un président qui s’appelle M. Mitterrand, un Premier ministre qui s’appelle M. Balladur, avec un ministre de la Défense qui s’appelle M. Léotard. En tant que ministre du Budget, je n’ai jamais eu à en connaître ni de près, ni de loin, puisque même la procédure de validation (vous savez par le ministre du Budget sur proposition du directeur général des impôts) a été supprimée en 1992 par M. Charasse, en octobre 1992, j’ai même pas eu à le faire. Vous voyez ce que je veux dire. Alors on me dit : il y a eu des commissions. Parfait. Personne n’a la moindre preuve de quoi que ce soit. Personne. Ah, il y a de l’argent liquide sur la campagne de M. Balladur, très bien, OK, dont les comptes ont été validés par le Conseil constitutionnel. Ah oui, mais Sarkozy, c’était un soutien de Balladur. Il est président de la République, donc il est dans le coup. Est-ce qu’il n’y a pas un moment, je vous le dis sans être agressé, où il faut être sérieux ? Est-ce qu’il y en a un seul, parmi vous, qui a vu un document qui me mette en cause, ni de près, ni de loin. Mais moi, sous prétexte que je suis président de la République et que j’ai été porte-parole de la campagne de Balladur… Mais en quoi ? Y-a-t-il un document qui me mette en cause, un seul ? »
Un journaliste le relance : « - Il semblerait qu’il y ait votre nom, que vous ayez donné votre aval à la création de deux sociétés au Luxembourg. »
Réponse de Nicolas Sarkozy : « - Ah Luxembourg… Comme Clearstream. »
Le journaliste : « - Non, je ne pensais pas à ça. Des sociétés par lesquelles seraient passées des rétro-commissions. »
Nicolas Sarkozy « - Jamais, mon pauvre. Mais il y a une pièce qui dit que j’ai donné mon aval ? Une pièce avec le nom de Nicolas Sarkozy qui dit ça ? »
Le journaliste : « - Manifestement, elle est dans le dossier du juge, oui. »
Nicolas Sarkozy : « - Qui dit ça ? Mais enfin, écoutez : jamais. Je n’en ai aucun souvenir. Vous voyez le ministre du Budget qui va signer un document pour donner son aval à une société luxembourgeoise ? Pendant deux ans, on m’a poursuivi pour l’affaire Clearstream au Luxembourg. Tiens, c’était Van Ruymbeke aussi. Tiens, c’était le même, ça c’est curieux, tiens. »
« - Vous pensez que c’est la même mécanique ? », l’interroge un journaliste.
Nicolas Sarkozy : « - Ah, j’en sais rien. Mais enfin, je suis pas spécialiste du Luxembourg. Je n’ai pas de compte chez Clearstream. Vous vous rendez comptes de ce que vous dites : ‘’Il semblerait…’’ Vous êtes journaliste, regardez : ‘’Il semblerait…’’, c’est quoi ?
Un journaliste : « - Je vous dis : « Il semblerait… », parce que je n’ai pas accès au dossier du juge. »
Nicolas Sarkozy : « - Moi non plus, le dossier du juge, personne n’y a accès. Remarquez : il communique avec tous les journalistes. Et ce brave M. Million, c’est off ce que je vous dit, qui dit qu’il a une ‘’intime conviction’’. Une intime conviction, ah bon ? On lui dit : « Mais alors, ça se base sur quoi ? » « Des rapports oraux des services ». « Ah bon, quels services ? » Qu’il dise un nom, un service. Mais personne, aucun service. Ah, moi j’ai l’intime conviction que vous êtes un malhonnête. Sur quoi ? Les rapports oraux des services. Mais quels services ? C’est la DGSE, les renseignements généraux, la DST. Et à la DGSE, c’est Monsieur Untel. Vous comprenez, c’est incroyable. Et après, moi, je dois me justifier. Et votre confrère, très sympathique : « Il semblerait que vous ayez donné votre aval à la création de deux sociétés luxembourgeoises… ». Mais il connaît pas le nom des sociétés. Il sait pas s’il y a un document qui me met en cause, en quoi que ce soit. Ce qui ferait, si je parlais « on » : « Nicolas Sarkozy dément avoir donné son accord. » Mais écoutez, on est dans un monde de fous. Il n’y a pas un seul parmi vous qui croit que je vais organiser des commissions et des rétro-commissions sur des sous-marins au Pakistan, c’est incroyable. Et ça devient un sujet à la télévision. Et vous, j’ai rien du tout contre vous : « Il semblerait que vous soyez pédophile… » Qui me l’a dit ? J’en ai l’intime conviction. Les services. De source orale. Pouvez-vous vous justifier ? Et ça devient : « Je ne suis pas pédophile ». Mais attend. Faut être sérieux, quand même. Soit vous avez quelque chose et dans ce cas là, j’y réponds bien volontiers. Soit vous avez rien, et parlez-moi de choses intéressantes. Un jour, c’est sur madame Bettencourt, un jour c’est sur Karachi, et c’est sur Clearstream. Un quatrième, c’est sur des comptes que j’aurais en Suisse. Dites-moi une bonne fois pour toutes ce que vous avez, et parlons en. Mais vous pouvez pas être instrumentalisé (vous qui faites un métier sérieux) tous les jours, sur n’importe quoi, sur les déclarations d’un avocat excité. Soit il y a quelque chose, dans ce cas là, je m’explique bien volontiers, soit il n’y a rien. Ecoutez, quand même c’est curieux : ça remonte à 1994, bientôt 17 ans. S’il y avait quelque chose contre moi, ça se serait trouvé, vous croyez pas, non ? En 17 ans. Enfin… Un type sérieux comme Bruno Dive écrivait dans Sud-Ouest : « Nicolas Sarkozy est le trésorier de la campagne de Balladur. Et il est journaliste politique, spécialiste. Mon Dieu, qu’est-ce que ça serait s’il ne l’était pas ? Qu’est ce que vous voulez que je vous dise ? Mettez-vous à ma place, c’est votre métier quand même. Enfin, écoutez : ça vous a pas suffit Clearstream et tout ça ? Faut recommencer ? »
Et le président de la République s’adresse à nouveau au journaliste qui lui a posé la question sur la création des sociétés au Luxembourg, dans l’affaire Karachi :
« - Je suis pas du tout agressif, d’abord, je vous en veux pas, non mais attend, vous me trouvez fâché. D’abord, le pauvre, il n’est pas pédophile, non, je ne le pense pas. C’est pas un fait. En plus je le connais, je l’apprécie, j’ai aucun contentieux. Il me dit : « Il semble que vous ayez donné votre aval à la constitution de deux sociétés luxembourgeoises ». Je n’en n’ai aucune idée. Y-a-t-il un document qui montre, à un moment ou à un autre, que j’ai donné instruction de créer des sociétés luxembourgeoises ? Alors, peut-être que le Ministère l’a fait à un moment… J’ai été ministre du Budget deux ans, mais, moi ? Non, jamais ! Vous comprenez, je ne sais pas, je n’en sais rien. Mais reconnaissez que la question ainsi posée est un petit peu vague pour se justifier, vous comprenez… »
A cet instant, le conseiller en communication du chef de l’Etat, Franck Louvrier, vient chercher Nicolas Sarkozy pour mettre fin à cette conversation :
L’un des journalistes lance alors :
« - J’espère qu’on vous a pas coupé l’appétit. »
Réponse de Nicolas Sarkozy :
« - Mais non. C’est sans rancune, hein, le pédophile… »
Un autre journaliste relance Nicolas Sarkozy sur la situation de l’Irlande, mais le président de la République préfère revenir, une nouvelle fois, sur l’affaire Karachi :
« - Vous trompez pas, c’est un sujet sérieux, dit-il. On va pas courir en permanence après la dernière boule puante comme ça. Ecoutez, vous êtes des professionnels, des gens sérieux. Soit on vous donne des pièces et vous me demandez de me justifier, soit dans ce cas là, vous considérez que c’est de la manipulation. Point. Vous avez pas besoin de moi pour ça.
Question d’un journaliste : « - Vous pensez que tout ça est une cabale ? Vous y voyez des arrières pensées politiques ? »
« - Je dis : « faites votre travail », réplique Nicolas Sarkozy. C’est à vous de voir si c’est sérieux. C’est à vous de faire votre travail. Vous le voyez bien que c’est pas sérieux. C’est à vous de faire votre travail. Vous me demandez de faire quoi ? Je suis pas journaliste-enquêteur, vous avez le droit d’enquêter. »
Et Nicolas Sarkozy se lance alors dans une comparaison avec l’affaire Bettencourt :
« - Attendez, c’était quoi l’autre jour ? C’était un chauffeur de Madame Bettencourt qui tenait de la gouvernante aujourd’hui décédée de Madame Bettencourt que j’avais demandé de l’argent. Toute une après-midi, on a du faire passer un communiqué de l’Elysée pour savoir ce que je voulais répondre au chauffeur de Madame Bettencourt qui tenait de la gouvernante de Madame Bettencourt, aujourd’hui décédée, que j’avais demandé de l’argent. C’était la semaine dernière, ça n’arrête pas. Je ne parle pas du grand complot. C’est ridicule. Donnez de l’importante quand vous voyez des faits. »
Nicolas Sarkozy fait ensuite allusion au témoignage de l’ex-comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, qui a mis le feu aux poudres dans l’affaire Bettencourt en ouvrant la piste d’un financement politique :
« - Que ça vous serve de leçon aussi, dit-il. C’est pas à moi de faire votre enquête. C’est à vous, vous êtes des grands garçons, professionnels. »
Un journaliste lui demande alors s’il est favorable à la levée du secret dans les documents pouvant intéresser les magistrats dans l’attentat de Karachi.
« - Mais tout à fait, tout à fait, répond Nicolas Sarkozy. Je ne suis pas pour qu’on déclassifie tout, mais pour les documents, à ma connaissance, il n’y en a pas un seul qui ait été refusé », avant de préciser : « pas un seul de l’Etat ».
Puis, il prend congés des journalistes avec cette phrase : « Amis, pédophiles, à demain ! »