Le cahier “Identités numériques” a été rédigé conjointement par quatre auteurs issus de différentes spécialités :
- Nicolas Aurays, maître de conférence en sociologie ;
- Claire Levallois-Bath, docteur en droit ;
- Frédarice Cuppens et Nora Cuppens-Boulahia, qui travaillent au département Logique des Usages, Sciences Sociales et de l’Information de Télécom Bretagne. Ils sont respectivement professeur et chercheur.
Le cahier est dense et instructif, trop pour en proposer une synthèse. Toutefois, il s’attarde sur quelques questions qui nous intéressent particulièrement.
Identité numérique s’écrit au pluriel
L’identité numérique est souvent associée à l’identité civile. Ainsi, quand on parle de droit à l’oubli, d’e-reputation de l’individu ou encore d’usurpation d’identité, on pense souvent “prénom – nom” et identité “IRL”. Or, comme le rappelle justement le cahier de la Fondation, les identités sont multiples.
D’une part, l’individu n’affiche pas le même visage selon qu’il agit et s’exprime sous son identité civile, un alias ou un pseudonyme. D’autre part, en fonction des réseaux dans lequel il intervient, l’individu ne construit pas forcément la même image.
Dans chaque réseau, l’individu choisi les informations à partager, le ton à prendre. Comme l’avait notamment montré l’étude Sociogeek, l’image construite sur Facebook et les réseaux sociaux n’est pas spontanée : “on se montre avec ses amis, on fait le clown et la fête, mais c’est en réalité une image très travaillée”. Autrement dit, quelque soit l’identité que l’on arbore sur un réseau, il reste une part de calcul. L’exposition de soi est constante, mais elle ne doit pas être interprétée comme de la transparence. Elle est en réalité la construction d’un récit de soi. Appliqué à la sphère professionnelle, c’est d’ailleurs ce que l’on nomme le personal branding.
Liberté, notoriété et collecte des données
La multiplicité des identités nous ramène en fait à des pratiques courantes hors réseau : on ne se comporte pas entre amis comme entre collègues ou en famille. Mais dans le cadre d’une présence en ligne, les traces restent et il existe deux risques et difficultés pour l’individu :
- La porosité non maîtrisée entre deux identités. Tandis que les forums et autres chats valorisent le pseudonyme, certains réseaux sociaux, et notamment Facebook, valorisent au contraire l’utilisation de l’identité civile. Les conséquences, notamment professionnelles, sont récurrentes. Au-delà la gestion des droits d’accès sur Facebook, la récente affaire Alten peut ainsi être interprétée comme un problème de confusion des identités et des sphères associées. Il est dangereux de s’exprimer avec la liberté de ton d’un échange amical quand on est potentiellement sous le regard de collègues. L’individu doit donc apprendre à gérer ses identités pour protéger son identité civile. C’est un des défis à venir tant du point de vue de l’éducation que des outils. De notre côté, nous conseillons de cantonner au maximum l’usage de l’identité civile en ligne à la sphère professionnelle et au personal branding. Ainsi, lorsque un recruteur cherche votre nom sur Google, il fait face à du contenu professionnel réfléchit : le contenu dont vous lui parleriez spontanément et non les photos de vos soirées ou vos opinions politiques.
- Le recoupement des données à l’insu des utilisateurs. Afin de mieux cibler les utilisateurs et de leur faciliter l’accès à un service, les services web peuvent être tentés d’échanger des informations. Les informations que l’individu croit avoir segmenté se retrouvent dans la même base. On peut alors reconstituer une identité globale de l’individu, et non plus avoir accès aux facettes qu’il a choisi de montrer. On touche ici à un risque “Big Brother” qui peut porter atteinte à la liberté et à l’intimité. Il est donc nécessaire de garantir la transparence sur l’usage des données par les différents services web.
L’anonymat vs exposition de soi ?
En conclusion, les auteurs soulignent qu’il est nécessaire de penser l’économie de la notoriété (usage, droit…). Ils évoquent aussi la nécessaire conservation d’un droit à l’anonymat. L’individu étant constamment pris dans une stratégie d’exposition de soi, il doit pouvoir s’exprimer sous couvert d’anonymat ou de pseudonymat. Cela permet de garantir la liberté d’expression et d’échapper “aux contraintes de normalisation de l’identité subjective,” autrement dit à l’injonction d’être souriant, heureux et professionnel. Il est nécessaire pour l’individu d’avoir conscience que son identité civile sur le web doit être travaillée et professionnelle, mais il faut aussi laisser à l’individu le droit de ne pas se restreindre à cette expression.
Le Cahier propose également des réflexions pointues sur l’appréhension technique de l’identité, notamment via OpenId ou SAML 2.0. Par ailleurs, de nombreuses informations juridiques sont mises en avant. Nous vous invitons donc à prendre le temps de le lire attentivement !
Télécharger le cahier de veille “identités numériques”