Nul ne l’ignore, Facebook est sans cesse critiqué pour sa politique de non-confidentialité, mais voilà, qu’avec l’affaire du licenciement des salariés d’Alten pour « dénigrement de leur entreprise » cela risque d’être le début, en France, d’une longue série de litiges, car aujourd’hui, plus de 75% des internautes français sont inscrits sur au moins un réseau social. Notons que Facebook comptent près de 20 millions d’inscrits en France.
Certes des condamnations avaient déjà été prononcées à l’encontre d’utilisateurs de Facebook qui s’étaient épanchés sur le réseau social, néanmoins, c’est la première fois à notre connaissance, qu’une décision de justice légitime un licenciement pour dénigrement de sa hiérarchie sur Facebook.
Rappel des faits
L’affaire débute un samedi soir de décembre 2008, depuis leur domicile et sur leur page privée Facebook, trois salariés de l’entreprise de conseil en informatique Alten avaient critiqué leur hiérarchie et se plaignaient de leurs conditions de travail.
Observons que les propos publiés sur leur « mur »n’étaient pas accessibles à tous les utilisateurs du réseau, mais seulement « aux amis des amis », dont certains étaient employés par Alten. Un collègue a fait une capture écran de la page et l’a transmise à leur employeur commun.
N’appréciant pas la teneur des propos tenus, la direction de l’entreprise a décidé de licencier les trois salariés pour « faute grave », sur les motifs « d’incitation à la rébellion et dénigrement de l’entreprise ». Deux des trois salariés licenciés avaient alors pris la décision de contester leur licenciement devant la justice estimant la sanction disproportionnée par rapport aux faits reprochés, le troisième y renonçant après avoir accepté de transiger.
La sanction
Alors que les anciens employés estimaient qu’une discussion sur Facebook relevait de la vie privée, le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt dans son jugement du 19 novembre 2010 a considéré que l’employeur n’avait pas « violé la vie privée de ses salariés » car les propos avaient été échangés « sur un site social ouvert », que « la page mentionnant les propos incriminés constitue un moyen de preuve licite du caractère bien-fondé du licenciement » et que « Les salariés ne peuvent pas impunément critiquer ou avoir des propos injurieux ou diffamatoires à l’égard de leurs employeurs ».
Le conseil des prud’hommes estime donc fondée la décision prise par l’entreprise de licencier deux salariés pour avoir ironisé sur leur hiérarchie lors d’une conversation privée sur le réseau social.
Le débat
Si le Code du travail donne le droit au salarié de critiquer son employeur, il le soumet aussi à une obligation de loyauté, ce qui exclut le dénigrement, la diffamation, l’injure, les insinuations, l’ironie, la caricature. Ainsi donc pèse sur lui une obligation de discrétion aussi bien vis-à-vis de tiers que de ses collègues. Toute publicité devient donc fautive. Par ailleurs, un salarié peut parfaitement être licencié pour des faits commis dans sa vie privée (c’est-à-dire en dehors du temps et du lieu de travail) si ceux-ci sont suffisamment graves pour semer un trouble dans l’entreprise.
Le code du travail est muet sur ce qu’il est possible de dire ou pas sur les réseaux sociaux, et si les salariés ont mis en avant l’aspect privé et le secret à leur correspondance sur un réseau communautaire privé, au même titre qu’un courrier ou qu’un mail, le jugement lui n’a retenu que le caractère public d’une page Facebook destinée à un groupe d’« amis ».
Facebook est par nature plus ouvert qu’une boite mail.
« Sphère privée ou publique »
Le débat juridique ici posé consistait à déterminer si les discussions ou échanges sur Facebook relèvent de la sphère privée ou publique.
Le conseil des prud’hommes a retenu que l’employeur n’avait pas violé la vie privée de ses employés puisque les échanges avaient eu lieu « sur un site social ouvert ». Du reste, la jurisprudence, avait déjà jugé que Facebook s’apparentait à un espace public. Ainsi donc, dès lors que l’on publie des propos sur un site social ouvert, ils appartiennent à la sphère publique.
En clair, cela ne veut pas dire que tout ce qui est dit sur Facebook doit être source d’angoisse, mais qu’il faut savoir choisir avec soin les personnes ayant accès aux informations de son compte.
Conclusions
Observons que ce jugement pourrait faire jurisprudence s’il était confirmé en appel.
Les salariés doivent faire extrêmement attention à ce qu’ils disent, même de manière humoristique, sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, ils ne doivent pas oublier de tenir compte de la fonction qu’ils occupent au sein de leur entreprise avant de s’exprimer à son sujet.
D’autre part, il convient de ne pas oublier que les « murs » peuvent avoir des oreilles, et sont présumés publics, à moins de préciser clairement « conversation personnelle, ne peut être divulguée» ou de paramétrer son compte en conséquence.
Des licenciements pour ce motif risquent de se multiplier, les entreprises cherchant de plus en plus à encadrer les réseaux sociaux, qui peuvent ternir leur image.
Méfiance désormais pour tous les salariés car critiquer sa hiérarchie sur le mur Facebook est un motif de licenciement.
Au-delà de ce cas particulier il convient de s’interroger sur :
- la confidentialité sur les réseaux sociaux. En effet, Facebook pas plus que les autres réseaux sociaux n’est un espace privé au sein duquel vous pouvez tenir n’importe quel propos sans peur des conséquences. Avec l’accessibilité autorisée aux amis et aux amis des amis, la sphère privée ne peut plus être définie et explose de manière exponentielle. Elle devient donc publique. Et comme le constate Jean-Emmanuel Ray dans Libération « il y a une porosité croissante entre vie privée et vie professionnelle »
- La notion « d’amis » sur le Net, qui fait l’objet d’un contre sens symbolique induit par la dangereuse fusion entre les sphères privée et publique.
- Aux Etats-Unis, le débat porte sur la liberté d’expression des salariés, ainsi selon la Tribune, l’agence fédérale chargée du respect de la législation du Travail, la NLRB, vient de déclarer illégal le licenciement d’une employée d’une société d’ambulance du Connecticut qui avait critiqué son supérieur sur Facebook, estimant que ses propos étaient protégés par le droit à s’exprimer sur ses conditions de travail.
Remarquons que dans un sondage en ligne du Parisien auprès de 1878 internautes, à la question « comprenez-vous qu’on puisse être licencié pour des propos tenus sur face book ? » – 52,3% ont estimé que cette décision était normale et 47,7% qu’elle était anormale. Par conséquent, il reste encore beaucoup de personnes à sensibiliser et informer sur ce type de danger.
Cette affaire invite les salariés à la Prudence, mieux vaut mesurer les mots que l’on utilise pour parler de son patron sur Facebook et les entreprises à la Vigilance, elles doivent franchement fixer les règles du jeu en établissant des chartes de communication sur les réseaux sociaux.