Rassurez-vous, amis lecteurs, il n'est nullement dans mes intentions de reprendre aujourd'hui le rôle de mon ancien professeur du cours d'art dramatique au Conservatoire que je fréquentai mon adolescence durant pour vous demander de répéter une dizaine de fois et de plus en plus vite le titre ci-dessus mis entre guillemets donné à ma présente intervention.
Si je l'ai choisi, indépendamment des bons (?) souvenirs qu'il m'évoque, c'est bien
évidemment parce qu'il est en rapport direct avec un des animaux de la vitrine 3 de la salle 5 du
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre devant laquelle nous nous retrouvons ce matin.
Souvenez-vous, parce qu'une dédicace à la déesse Bastet se lisait sur tout le pourtour du socle d'une des statuettes de chats exposées ici, j'avais consacré un des mardis d'octobre à évoquer l'aspect féminin, fécond et maternel de l'animal.
Après avoir en quelque sorte poursuivi l'interruption du congé de Toussaint en introduisant, les 9 et 16 novembre derniers, les épisodes d'une enquête qu'avaient brillamment menée deux de mes lecteurs pour retrouver des monuments absents de la base de données du site internet de Louvre, j'aimerais maintenant, prenant prétexte de la présence, toujours dans le même bloc vitré disposé devant nous, d'une autre figurine de chat, épingler son côté plus spécifiquement félin, prédateur ...
Cette pièce (E 13245) de 20, 4 cm de long et d'une hauteur de 10 cm , en bois stuqué comme le groupe des quatre de l'arrière-plan, a peut-être en son temps orné le sarcophage d'un chat. Datant également de Basse Epoque, elle attire immédiatement le regard par opposition aux chattes allongées que nous apercevons maintenant de dos, alignées sur notre gauche et que nous avons admirées le mois dernier.
En effet, et malgré la réalisation qui peut éventuellement paraître un peu fruste, malgré les quelques fissures qui ont ici et là altéré le bois, malgré aussi l'absence d'oreilles - qui n'est que contemporaine car, à l'antiquité, elles devaient manifestement être rapportées -, la position que l'artiste lui a donnée ne peut prêter à confusion : il ne s'agit plus d'un animal mollement étalé, les mamelles bien en évidence, jouant avec ses chatons nouveau-nés ; il ne s'agit pas plus d'un félidé fièrement assis sur son postérieur ; il ne s'agit plus d'un ex-voto à Bastet dédié.
Attitude renforcée à la fois par ses pattes tendues vers l'avant et la présence d'yeux incrustés guettant une proie, cette sculpture constitue une représentation particulièrement saisissante d'un chat - peut-être même sauvage - qui semble à l'affût, frémissant, assurément prêt à bondir ...
A maintes reprises dans un passé récent, au sein de la rubrique "Décodage de l'image égyptienne", j'ai saisi l'opportunité d'attirer votre attention, que ce soit à propos de la chasse ou de la pêche dans les fourrés de papyrus, sur toute la symbolique sous-jacente dont ces scènes étaient grosses.
Je n'escompte évidemment pas à nouveau m'y attarder, sauf pour mettre en évidence, dans le même esprit, la présence de chats, essentiellement à la XVIIIème dynastie, parmi les peintures de quelque quatre cents hypogées des différentes nécropoles, à l'ouest de Thèbes.
Si certains de ces tombeaux sont plus connus que d'autres, je pense par exemple à ceux d'Amenemhat (Tombe thébaine 53) à l'époque de Thoutmosis III, ou de Kenamon (TT 93) à celle d'Amenhotep II ou encore de Menna (TT 69) datant quant à lui du règne de Thoutmosis IV ou d'Amenhotep III, l'un d'entre eux, dont à vrai dire on a perdu la localisation exacte même si d'aucuns avancent la TT 146 (??), celui d'un certain Nebamon, a acquis une aura particulière grâce à l'incontestable talent de l'artiste qui le décora.
Vous vous souvenez certainement, amis lecteurs, à tout le moins je l'espère, du fragment peint E 13101 - ramené d'Egypte par Frédéric Cailliaud -, à propos duquel nous avions ici même, devant la vitrine 2 derrière nous, longuement disserté au printemps dernier. Lors de notre rencontre du 2 mars, j'avais rapidement cité le ressortissant grec Giovanni d'Athanasi, de mèche avec le consul général britannique au Caire, l'ambitieux et tristement célèbre Henry Salt, pour piller les sépultures thébaines.
C'est précisément cet homme, véritable vandale stipendié par Salt en personne qui, en 1820, utilisant manifestement pioches et scies, arracha plusieurs fragments peints des parois de la chapelle funéraire de Nebamon.
Après moult péripéties, ces petites merveilles appartiennent désormais - ou plutôt, sans préjuger des visées de rapatriement chères à Zahi Hawass qui dirige le Conseil suprême des Antiquités égyptiennes, il serait plus correct j'indique : appartiennent actuellement -, au British Museum de Londres. Pour le plus grand bonheur des visiteurs, ils viennent d'être restaurés et exposés dans une galerie qui leur est propre.
Si dans ces hypogées il était coutumier à l'époque d'y représenter un chat, notamment sous le siège de l'épouse du défunt dans la mesure où, comme nous l'avons vu déjà, l'animal était traditionnellement associé à la notion de maternité, de fécondité, l'image qui fait office de parangon, d'archétype est celle de la scène de chasse dans les marais nilotiques dans laquelle l'agile félidé n'a de cesse de capturer l'un ou l'autre volatile s'ébattant au-dessus d'un fourré de papyrus.
Contrairement à une obsolète interprétation que l'on lit encore parfois chez certains égyptologues et qui voulait que dans ce type de figuration, l'animal secondât son maître en chassant ou pêchant, ramenant ainsi avec obéissance, lui pourtant si indépendant, les proies qu'il avait pu atteindre, je me dois de préciser que, bien que parfaitement intégré à la vie d'une famille, il n'en est nullement un auxiliaire actif ; et cela, à la grande différence du chien.
Vous aurez tout de suite remarqué, amis lecteurs, qu'ici, le chat est peint complètement en dehors du fourré végétal, c'est-à-dire symboliquement à la limite du monde sauvage et, surtout, qu'il capture trois oiseaux simultanément, tout comme Nebamon en serre le même nombre dans une main. Le geste n'est à nouveau aucunement représentatif d'une quelconque vérité cynégétique mais ressortit à une symbolique liée cette fois au domaine de l'écriture égyptienne : en effet, il faut savoir que le chiffre trois matérialisait simplement la notion du pluriel.
Si le motif du chat chassant dans les marais persista de manière sporadique même après la fin du Nouvel Empire, force est de constater qu'à l'époque dite amarnienne, c'est-à-dire sous le règne d'Amenhotep IV/Akhénaton, il fut franchement absent de l'iconographie funéraire au motif, pense l'égyptologue tchèque Jaromir Malek, de son assimilation à certaines divinités désormais proscrites en ces temps bien particuliers.
J'indiquais rapidement tout à l'heure la très récente restauration dont ces fragments avaient fait l'objet. Détail non anodin : il fut découvert une feuille d'or insérée dans l'oeil du petit félidé, ce qui donnerait à penser qu'il pourrait être assimilé au grand chat d'Héliopolis, destructeur des forces du mal. Et cela corrobore, si besoin en était encore, l'interprétation qui insiste sur le côté magico-symbolique de semblable scène ; vous m'autoriserez à n'y point revenir !
En revanche, visant à embrasser le plus largement possible les différentes facettes que l'animal présentait aux yeux des Egyptiens, je me propose, mardi prochain, de précisément évoquer ce grand chat d'Héliopolis.
(Bouvier-Closse : 2003, passim ; Malek : 2006, 66-9 ; Parkinson : 2009, 12)