Avec La Musique de sang qui a paraît-il révélé Greg Bear, je pensais enfin avoir effectué une percée concluante dans le domaine de la hard science. Seulement, après avoir franchi un premier mur, voici que c'est un autre, insurmontable cette fois, qui m'a barré la route.
Explication.
J'avais ce préjugé de croire que les auteurs faisant de la science la matière première de leur récit ne parvenaient jamais à donner de l'envergure à leurs personnages. Ceux-ci n'étant en fin de compte que des faire-valoir, des pions, des balises, des prétextes dans le cadre d'une démonstration inscrite elle-même dans un roman. La question qui me turlupinait - et me turlupine encore - était de savoir comment pouvait-on finalement prétendre parler de l'Humain si les personnages étaient justement si dénués d'humanité, si on ne parvenait jamais à croire en eux, et si ne serait-ce qu'une étincelle d'empathie ne brillait que par son absence ?
Malgré un jargon scientifique assez pointu
"Tout d'abord, il faut trouver un segment d'ADN viral qui code pour les topoïsomérases et les gyrases. Tu l'attaches à ton ADN cible et tu l'aides à diminuer le nombre d'attaches... pour hyper-enrouler négativement la molécule cible. Dans mes premières expériences, je me suis servi d'éthidium, mais..."
que certains auront heureusement le plaisir d'apprécier, Greg Bear m'a convaincu que je me trompais... jusqu'à la moitié du roman où j'ai retrouvé les travers que j'impute à la hard science - et encore une fois, je ne demande pas mieux qu'on me démontre combien j'ai tout faux.
Vergil Ulam est un beau personnage, complexe et déroutant. Contraint de quitter en urgence le laboratoire pour lequel il travaillait, il s'injecte les cellules intelligentes dont il faisait la culture. Le résultat ne se fait pas attendre, le corps de Vergil connaît des transformations physiques mélioratives.
Cette partie du roman est la plus prenante. Parce que l'on avance en territoire inconnu sans jamais appréhender la capacité évolutive des cellules dans son ensemble, tout en devinant que leurs intentions ne sont pas mauvaises. Mais aussi parce que Vergil interpelle et subjugue dans son oscillation entre fascination, répulsion et acceptation autour d'un phénomène artificiel, marquant la fin d'une ère et le début d'un nouveau jalon dans la marche de l'évolution.
La seconde partie du roman, même si Greg Bear fait toujours preuve d'une bien belle imagination, marque tout de même le pas et se révèle nettement moins intéressante. La faute à des personnages carton-pâte dont on se fout complètement et qui arrivent à point nommé pour soulever la grande question du Choix, ou pour démontrer que les hommes ont toujours redouté toute forme de changement.
Pour finir, le côté nous ne faisons qu'Un, l'information à tous pour tous et par tous dans une communion salutaire, je l'avoue, très peu pour moi. Je préfère de loin me taper sur le doigt avec un marteau et en assumer la douleur tout seul sans en faire profiter les autres.
La Musique du sang, Greg Bear, traduit de l'américain par Monique Labailly, Gallimard (Folio SF), 345 p.