Malgré les scandales politiques à répétition à droite comme à gauche, malgré le mauvais classement chronique de la France (qui a encore reculé d’un rang) dans le classement de Transparency International, la corruption n’est pas un facteur électoral déterminant. Voilà qui peut sembler fort étrange (sauf aux élus de la république qui en sont parfaitement conscients). Nous savons que le degré de corruption est directement corrélé au degré de présence de l’État dans la vie économique et sociale d’un pays. Voilà pourquoi nous avons pléthore de barons politiques aussi corrompus qu’inamovibles : Médecin, Noir, Carignon hier, Patrick Balkany, Woerth et nombre d’autres aujourd’hui. C’est l’une des grandes faiblesses que les démocraties ont du mal à traiter. Investis de la légitimité populaire, nos politiques imposent hélas leur loi à la justice, autorité pas tout à fait indépendante (nous sommes loin de ce fameux mais hypothétique 3e pouvoir cher aux libéraux).
Et même lorsque la justice va au bout de son travail, l’application des peines est rarement trop douloureuse. La reprise des affaires par les condamnés – « business as usual » – tarde rarement pour les membres du sérail (Bernard Tapie n’en faisait pas partie). Si les autorités politiques ont laissé Didier Schuller s’exiler en République Domonicaine où il a fait fortune dans les casinos malgré sa condamnation à de la prison ferme, Patrick Balkany fait toujours régner sa loi à Levallois-Perret et dans les Hauts de Seine (où ils ont fait débarquer Devedjian pour préparer le fauteuil du prince héritier Jean). Alain Juppé aussi est resté incontournable dans la vie politique française, prenant la tête d’une grande ville du pays avant de revenir à un ministère important.
Dans cet environnement profondément laxiste à l’égard de la corruption politique, les scandales Woerth-Sarkozy et le Karachigate vont-ils avoir un impact politique réel ? Les suspicions de financements illicites des deux campagnes présidentielles auxquelles Nicolas Sarkozy a participé (l’une pour le candidat Balladur, l’autre pour lui-même) ont-elles une chance de déclencher une réaction électorale de la part de citoyens qui, eux, subissent une répression renforcée dans tous les actes de leur vie quotidienne en plus d’une pression fiscale confiscatoire ? En se banalisant, le comportement mafieux des politiques ne fait plus réagir des citoyens léthargiques qui ont d’autres soucis et d’autres priorités dans la vie. Après tout, l’essentiel est de disposer des places de crèche, d’une voirie convenable et d’un bon niveau de sécurité. La dette et la croissance explosives de la pression fiscale locale ne suscitent pas encore de rejet franc et massif. Attendons le défaut de paiement de municipalités pour voir.
Ensuite, cette faiblesse est-elle inhérente aux démocraties et absente des dictatures ? Clairement non, et l’UMP qui a noué une alliance avec le Parti Communiste chinois le sait aussi bien que la gauche qui a eu pour leader un maître en matière de corruption : Mitterrand. Les dictateurs volent copieusement et sans vergogne leurs concitoyens. La Chine tranche de temps à autre la tête (au sens littéral) à des personnalités politiques corrompues, c’est peut-être une méthode à envisager. Sans aller si loin, et sans non plus basculer dans une république des juges porteuse de dangers (imaginez Eva Joly au pouvoir, bbrrr, j’en frissonne d’angoisse), nous devrions établir des peines beaucoup plus vigoureuses, au caractère fortement dissuasif, à l’égard des politiques condamnés pour des actes de corruption, même lorsqu’ils concernent leur formation ou leur campagne électorale : ce sont eux, après tout, qui les font vivre, et souvent grassement.
« Tous pourris » peut-être, « tous complices » sans doute. Mais n’oublions pas qu’en démocratie, contrairement aux régimes autoritaires, on peut au moins rire de la corruption et des corrompus en lisant le Canard Enchainé (qui lui non plus n’est pas blanc blanc malgré un courage indéniable).