Quatre voies mènent à Vézelay (1)

Publié le 22 novembre 2010 par Jlhuss

Cette magnifique description des 4 chemins du randonneur vers Vézelay que nous devons à l’ami Chambolle avait souffert de “l’incident” survenu sur les blogs du Monde.fr; c’était l’occasion de réactualiser les photos (ne manquer le clic pour agrandir) illustrant cette approche de La Madeleine (le texte est inchangé)

Pour celles et ceux qui connaissent la région, ils apprécieront certainement à nouveau la randonnée. Les autres auront peut-être l’envie de venir voir de prêt ce merveilleux environnement, de faire connaissance avec la colline inspirée (les commentaires lors des premières parutions ont malheureusement disparus : l’occasion d’en inscrire de nouveaux …)

 [réédition]

… que ad Sanctam Magdalenam Viziliaci tendentes

Il y a quatre voies qui mènent à la Sainte Madeleine de Vézelay . Le même nombre, exactement, que pour Saint Jacques de Compostelle. Mais notre colline bourguignonne a l’avantage sur la pointe de la Galice d’être plantée au cœur des terres. On y vient donc des quatre points cardinaux. Nord, Sud, Est et Ouest, autant d’occasions de constater que, comme on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière, on ne voit jamais Vézelay de la même façon . D’ailleurs, pour peu qu’on soit curieux et qu’on ne craigne pas de s’égarer un peu, (ce qui n’est pas très grave, le Morvan n’est pas l’Amazonie) la découverte de la basilique peut se décliner sur tous les pétales, et ils sont nombreux, de la rose des vents.

C’est donc pour simplifier à l’extrême que je m’en vais proposer quatre balades qui permettent d’aborder la colline sacrée en venant de chacun des quatre points cardinaux. Il va de soi que ces itinéraires ignorent la ligne droite qui n’est le plus court chemin pour aller d’un point à un autre que dans les mornes manuels de la géométrie.

Le chemin du Nord

On pourrait aussi bien l’appeler la voie des Normands. C’est à eux que Vézelay doit d’exister. Les vikings ayant détruit et pillé le couvent de femmes qui se trouvait au bord de la Cure, on envoya des moines pour les remplacer. Prudents, ils plantèrent leur monastère en haut de la colline pour mieux voir venir et prévenir le danger. Mille ans et quelques dizaines d’années plus tard et même si l’habit a changé, ils y sont toujours. Les descendants des pirates nordiques aussi, qui débarquent par paquets de quarante de cars climatisés pour effectuer un aller-retour parking-basilique sous la conduite de guides habiles à expliquer les arcanes de l’art roman et de l’histoire sainte. Sur leur itinéraire, ils trouvent des commerçants en tout genre qui font tout ce qu’ils peuvent pour justifier la vieille plaisanterie anticléricale selon laquelle lorsque Jésus chassa les marchands du temple il n’est pas allé bien loin. Ces négociants font tout ce qu’ils peuvent pour alléger les bourses nordiques. Juste retour des choses.

Laissant les véhicules chargés de Danois, de Frisons ou d’habitants de la Seine-Maritime, filer sur la départementale 951 qui mène de, l’encore, route nationale 6 à Vézelay, le randonneur ou la randonneuse garera son véhicule à Givry situé en B2 de la carte IGN 2722 ET et à quelques encablures de la gare SNCF de Sermizelles (arrêt facultatif). Le GR 13 traverse le village. Pendant tout le début de la balade, il suffit de suivre ses balises rouges et blanches.

Givry a église, château, école, salle des fêtes et 150 habitants, c’est dire qu’on quitte assez rapidement le village. Un kilomètre le long de la modeste départementale 71 et on prend vers la gauche un chemin qui mène au gué du Chêne et aux ruines du Moulin d’Argent. Ensuite on traverse des prairies par la Perrière, Rimarre et Bredin et on arrive à un croisement.

Un banc de béton y attend le promeneur dilettante. C’est le moment de tourner à droite et de s’engager sous bois, direction sud-ouest dans une piste qui grimpe entre les deux points culminants de l’Avallonnais les monts Niètre (331 m) et Montmartre (354m). Au « col » qui sépare ces deux sommets on trouve à gauche un sentier. Il conduit au plus élevé au Montmartre. Là-haut des archéologues ont trouvé les restes d’un petit temple dédié aux dieux gaulois puis gallo-romains locaux (les martres…). Une fosse circulaire presque invisible est la seule trace qui subsiste de cet édifice. Une croix plantée entre trois tilleuls exorcise le souvenir des divinités païennes. Faire le détour pour voir vaut la peine. Il y a les marches d’un escalier qui, sans peut-être remonter aux Romains, ne date pas d’hier. Il y a la vue qui s’étend loin vers le nord et surtout, il y a un je-ne-sais-quoi de nostalgique et de mystérieux qui incline au silence.

A la sortie de la forêt, le chemin plonge vers Domecy sur le Vault qu’on traverse en passant devant ses châteaux, ses sources, son lavoir et son église. Il arrive que celle-ci soit ouverte. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à en pousser la porte. Le GR traverse la rue et grimpe raide, appuyé dans ses premiers mètres au pignon d’une maison ruinée (mais qu’un courageux jeune homme s’employait à retaper lors de mon dernier passage).

A l’entrée du chemin, une pancarte de moins en moins lisible avise le marcheur qu’il foule un grand itinéraire européen et au débouché du raidillon, des pierres déposées au pied d’une croix de fer signent le passage régulier en ces lieux de pèlerins en route pour Saint Jacques. Une courte descente et la piste grimpe derechef pour traverser le bois des Champs de Cayenne, longer celui du champ Moré et déboucher sur les premières treilles du vignoble de Vézelay. C’est à ce moment qu’il faut laisser le GR 13 partir tout droit vers le hameau de Nanchèvre et suivre sur la droite, entre deux vignes, un bon chemin d’exploitation qui mène jusqu’à un bois dont il suit la lisière. C’est à la corne du bois, quand le chemin oblique à gauche, qu’on découvre Vézelay. A partir de là on aura presque toujours la Madeleine devant les yeux. Le  sentier longe une coupe, traverse un bosquet de pins et débouche sur une vigne. Il faut la longer sur toute sa longueur et prendre le chemin qui part franchement à gauche. Auparavant, on aura fait quelques mètres en suivant la pente. On aura alors devant soi un spectacle qui résumera d’autant mieux l’art de vivre bourguignon qu’on aura a pris soin de s’équiper d’un thermos rempli d’un chardonnay à sa juste température et d’un peu de jambon du Morvan ou de quelques rondelles d’un saucisson de même provenance. Les deux petites heures de marche qui viennent de s’écouler vous ont mis en appétit sans vous lasser. La fraîcheur du vin, la saveur du jambon, le moelleux du pain acheté du matin et l’harmonie du paysage, tout concourt au bonheur de vivre. Voilà pour les beaux jours. En hiver ce sera, un vin chaud préparé dans les règles, une tranche de brioche, un voile de neige, des sarments qui brûlent dans la brouette-brasero d’un vigneron, les flaques d’eau gelées et un peu de brume sur la Cure. Il est rare qu’on éprouve à ce moment le besoin de parler.

Le chemin plonge résolument vers la vallée et ramène à Nanchèvre où un écriteau avertit charitablement le passant que l’eau de la source qui se déverse dans le lavoir n’est pas potable. Le GR fait un nouveau pas de côté sur la gauche et traverse les champs du Bec d’Oie et de Neuillot où des troupeaux de charolais mûrissent dans l’herbe du Morvan.

C’est à Saint Père qu’on abandonnera les balises blanches et rouges. Une autre fois, on pourra pousser jusqu’à l’église puis, si l’on en a les moyens et l’envie, aller vérifier que si l’étoile de Marc Meneau continue de briller au ciel de la gourmandise. Aujourd’hui, on se contente de traverser la Cure sur le vieux pont de pierre et de prendre la première rue à gauche. On la suit jusqu’à la départementale qui amène vélos, voitures, motos, camions et cars à Vézelay.

Privilège du piéton, il gravit la colline par un itinéraire inaccessible à la foule des touristes motorisés. Pour cela, après avoir marché une bonne centaine de mètres sur la D 951 en direction du Nord et de Blannay, il prend sur sa gauche un chemin qui le mène à l’antique fontaine Sainte Madeleine où, jadis, les pèlerins se lavaient de leur crasse et de leurs péchés. Après quoi il ne lui reste plus qu’à suivre la pente dans le sens montant. Encore une vigne à longer et une route à traverser et, sur la gauche, s’ouvre un sentier de rêve. Entre murets, buissons, portes définitivement fermées sur des jardinets abandonnés et, encore, quelques pieds de vigne, il conduit sous les remparts de Vézelay. Une cinquantaine de mètres plus loin, un enchaînement d’escaliers, de ruelles et de venelles, parfois plantées de roses trémières, conduit à la basilique sur laquelle on débouche sans presque s’y attendre.

Ensuite c’est au goût de chacun. Mais comment passer devant la Madeleine sans y entrer ne serait-ce qu’un instant. Après ? Ma foi on a marché trois bonnes heures et un peu peiné dans la dernière côte et l’on s’aperçoit qu’il serait temps de penser aux nourritures terrestres. On peut choisir de casser une croûte sur la terrasse ou préférer un des nombreux (enfin de mai à septembre) établissements qui proposent leurs services au visiteur. J’ai, pour ma part, un faible pour le restaurant ouvrier qui se trouve sur la place du Champ de Foire au bas de la rue Saint Etienne et qui porte bien son nom de La Fortune du Pot. Pour la modique somme de 12 euros, on y partage avec les gars du bâtiment ou du BTP, employés sur les chantiers voisins, une cuisine du genre roboratif et sans complication. Clients ou cuisinier, la patronne mène son monde avec enthousiasme et bonne humeur.On passe là une petite heure très revigorante. Les lois sociales s’appliquent aussi, heureusement, à la restauration. Il arrive donc que la maison soit fermée, Dans ce cas, les Glycines qui perchent beaucoup plus près de la basilique offrent une alternative qui n’est pas à dédaigner.

Une fois rassasié on quitte Vézelay par la petite route de la Cordelle . La chapelle du couvent est toujours ouverte. On y pénètre après avoir descendu quelques marches. Un dépliant sommaire et multilingue vous dira le reste. Il faut ensuite passer sous la croix qui indique l’endroit d’où saint Bernard aurait prêché la croisade, puis le chemin vous mène tout doucettement à Asquins qui n’est qu’une longue rue, bordée de maisons en pierres aux volets trop souvent fermés. On traverse la Cure et, sur la gauche, entre deux petites routes, on s’engage dans le sentier qui, entre les Crots Bouillats et Belle Face, grimpe vers une petite chapelle familiale toujours close. Vestiges du temps où il ne fallait pas perdre un pouce de terrain, des murets de pierre accompagnent la montée. De temps en temps ils s’épaississent pour former une de ces sommaires huttes de pierre qui, naguère, servaient de refuge aux bergers ou aux vignerons. Après la chapelle, la grimpette continue jusqu’à la crête, on prend, en face, une laie qui descend tout droit jusqu’à rejoindre un chemin. On le prend à main gauche et, en sous bois, par Guetteloup, Gîte au Lièvre et les Cartillaux on arrive au-dessus de Givry qu’on rejoint en coupant à travers la Champeigne et les Corvées. Le retour ne prend guère plus de deux heures qui n’ont rien de bien pénibles. Après quoi on n’a plus qu’à s’en revenir chacun dans sa chacunière. Si c’est l’été, on y boira de grands verres d’eau fraîche parfumés de citron ou de grenadine. Si c’est l’hiver, ma foi… N’importe qui peut programmer son four. Alors on pousse la porte, on se déchausse, on ôte polaire et anorak, on se glisse dans ses charentaises…

…et l’on sent en rentrant, avec grand appétit, du bas de l’escalier, - le dindon qui rôtit. Et que ce dindon ne soit qu’un poulet ne changera rien au plaisir que son odeur vous promet.

(à suivre)