Au lendemain de la loi « Grenelle 2 » et alors que les projets de décrets relatifs à la réforme de l’étude d’impact et de l’enquête sont en cours de rédaction, il importe d’anticiper les profonds changements qui vont prochainement impacter le montage, l’instruction et l’autorisation de très nombreux projets.
Une grande partie de mon activité d’avocat est consacrée au conseil, à l’assistance et à la défense d’entreprises ou de collectivités qui souhaitent créer un projet d’infrastructure (parc éolien, centrale solaire, centrale de production d’électricité, centre de tri déchets…) qui suppose la conduite de procédures d’autorisations régies par les dispositions des codes de l’environnement et de l’urbanisme.
L’élaboration d’un dossier de demande d’autorisation pour un permis de construire, un arrêté préfectoral ICPE ou bien encore une déclaration d’utilité publique suppose une ingénierie juridique précise – à côté de l’ingénierie technique et économique. Cette ingénierie est indispensable pour vérifier l’acceptabilité du dossier, tant par les services administratifs que par le public et les élus locaux mais aussi pour mieux prévenir le contentieux, c'est-à-dire les risques d’annulation du projet devant un Juge.
Les acteurs concernés, les maîtres d’ouvrages, les porteurs de projets, les investisseurs ne sont pas tous suffisamment avertis des changements profonds en cours de réalisation au lendemain du Grenelle de l’environnement.
Un nombre élevé de nouvelles règles de droit a été adopté depuis la fin de l’année dernière qui va modifier très sensiblement les conditions d’élaboration, d’instruction et d’autorisation des ouvrages et projets industriels. Il s’agit notamment de la loi Grenelle 1 du 3 août 2009, de la circulaire sur l’avis de l’autorité environnementale, du décret du 19 novembre 2009 sur les règles d’urbanisme applicables aux centrales solaires au sol, du décret relatif à l’évaluation d’incidence Natura 2000,
Ces nouvelles règles impriment des modifications à la fois quantitatives et qualitatives des conditions d’autorisation des projets précités. Elles sont principalement de deux ordres.
La nouvelle étude d’impact
Sous la pression du droit de l’Union européenne, les auteurs de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ont fait considérablement le régime juridique de l’étude d’impact. A noter tout d’abord, l’étude d’impact n’est définitivement plus « environnementale » mais « santé environnement ». Sa rédaction tend véritablement à une évaluation des conséquences du projet pour l’environnement humain et non humain. Autre évolution majeure : l’étude d’impact devient dynamique. Il n’est plus question d’établir un rapport qui sera rangé dans un tiroir sitôt l’autorisation délivrée. L’étude d’impact doit tout d’abord procéder de cette nouvelle conception du vivant qui a permis l’émergence de ce concept révolutionnaire de « trame verte et bleue ». L’évaluation doit désormais porter sur les « connectivités écologiques » que l’on nomme ailleurs « corridors écologiques » ou « continuités écologiques ».
Il n’est donc plus question de procéder à un simple inventaire des habitats et espèces plus ou moins menacés. C’est aux interactions entre les espèces vivantes, et plus généralement, entre tous les éléments de l’étude d’impact que ses auteurs devront s’attacher. La dynamique de l’étude d’impact ne procèdera cependant pas que de ce changement de regard sur le rapport de l’Homme à la Nature. Ce document devra également d’abord être adapté, actualisé, au fur et à mesure des procédures et des autorisations qui peuvent se succéder dans le temps pour permettre l’intervention de toutes les autorisations requises.
Autre changement important : la rédaction de l’étude d’impact elle-même est susceptible de devenir plus participative. Tout d’abord, l’auteur de l’étude d’impact peut solliciter « l’avis de l’autorité environnementale » et introduire ainsi un dialogue avec l’administration en amont de la procédure d’instruction administrative elle-même. Par ailleurs, une « conférence des parties prenantes locales » peut être organisée avant même la finalisation ladite étude d’impact. L’organisation de cette conférence, qui correspond à l’esprit du Grenelle de l’environnement, supposera bien entendu une ingénierie sociale très précise.
Les nouvelles enquêtes publiques
Le droit des enquêtes publiques a subi deux mutations. D’une part, le nombre des enquêtes publiques a été considérablement réduit à, principalement, deux catégories : enquêtes publiques environnementales, enquêtes publiques préalables à l’expropriation de terrains d’assiette des projets. D’autre part, la nature des enquêtes publiques a elle aussi été modifiée de manière à ce que la consultation du public soit non seulement, réalisée plus en amont, à un moment où les décisions ne sont pas toutes prises, C’est ainsi que la procédure de la concertation préalable à l’étude d’impact ou d’information préalable à l’enquête publique permettront au public concerné et aux responsables locaux, de prendre connaissance du projet, de formuler des observations, de proposer des corrections voire de s’y opposer. En retour, le Maître d’ouvrage ne peut plus concevoir son projet comme hier.
Ainsi, le dossier de demande d’autorisation déposé pourra être porté à la connaissance du public sans attente du terme de l’enquête publique. Concrètement, dés la procédure administrative d’instructive, les opposants ou les critiques pourront adresser aux autorités saisies de leurs propres argumentaires en miroir de celui présenté par le pétitionnaire.
Outre cette nouvelle procédure d’information préalable, la phase d’enquête publique est elle-même bouleversée. Il n’existe plus une mais plusieurs phases d’enquêtes publiques. En effet, les procédures de suspension d’enquête publique ou d’enquête publique complémentaire existent désormais et appellent le pétitionnaire, le commissaire enquêteur et l’administration à prendre de nouvelles décisions et à définir précisément leurs stratégies. Au demeurant, ces nouvelles procédures ne doivent nullement être conçues comme de nouvelles contraintes par les entreprises mais bien au contraire comme la possibilité de réduire le risque juridique lié aux « modifications substantielles ».
En effet, jusqu’à présent, les porteurs de projets étaient confrontés au paradoxe suivant, au terme de l’enquête publique : soit ils tenaient compte du public et modifiaient leur dossier au risque d’y apporter des « modifications substantielles » susceptibles de compromettre la légalité de l’autorisation sollicitée, soit ils n’en tenaient pas compte au risque de méconnaître les exigences du principe de participation. Désormais, le porteur de projet pourra modifier son dossier, soit à l’occasion d’une suspension de l’enquête publique d’une durée de six mois au plus, soit à l’occasion d’une enquête publique complémentaire, ce qui va dans le sens, à la fois du principe de participation mais aussi de la sécurité juridique.
Telles sont quelques unes des modifications consécutives à la publication des lois « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 », étant entendu que la présente note n’a pas vocation à être exhaustive. En toute hypothèse, cette transposition du droit de l’Union européenne par la loi Grenelle 2, si elle a été peu commentée, sera pourtant celle qui produira des conséquences parmi les plus importantes dans le montage des projets. Il est indispensable des les anticiper sans attendre la publication au Journal officiel des projets de décrets relatifs d’une part à l’étude d’impact, d’autre part à l’enquête publique.