ICA, à Londres, en principe un endroit consacré aux artistes (très) contemporains, disons l’équivalent du Plateau à Paris, consacre bizarrement une exposition rétrospective à Peter Hujar, photographe new-yorkais mort il y a vingt ans.
Les portraits d’Andy Warhol, de Divine (pas maquillé-e), de Mapplethorpe (se masturbant), de Candy Darling (sur son lit de mort), du danseur Bruce de Sainte-Croix et d’autres stars de la scène new-yorkaise de l’époque (dont Susan Sontag, impressionnante), ont, en effet, surtout un intérêt rétrospectif, nostalgique peut-être : la génération décimée par le sida. Ses photos de la grosse pomme, des rues mal éclairées, abandonnées la nuit, le New York en crise des années 70s, sont honnêtes, bien faites, mais le comparer à Brassaï est un peu rapide.
On sort des trois salles d’exposition un peu déçu, on prend le couloir de côté pour aller à la cafétéria et à l’étage (un film d’Emily Wardill; rien compris) et on tombe sur ça :
En 1963, à 29 ans, Peter Hujar part en Italie avec Paul Thek. Il visite les catacombes du monastère des Capucins de Palerme, où il découvre ces cadavres desséchés, cette mise en scène mortuaire. Il les montrera bien plus tard, en 1976, dans son livre, ‘Portraits in Life and Death‘. Ces corps sont présentés non comme des reliques, mais comme des acteurs, des personnages, dans des vitrines, des alvéoles d’exposition, grillagées ou ouvertes, comme des objets dans un musée, dans une boutique de luxe. On remarque deux petites filles que même la mort ne sépare pas, des corps verticaux, tenus par un fil passé sous les bras ou autour du cou, des morts debout regroupés autour d’un autre, couché, qu’ils veillent, ce dernier en quelque sorte doublement mort. Tous les cadavres sont habillés, leurs vêtements apparemment renouvelés de temps en temps par de bonnes âmes, ils sont élégants, coquets, habillés parfois avec une certaine recherche.
Je me souviens de cette exposition sur la représentation de la mort (où, d’ailleurs, certaines des photos de Hujar étaient présentes). Mais, ici, dans ce couloir, on est saisi par cette représentation si familière et si théâtrale, par la méditation qu’elle induit, catholique ou zen. J’aimerais bien être enterré à Palerme, je crois.