L’Islande est un pays qui fait rêver les journalistes. Une proposition de résolution parlementaire à l’intention du gouvernement, l’IMMI [Islandic Modern Media Initiative], devrait être adoptée au printemps 2011. Elle permettrait de créer un « lieu sûr pour les médias », où ceux-ci pourraient, par exemple, mettre leurs archives à l’abri et où les poursuites judiciaires s’arrêteraient aux rives de l’île. Une démarche stimulante, mais difficile d’affirmer quelle fera école en Europe, à écouter le sombre constat dressé par Paul Moreira et Edwy Plenel de la situation française. Et le tableau est encore plus sombre dans des pays comme la Turquie où l’Azerbaïdjan, à en juger par les arrêts de de la Cour européenne des droits de l’homme égrenés par Vincent Berger, Jurisconsulte à cette institution.
Pendant les 5 années qui ont précédé 2008, les Islandais ont vécu sur un nuage, en raison du développement économique du pays provoqués par une bulle financière et bancaire. « Pour expliquer ce succès, explique Robert Marshall, on a mis en avant l’éthique au travail des habitants. Mais en fait, les médias islandais, liés au milieux d’affaires et politique n’a rien questionné. Et après leur faillite, on a vu comment les trois banques concernées ont essayé d’étouffer les affaires. »
L’IMMi est donc né du constat que les élites du pays avaient failli [ce qui explique l'importance du renouvellement parlementaire] tout comme le système médiatique, qui n’avait joué ni son rôle de chien de garde ni de sonnette d’alarme. Pour cela, il est apparu nécessaire de transformer ce pays qui était un « abri financier » en un « lieu sûr pour les médias », mais pas seulement. L’idée force de l’IMMI ne se réduit pas à la seule protection des journalistes, mais elle étendue aux fonctionnaires, et offrira la possibilité à tous les citoyens d’avoir accès aux informations et données. Bref, il s’agit d’une réponse à la hauteur du traumatisme subi.
L’IMMI prévoit aussi que des médias étrangers puissent venir abriter leurs archives [en clair, se fasse héberger dans le pays] en Islande, et que ne seraient pas reconnu les décisions prises par des tribunaux étrangers [Il faudrait sur ce point éplucher en détails la "proposition", en raison des conséquences juridiques que provoquerait son adoption]. « L’IMMI, remarque Robert Marshall, pourrait participer à la réputation de l’Islande ».
En France, on est loin d’une telle démarche, ou de l’accessibilité des documents telle que se pratique en Suède. « Il est possible dans ce pays, raconte le journaliste Paul Moreira d’obtenir dans ce ce pays la note de frais — et le montant— du repas d’un ministre. ». . Théoriquement, une loi votée en 1998 donne accès aux documents administratifs, mais explique le journaliste Paul Moreira, « les exceptions tuent la loi. » Par exemple, un document n’est plus transmissible dès lors qu’y figure le nom propre d’un fonctionnaire et que celui-ci risque d’être mis en difficulté.
En fait, explique PaulMoreira, « il faudrait changer l’ADN de l’autorité administrative ». Par exemple, lorsque l’on appelle la Cada, (Commission pour l’Accès au Documents Administratifs), on tombe sur… Matignon. Pour P. Moreira, d’ailleurs, la situation va empirant: « Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy le domaine de l’opacité s’est élargi. » Pire, il note un côté orwellien dans la démarche actuelle « où l’on nous vend quelque chose et on fait le contraire. Par exemple, on a voté une loi sur la protection des sources, et quelques mois plus tard les sources sont fliquées. »
Or, enchaîne Edwy Plenel, « tout citoyen doit avoir le droit d’informer un journaliste, le secret devrait être l’exception. » En fait, c’est un « sursaut démocratique », proche de celui que connaît l’Islande, que souhaite le directeur de MediaPart: « La démocratie est une culture, elle implique que la société puisse se défendre et pour cela, qu’elle ait le droit de s’informer librement sur ceux qui ont le pouvoir politique et économique ».
On ne saurait dire que l’on prend ce chemin, si l’on juge par l’attitude du pourvoir vis-à-vis de certains médias, dont MediaPart. Edwy Plenel dénonce la « violence verbale inouïe à l’encontre de journaux. Certains médias ont été traités de ‘fasciste’, l’espionnage téléphonique toléré, des cambriolages commis… et tandis que le Chef de l’État affirme ne pas être concerné, son bras droit [Claude Guéant] engage des poursuites contre MediaPart. »
Malgré tout la France n’est pas encore au niveau de pays comme la Turquie où, si l’on la mauvaise idée de parler du PKK, le risque d’être emprisonné est réel. Il existe un recours, la Cour européenne des droits de l’homme, dont Vincent Berger, Jurisconsulte, présentait, ce jeudi 18 novembre 2010, quelques arrêts significatifs. Les juges de Strasbourg ont une boussole et leur Nord est la liberté. Par exemple, dans un conflit concernant un journal municipal russe, la Cour a examiné le conflit sous l’angle de la liberté d’expression, sans se demander s’il s’agissait d’un « vrai » journal. Ses arrêts peuvent constituer un point d’appui sur lequel peut s’appuyer un journaliste (ou un média) en conflit avec les autorités de son pays. Elle peut aussi se substituer à la justice d’un pays comme ce fut le cas avec un journaliste azerbaïdjanais condamné à 8 ans et 6 mois de prison, dont la Cour exigea la libération immédiate.