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L'absolu, on ne peut rien en faire

Publié le 21 novembre 2010 par Anargala
L'absolu, on ne peut rien en faire

Selon le Vedânta, l'absolu ne peut être réalisé par aucune pratique. La seule "pratique" consiste à écouter, à méditer et à comprendre à fond la connaissance de l'absolu transmise depuis toujours.

Voici un extrait d'un petit traité de Vedânta, sans douté composé après le XVe siècle. Attribué à Shankara, il résume bien sa pensée :

"Nous comprenons[1] que l'action

Ne réalise rien de permanent.

A quoi bon l'action

Pour qui aspire à la vérité absolue

Et désire un fruit qui ne passe pas ?

L'action peut certes réaliser

Quatre sortes de fruits :

Production, obtention,

Purification et altération.

Il n'y en a pas d'autres.

Or, l'absolu[2] ne peut être produit

Par rien d'autre (que lui-même).

Il est réalisé de lui-même[3],

Toujours déjà atteint,

Déjà purifié, immaculé (car) sans action[4].

Les traditions reçues interdisent

De penser qu'il puisse avoir une origine.

L'absolu est lui-même la cause (de tout).

On considère pour cela qu'il n'est pas le produit (d'une autre cause).

Si celui qui veut obtenir et ce qu'il veut obtenir

Sont deux choses différentes,

Alors il est possible d'obtenir cette chose.

Mais l'absolu est l'essence même

De celui qui veut l'atteindre.

On ne peut (donc) jamais l'atteindre.

Le bon sens considère que les impuretés

Peuvent être ôtées d'un miroir, par exemple.

Mais l'absolu, toujours limpide comme l'espace,

Ne peut jamais être purifié.

Le réel est immaculé, (car) il n'agit pas ni ne subit[5].

Comment pourrait-il être souillé ?

Seul un défaut survenu par contact avec (autre chose)

Peut être lavé pour recouvrer l'état d'origine.

Ce qui est sans qualités

Ne peut recevoir aucune qualité,

Car la tradition nous révèle

L'absence en l'absolu d'aucune qualité en disant

"(L'absolu) est sans aucune qualité".

Les composés comme le lait

Sont choses qui se transforment.

Tout ce qui peut subir une altération

N'est pas le réel sans action.

L'essence du réel

Est démontrée par la raison et la tradition :

Elle n'est pas un résultat, pas une action.

Elle est paisible, sans faille, inconditionnée.

Par conséquent, il n'existe aucune possibilité

De réaliser l'absolu par l'action,

Car ce qui peut être réalisé au moyen de l'action

Est impermanent,

Alors que l'absolu est permanent et éternel.

Le corps, etc., de même que le monde,

Sont détruits selon les actions (accomplies dans les existences passées).

De même, le monde suivant (dans lequel nous renaîtrons)

Sera conforme à la valeur de nos actions.

Ce qui est le fruit d'une action

Ne peut jamais être permanent :

Cette loi se vérifie toujours.

Le paradis et autres (récompenses)

Sont donc impermanentes.

Quel lettré[6] s'y perdrait ?

En revanche, tout le monde s'accorde

A reconnaître que la cause du monde est permanente.

Et la tradition reçue ne se lasse pas de répéter

Que l'(absolu) seul est la cause du monde.

De plus, la tradition dit que

"Tout est identique à lui, telle est la vérité".

Ainsi, lui seul est permanent.

Il est clair que seul l'Être est cause du monde.

La tradition le dit expressément :

"(On ne réalise pas l'absolu) par des actions, par la procréation, par la richesse".

Ainsi, l'idée que l'action pourrait être cause de la délivrance

Est explicitement écartée.

La réalisation de la conscience pure[7],

C'est être l'absolu.

(Or, cette réalisation) est impossible sans la compréhension

De l'unité de soi et de l'absolu,

Ce qui suppose un examen rationnel

De soi et de l'absolu[8].

Elle ne peut être réalisée

Par des bains sacrés, ni par des chants,

Ni par des récitations, ni par des jeûnes,

Ni par des sacrifices, des rituels, des dons,

Ni par des formules ou des rites magiques[9].

C'est ce que la tradition révélée enseigne :

"La réalisation n'est possible que par la connaissance".

En disant que la connaissance est la cause de la délivrance,

(La tradition) écarte toute autre cause."

La Quintessence de toutes les doctrines du Vedânta (Sarva-vedânta-siddhânta-sâra-samgraha), d'Akhandânanda (?), disciple d'un certain Advayânanda,



[1] Nous l'entendons depuis toujours. L'ensemble de ces vérités transmises depuis toujours (selon le brahmanisme) constitue l'Audition (śruti), aussi appelée le Savoir (veda).

[2] brahman : d'une racine BṚHM, "grandir, croître, se développer, se manifester, se révéler". L'étymologie du mot semble donc contredire la position du Vedānta : l'absolu n'est pas immuable, mais au contraire, il est ce qui existe en se révélant. Le brahman, à l'origine (dans le védisme archaïque), est un être vivant. Il est le réel en tant que vie, animé d'un souffle qui est le Temps. Mais dans le contexte védantique, ce sens est oublié. Nous traduisons donc par "absolu". Comme dira Abhinavagupta, c'est là un "brahman qui ne fait rien" (śānta-brahman), ce qui sonne comme une pointe ironique si l'on songe au sens originel, qui évoquerait quelque chose comme "une croissance paralysée", interrompue, tant il est vrai que, pour le non dualisme d'Abhinavagupta, le brahman védantique est un absolu amputé de toute passion, de toute émotion. Ce n'est donc qu'un absolu incomplet.

[3] Il est a lui même sa propre preuve, il est évident (svataḥ-siddha).

[4] L'absolu est "sans action", car comme dit le verset précédent, il n'y a que quatre sortes d'actions, et elles impliquent toutes l'impermanence de leur substrat. L'absolu doit donc être une paix totale, une conscience "pure", sans aucune pensée, sans aucun élan. Pour Abhinavagupta, cette paix n'est que l'un des aspects de l'absolu. Car l'absolu vit, il traverse des phases, il respire et, comme dans le védisme ancien, cette respiration est le devenir vie-mort, jour-nuit, inspir-expir, etc. L'absolu n'est pas seulement être, mais aussi "être-qui-se-pense", qui désire, qui imagine, qui oublie... Bref, il est un agent.

[5] Glose de akriyam pour exprimer un peu des quatre sens énumérés plus haut.

[6] Le Vedānta valorise l'étude, la mémoire, l'intellect.

[7] Litt : "la simplification de l'Esprit", vieille expression empruntée au système Saṃkhya. Désigne le moment où la conscience se réalise comme pure de toute coloration objective.

[8] Enoncé limpide de la position intellectualiste du Vedānta. Pour Abhinavagupta, l'intellect (buddhi) n'est que l'une des voies possibles.

[9] mantra-tantrair api : allusion aux pratiques tantriques. Ce texte date d'après le XVe siècle,quand le tantrisme était déjà devenu synonyme d'occultisme.


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