Jean Charest
Il y a quelque chose de vraiment vicié dans l’air politique au Québec depuis quelques semaines. De la page couverture du McClean’s qui affirmait que le Québec était la province « la plus corrompue » du Canada, en passant par les reportages somme toute troublants d’Enquête jusqu’aux allégations de corruptions touchant le maire de Laval, les institutions publiques québécoises sont fortement ébranlées par un vent frontal provenant du milieu de la construction. L’Assemblée nationale et l’espace public sont devenus un véritable capharnaüm où l’enflure verbale, les jugements sommaires et les allégations sans fondements fusent de part et d’autre du salon bleu. Mercredi prochain, nos élu(e)s débattront d’une motion de censure envers le gouvernement qui sera sûrement battue par la majorité libérale. Une majorité de Québécois devront s’y résigner : il n’y aura visiblement pas de commission d’enquête publique sur le financement des partis et le milieu de la construction.
Du « parrain » au « dictateur de potentat »
Dans la catégorie « tout ce qui est excessif est insignifiant », les députés Amir Khadir et Gérard Deltell, respectivement représentants de Québec solidaire et de l’ADQ, ont remporté la palme haut la main ces derniers jours. Lors d’un congrès tenu par son parti, le successeur de Mario Dumont, dans un but évident de faire les bulletins télévisés en fin de soirée, a qualifié Jean Charest de « parrain de la famille libérale », au moment même où Enquête nous révélait les liens qu’entretenaient certains membres du crime organisé avec des entrepreneurs et des dirigeant syndicaux et que le parrain du clan Rizzuto venait d’être assassiné dans sa résidence de Montréal. Analogie douteuse s’il est en une. Non seulement cette attaque était-elle insignifiante, mais au-delà de la figure de chef de parti à laquelle Gérard Deltell s’attaquait, c’est également la fonction de premier ministre, au travers de Jean Charest, qui était visée. Ce même premier ministre qui nous représentera en Europe, que l’on veuille ou non, auprès d’autres dignitaires étrangers. Ce même premier ministre qui, il y a à peine deux ans, obtenait une majorité de sièges et d’appuis de la part des Québécois. Gérard Deltell, qui ne cesse de prêcher la vertu du sens de l’État, aurait dû s’en souvenir avant d’accoler pareille étiquette au chef du gouvernement. Jean Charest n’est pas un parrain mafieux, il est le chef de notre gouvernement national, jusqu’aux prochaines élections. Si le jeu partisan fait certes partie de la vie politique, il est de la responsabilité des élu(e)s que les débats ne dérapent pas de la sorte. Quant à Amir Khadir, dont on connaissait la propension au dérapage non contrôlé comme lorsqu’il avait lancé un soulier sur une image de l’ancien président Bush, ses propos à l’égard du maire de Laval étaient non seulement déplacés, mais totalement indignes de sa fonction. En conférence de presse, le député de Mercier a déclaré que le maire de Laval était un « dictateur à la tête d’un potentat [sic]». Qu’on le veuille ou non, que l’on apprécie Gilles Vaillancourt ou non, cet homme a été dûment élu par sa population en élections générales et sa municipalité, troisième ville au Québec, n’est pas un « potentat ». Les citoyens de Laval ont droit, il me semble, à un minimum de respect, surtout venant d’un élu de notre Assemblée nationale. Présentement, deux députés affirment avoir été la cible de tentatives de corruption, sans preuve quelconque autre que leur parole, plusieurs années (pour l’un dix-sept ans) après les faits. L’un de ces députés, faut-il le rappeler, a été ministre de la Sécurité publique et avait fait adopter une loi imposant aux policiers un devoir de délation (mesurez l’ironie), alors que le député Auclair, du PLQ, vient d’une famille engagée dans la vie municipale à Laval … contre le maire Vaillancourt. L’on ne connaîtra probablement jamais le fin mot de cette histoire, mais entre-temps, les enquêteurs du Ministère font leur travail et se prononceront au moment opportun. Mon but n’est pas ici de défendre ou non Jean Charest ou Gilles Vaillancourt, mais bien de souligner plusieurs constats : le climat politique est assez délétère présentement sans que l’on en rajoute par des commentaires grossiers et indignes. Jusqu’à preuve du contraire, notre système judiciaire fonctionne sur la présomption d’innocence et jusqu’à maintenant, il faudra admettre que les preuves sont bien minces, voir inexistantes. Si le maire Vaillancourt a bel et bien commis ce dont on l’accuse, qu’il démissionne. Mais si aucune preuve n’existe contre lui et que sa population se range majoritairement derrière lui, quel droit avons-nous alors de lui faire un procès au tribunal populaire, par agences de presse interposées ? Une carrière politique et une crédibilité s’acquièrent au terme d’années de travail et de dévouement. Cette crédibilité peut cependant se perdre, malheureusement, en quelques coupures de journaux et par des reportages mal ficelés bourrés d’inexactitudes. À quoi bon s’en soucier, cela fait vendre de la copie ! Raison de plus pour être prudent. Un récent sondage Angus-Reid démontrait que 62% des Québécois soutiennent que les élus de leur municipalité «ont quelque chose à se reprocher», même quand aucune allégation n’est formulée contre eux ! Triste état de fait.
La suite des choses
Visiblement, le gouvernement semble ferme dans sa volonté de poursuivre les enquêtes policières sans tenir, en parallèle, de commission d’enquête publique. Dans ce combat politique, le temps demeure le meilleur allié du premier ministre Charest et le Parti Québécois le sait bien. S’il en a le désir, il peut encore gouverner pendant les trois prochaines années avant de devoir déclencher des élections et sur ce point, Pauline Marois est impuissante. À voir l’obstination des libéraux à s’en remettre aux enquêtes policières (à tort ou non) et à augmenter le financement de l’escouade Marteau, il y a fort à parier que les policiers remontent, lentement mais sûrement, de nombreuses pistes et que quelques coups d’éclat sortiront dans un avenir plus ou moins rapproché de cette démarche d’investigation. À ce moment, le gouvernement aura tout le loisir de dire, « Nous vous l’avions bien dit ! », et de capitaliser sur le fruit des enquêtes policières. La motion de non-confiance déposée par le PQ envers le gouvernement Charest est purement symbolique et ressemble à un va-tout de la part de la chef péquiste, d’autant plus que Jean Charest semble imperturbable. Si elle peut devenir une bombe nucléaire en parlement minoritaire, la motion est comme une ogive non chargée dans une Assemblée nationale contrôlée par une majorité de libéraux. Même si je déplore l’obstination du gouvernement, il n’en demeure pas moins qu’une fois cette motion battue, une fois la volonté de s’en tenir aux enquêtes réitérée, nous devrons quand même penser, collectivement, à la suite des choses. La santé, le financement de l’éducation, l’avenir du modèle québécois exigent que l’on s’y attarde un tant soit peu. L’on ne peut faire vivre une société sur les attaques, les allégations, les querelles parlementaires et le dénigrement collectif sans en payer le prix au bout du compte. Déjà, la pétition exigeant le départ de Jean Charest semble plafonner aux alentours de 200 000 noms (alors que le PLQ a recueilli 1 366 000 en 2008), plus de 40% des Québécois ne savent pas qui ferait, parmi les chefs actuels, le meilleur premier ministre et 38% des citoyens refusent de montrer du doigt les élus municipaux sans preuve tangible. Il sera grand temps, alors, de se concentrer sur une réforme de nos institutions démocratiques et parlementaires afin de se doter collectivement de mécanismes de contrôle, de commissions permanentes avec de réels pouvoirs d’investigation à l’instar de ce qui existe aux Etats-Unis pour que ce genre de décisions ne reposent plus dans les seules mains du premier ministre. L’on doit tirer des leçons et des enseignements de la crise que nous traversons afin d’améliorer notre vie démocratique, mais de grâce, dans les prochaines semaines, élevons le débat. Nous avons grand besoin d’assainir le climat, et ça presse…
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