Je ne parlerai pas ici des enseignants imposés lors de notre scolarité, mais du choix d’un professeur, voire d’un maître. Ce choix est un acte libre, il est donc important de bien étudier la question avant de s’engager. Avant tout, un professeur n’est qu’un homme ; il a donc ses qualités et ses défauts intrinsèques. C’est là qu’il faut voir si l’on est prêt en tant qu’étudiant, d’accepter ses défauts et se demander s'ils ne sont pas rédhibitoires. Il est donc nécessaire de bien se renseigner sur la personne en interrogeant ses étudiants actuels et anciens.
Bien entendu, un bon professeur n'est pas passé à l'enseignement un beau matin parce qu'il se sentait en forme. Il a derrière lui des années, voire des dizaines d'années de pratique où il a transpiré sang et eau. On sait qu'aujourd'hui il est difficile de sacrifier une partie de sa vie à l'étude d'une seule discipline. Pourtant c'est la seule manière d'y arriver sans avoir honte de ce que l'on transmet à ses élèves. Un professeur doit toujours en savoir 10 fois plus que ses élèves, afin de répondre au maximum de questions. Mais surtout sa technique démontre son discours et il ne doit pas exister de décalage entre les deux. Exemple : en aïkido on parle souvent de l'énergie et de sa circulation. Je n'en ai jamais vu la couleur ni rencontré aucun professeur capable de me montrer clairement où ça se passait sinon dans la tête. Il a fallu 7 années d'études de shiatsu pour que je comprenne et ressente cette fameuse énergie. Comme m'a dit récemment un enseignant, "ne montre que ce que tu maîtrises. Si tu ne connais à fond que 3 techniques, ne fait que ces trois techniques".
(Léo et Isseï Tamaki. (c) Hélène Rasse)
Un bon professeur est de préférence un professionnel qui vit de son art. Là encore, ce n'est pas facile aujourd'hui de réaliser cet état. Beaucoup ont un métier à côté. La différence est de taille. L'un ne fait que de la pratique, passe son temps à le vivre de l'intérieur, comme ce fut le cas de mon professeur Philippe Cocconi ou aujourd'hui Léo Tamaki dans la jeune génération qui monte en puissance. Je dirai même plus, un bon professeur est un chercheur. Il remet sans cesse son ouvrage sur le métier, n'est jamais satisfait de sa technique, continue toute sa vie à affiner et polir ses mouvements, sa compréhension. Pour cela il s'ouvre à tout ce qu'il lui permet de s'enrichir, à condition que cela fasse fructifier son art. Pour un professeur d'arts martiaux, rien de tel que de passer par la case sports de combat pour tâter de cette dure réalité, mais aussi d'étudier la calligraphie, la poésie, la méditation ou le soin aux personnes.
Dans notre système occidental, un bon professeur est aussi un homme qui a le sens de la pédagogie. Ce point est une différence fondamentale entre l'Asie et l'Occident. En Asie, on répète les mouvements, sans avoir d'autres outils pour les comprendre. La compréhension passe par le corps et non par la tête. En occident, chargé de notre histoire intellectuelle, la compréhension doit aussi passer par l'esprit. Si un maître asiatique s'installe chez nous, il doit prendre en compte cette donnée, sous peine d'avoir du mal à former des élèves de qualité. La pédagogie permet de faire passer clairement le message, mais aussi et surtout de pouvoir tester les connaissances et suivre la progression. C'est la raison pour laquelle la grande majorité des disciplines asiatiques ont crée des catalogues de techniques. Sans cela, aucune diffusion internationale ne serait possible.
(Stéphane Crommelynck, un professeur en recherche permanente)
Le point le plus important à retenir à mon sens est qu’un professeur est en charge d’une éducation, quelle que soit la technique. Le but de l’éducation est d’apprendre aux élèves à voler de leurs propres ailes et pourquoi pas, de le supplanter un jour. C’est ainsi que l’on élève ses enfants, en cherchant à ce qu’ils deviennent autonomes et à les encourager à s’épanouir en faisant leurs expériences partout où ils le peuvent. En tant que professeur d’aïkido, j'ai répété le schéma que mes professeurs et maîtres m'ont enseigné, à savoir, pousser les élèves à faire des stages avec d’autres professeurs, et dans tous les styles possibles. Ainsi ils ouvrent leur horizon et découvrent la richesse de leur art. Certains sont partis en trouvant qu’un autre enseignant était meilleur que moi, ce qui était une grande joie. D’une part l’étudiant avait trouvé son bonheur et d’autre part cela me poussait à devenir meilleur. Ainsi un professeur ne devrait jamais craindre la concurrence, car elle est stimulante, améliore ses élèves ou lui-même. Le partage des connaissances et leur libre circulation, la multiplication des expériences et des apprentissages est le fondement d’une éducation saine qui ne cherche pas à en enfermer les étudiants dans un carcan. Sinon c'est un gourou sectaire.
Quid alors des koryu au Japon ? Historiquement, si l’on signait un kepan dans une école, celui-ci interdisait de divulguer les techniques apprises auprès du maître, jusqu’à l’obtention du plus haut diplôme de l’école. En revanche, le maître poussait souvent ses élèves à parcourir le pays pour que le shugyosha (étudiant) devienne un étudiant itinérant et fasse ses expériences. Cette attitude était tellement habituelle qu’il existe un terme japonais pour le désigner : musha shugyo (武者修行)
(duel amical pour tester sa technique)
Un bon professeur ne s’inquiète pas de voir ses étudiants partir, car il a confiance en sa technique. Il sait que sa technique possède en soi tout ce qu’il faut pour que l’étudiant aille de l’avant. Il n’est donc pas soumis à son ego qui le pousse à vouloir se protéger du reste du monde. Au contraire il s’ouvre à celui-là pour affiner toujours sa propre technique. Ce point est d’ailleurs primordial. Un bon professeur se remet toujours en question et cherche constamment à apprendre et s’améliorer, techniquement ou humainement parlant. Ce n’est qu’au prix d’un effort incessant qu’il peut continuer à rester confiant et à éprouver du plaisir dans son art. (Quand j'écris ces lignes je pense d'ailleurs à Stéphane Crommelynck, que vous pouvez lire sur le blog Sakura). C’est d’ailleurs ce que l’on peut lire dans les multiples interviews des maîtres, qu’ils soient européens ou asiatiques, car là est toute la clé de l’évolution. Pour cela je vous renvoie aux dizaines d’interviews sur mon blog et celui de Léo Tamaki.
Lorsque l’élève est prêt à se débrouiller par lui-même, le rôle du professeur et de lui faire comprendre qu’il doit à présent quitter le dojo et à son tour transmettre Cette phase est délicate, car souvent hautement émotionnelle. On ne quitte pas un père ou une mère de substitution comme cela. Mais si le professeur sait positiver ce moment et permettre une relation d’égal à égal avec son ancien élève, alors le tour est joué.
(René VDB, Jaff Raji et Malcolm Tiki Shewan)
Enfin, pour moi un petit signe qui ne trompe pas. Un bon professeur rejette les marques de déférence et rigole quand on lui marque trop de respect. Il ne cherche pas non plus à ce qu’on le serve et ne veut surtout pas avoir des « larbins » à son service. Il trace sa voie et avance. Mon professeur d’aïkido m’a toujours menacé d’un coup de pied aux fesses si je l’appelais maître. Pas de superflu. L’essentiel reste : présence, accompagnement, enseignement et qualité technique.
PS : dans le milieu de l'aïkido, j'ai eu la chance d'être entouré de telles personnes. Je pense bien sûr à Philippe Cocconi, mais aussi à Malcolm Tiki Shewan, Réné VDB, Toshiro Suga, Jaff Raji, Pascal Krieger et Daniel Toutain, qui sont ceux qui m'ont le plus apporté. Et vous savez quoi ? Ils sont presque tous présents à la prochaine NAMT.