«Je suis laid, gauche, malpropre et sans vernis mondain. Je suis irritable, désagréable pour les autres, prétentieux, intolérant et timide comme un enfant. Je suis ignorant. Ce que je sais, je l'ai appris par-ci, par-là, sans suite et encore si peu! Mais il y a une chose que j'aime plus que le bien: c'est la gloire. Je suis si ambitieux que s'il me fallait choisir entre la gloire et la vertu, je crois bien que je choisirais la première.» écrivait ce grand bonhomme qui n'en était pas à un paradoxe près. Ce n'est pas Sophie Bers, sa compagne qui l'aurait démenti, elle, qui fut obligée de lire le journal dans lequel Léon Toltoï notait ses beuveries, sa misogynie, ses libertinages, ses pensées anarchistes afin qu'elle sache vraiment à qui elle aurait affaire.
Certaines célébrations ont du bon, le centième anniversaire de la mort de Léon Tolstoï, en est, qui place l'écrivain sur le devant de la scène médiatique et remette son oeuvre au goût du jour. Eternel insatisfait, faisant peu de cas de la littérature considérant qu'elle mettait un peu de beauté dans le monde mais n'en changeait pas le cours, en cela elle ne suffisait pas.
Aussi, lorsqu'il revint en ses terres à Iasnaïa Poliana, après son voyage en Europe, Tolstoï se fait maître d'école : l'éducation de l'enfant devait se faire en prenant la nature comme moteur, promenade dans les bois pour y apprendre l'harmonie qui doit exister entre l'homme et son environnement, puis de retour en classe, critique de la société telle qu'elle était : conventions vétustes, contradictoires, voire néfastes au développement de l'humanité. Une telle pédagogie fait rêver.
Il demeurera fidèle à sa philosophie de la non-violence, de la désobéissance civile et de son projet utopique d'une société collectiviste mais libertaire. Trop de conflits familiaux marquèrent la fin de sa vie. Il avait renié ses fils, pour lui des mous et des fainéants sans talent. Sa femme Sophie intriguait pour que son testament ne lui échappe pas. À l'âge de 82 ans, Tolstoï mit donc à exécution la menace : celle d'enfiler sa bure de pèlerin, de quitter à jamais Iasnaïa Poliana et de prendre la route, seul, en vieil homme déguenillé qui était resté tel qu'il avait toujours été: un être sans compromis, mais douloureusement insatisfait de ce qu'il n'avait pu apporter à sa famille, à sa société et au monde.
«Que les hommes appliquent leurs forces, non aux événements extérieurs, mais à leur cause, à leur vie, et comme la cire au feu, fondra ce pouvoir de violence et de mal qui opprime et tourmente les hommes.»
Sacré grand bonhomme... !